Vendredi 27 octobre 2017

« L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle »
Emmanuel Todd Titre du chapitre 5 du livre « Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’Histoire Humaine »

Le protestantisme a joué un rôle majeur dans le monde occidental. Notamment parce qu’il a été la religion des pays les plus dynamiques de la révolution industrielle et économique : La Grande Bretagne, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et les pays nordiques Suède, Danemark, Norvège.

Emmanuel Todd s’est surtout fait connaître ces dernières années comme polémiste, polémiste sur des options douteuses, notamment après l’attentat contre Charlie-Hebdo.

Mais c’est aussi un démographe et un chercheur rigoureux qui réalise des études sérieuses.


Son dernier livre plonge dans son domaine de recherche privilégié : « l’analyse des structures familiales ».

Ce livre <Où en sommes-nous ?> publié le 31/08/2017 par les éditions du Seuil, évoque l’Allemagne et le protestantisme.

Emmanuel Todd, d’abord centré sur son domaine de recherche, insiste sur la structure familiale de l’Allemagne qui est la famille souche.

Wikipedia nous apprend que le concept de famille souche a été forgé par Frédéric Le Play au XIXe siècle pour décrire un mode de dévolution préciputaire (c’est-à-dire à héritier unique) des biens, matériels et éventuellement non matériels, les enfants exclus de l’héritage étant dédommagés par différents moyens (par exemple la dot). La famille souche qui est donc une famille inégalitaire et autoritaire, concentre le plus souvent plusieurs générations sous le même toit avec application d’un droit d’aînesse masculine.

Mais au-delà de focus mis sur la structure familiale Emmanuel Todd dans son chapitre 5 « L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle » s’intéresse aux conséquences du protestantisme en Allemagne, puis en Europe.

La conséquence majeure est l’alphabétisation universelle :

« Avant la révolution politique, scientifique et industrielle anglaise, il y avait eu Réforme protestante et l’alphabétisation de masse, venues d’ailleurs. Crise religieuse et décollage éducatif ont trouvé leur origine en Allemagne, disons à partir de 1517 si nous retenons les 95 thèses de Luther comme point zéro de ces bouleversements. »

Bien sûr, comme cela avait été souligné dans les mots précédents, avant l’alphabétisation il a fallu l’invention de l’imprimerie et sa généralisation :

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, la moitié des paysans du monde germanique sont devenus protestants ; répondant à l’injonction de Luther, ils ont appris à lire. La famille-souche, avec son autoritarisme interne et son principe de continuité, peut contribuer à expliquer le caractère « total » de l’alphabétisation protestante. […] L’existence, au XVIème siècle, de l’imprimerie est de toute évidence le facteur principal du succès de la Réforme dans son œuvre d’alphabétisation.

[…]

L’imprimerie en caractères mobiles fut mise au point à Mayence sur le Rhin par Gutenberg vers 1454 ; La Réforme protestante fut lancée par Luther en 1517, lorsqu’il afficha ses 95 thèses […] Le lien entre ces deux évènements et l’alphabétisation de masse est une évidence historique. L’imprimerie a permis un abaissement radical du coût de la reproduction des textes. La Réforme d’emblée a voulu instaurer, pour chaque homme, un dialogue personnel avec Dieu, sans l’intermédiaire du prêtre, exigeant, comme le judaïsme un millénaire et demi plus tôt, l’accès direct des fidèles aux textes sacrés.

Citons Egil Johansson, pionnier suédois de l’étude historique de l’alphabétisation :

« Ce ne fut qu’au XVIIème siècle que la capacité de lire, but des réformateurs, a atteint progressivement les masses. Alors apparut une différence claire entre l’Europe protestante et l’Europe non protestante. Si peu de gens savaient lire dans le sud catholique et l’est orthodoxe de l’Europe – moins de 20 % – une augmentation drastique était intervenue dans le centre et le nord protestants de l’Europe. L’Italie du Nord et certaines parties de la France occupaient une position intermédiaire, grâce à une tradition d’usage de l’écriture remontant au moyen âge, du moins dans les villes […].

Dans l’Europe protestante, on peut estimer de 35 à 45% de la population savait lire vers 1700.

La Réforme a créé les protestants mais elle a aussi eu une conséquence sur les catholiques qui vont se lancer dans une réaction qu’on va appeler « la contre-réforme » et qui va se structurer dans le fameux <Concile de Trente>. Cette contre-réforme va aussi créer le corps des Jésuites qui va jouer un rôle majeur dans l’éducation des masses et sur l’alphabétisation. Emmanuel Todd insiste sur la concurrence, en Allemagne, entre catholiques et protestants sur ce terrain de l’alphabétisation.

Dans l’Allemagne protestante, les seuils d’alphabétisation de 50% ne furent franchis qu’au XVIIème siècle, mais des résultats déjà substantiels avaient été obtenus dès le XVIème siècle. […] Dans l’espace germanique, la compétition religieuse a conduit à une alphabétisation à peine plus lente des régions qui n’avaient pas adopté la Réforme et étaient restées catholiques.

Pourtant, en 1930, la carte que donne Todd montre que l’Europe européenne protestante reste davantage alphabétisée que l’Europe catholique :

Vers 1930, la carte des taux d’alphabétisation européens restait centrée sur son pôle allemand initial et, plus généralement, sur le monde luthérien, auquel on peut ajouter l’Ecosse calviniste. Mais le mécanisme de diffusion ne s’est pas arrêté en Europe. Les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada anglophone, issus de l’Angleterre des XVIIème et XIXème siècles, ont bénéficié dès leur fondation de ses taux d’alphabétisation élevés. L’Amérique latine a, pour ce qui la concerne, hérité du retard et des rythmes plus lents de l’Espagne et du Portugal. Mais, toujours, la colonisation s’est accompagnée d’une diffusion de l’alphabétisation qui, partout, a avancé à partir des points d’entrée ou de pression européens.

Luther en conceptualisant l’idée que la vérité théologique, ce qui a son époque constituait la quête majeure des homo sapiens, pouvait être trouvée sans la médiation d’un prêtre par l’accès direct au livre sacré du christianisme a entraîné plusieurs conséquences :

  • La première est ce besoin d’une alphabétisation générale ;
  • La seconde est le développement d’un esprit critique puisque chacun va pouvoir se faire sa propre opinion ;
  • La troisième est bien sûr que à travers l’alphabétisation et l’accès à la lecture et la culture, un formidable développement de l’innovation et du dynamisme économique va pouvoir s’épanouir

Concernant la deuxième conséquence, le développement de l’esprit critique, Luther va être confronté rapidement à un dilemme qu’il résoudra d’une manière qui nous apparaît aujourd’hui comme profondément condamnable. C’est ce que l’on va appeler « la guerre des paysans ».

Nous verrons cela au prochain mot du jour. Ce mot du jour ne sera pas publié lundi 30 octobre, parce que je prends une semaine de repos..

Au lundi 6 novembre donc.

<959>

Une réflexion au sujet de « Vendredi 27 octobre 2017 »

  • 27 octobre 2017 à 9 h 20 min
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    A ce stade de l’histoire il restait un pas à franchir, celui de la liberté absolue de conscience sans référence à une vérité d’ordre supérieur.
    Ce pas a largement été franchi depuis mais était-ce le pas de trop ?

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