Lundi 2 octobre 2017

“«Non, un homme ça s’empêche.
Voilà ce qu’est un homme,
ou sinon… »”
“Le père d’Albert Camus
Cité par Albert Camus dans « Le premier homme » page 65 et suiv.”

Je veux revenir sur ce fait divers d’une enfant de 11 ans qui a été la proie de la perversité d’un prédateur.

A la suite du commentaire de Benoit, j’ai mis un lien vers une pétition qui réclame une évolution de la Loi qui devrait mettre un âge en dessous duquel, le consentement ne peut pas exister. Je redonne le lien vers cette pétition : <ICI>

Alors, j’ai lu des réactions qui mettent en cause les parents de cette enfant qui auraient manqué de prudence, qui auraient du intervenir plus tôt après ce qu’a raconté leur enfant et la protéger du prédateur. C’est certainement vrai.

Mais pour moi, ce n’est en aucune façon ni une excuse, ni un argument qui peut s’entendre par rapport à la question fondamentale d’un homme de 28 ans qui abuse d’un enfant de 11 ans.

Si une femme ou un homme se promène nu dans la rue, il faut la ou le couvrir, peut-être lui mettre une amende pour atteinte aux bonnes mœurs. En aucune façon cela constitue le début du commencement d’une justification d’une agression sexuelle.

Et si la femme, car il faut quand même constater que c’est le corps des femmes qui posent problème à un certain nombre de mâle de l’espèce homo sapiens, est habillée de quelque manière que ce soit, il en va exactement de même.

Dans ce monde, où des penseurs commencent de plus en plus à développer les thèses de l’antispécisme, c’est-à-dire cette théorie qui consiste à ne plus faire de différence entre les espèces, donc entre les humains et les autres animaux, il me parait particulièrement important d’essayer d’esquisser ce que doit être un homme ou alors d’abdiquer et rallier les thèses de ces associations comme « L214» .

C’est alors que m’est revenu cet épisode dans lequel Albert Camus raconte la réaction de son père lors d’un acte ignoble d’hommes sur d’autres hommes : « Un homme ça s’empêche ! »

Albert Camus est mort à 46 ans, le 4 janvier 1960, sur le trajet de Lyon à Paris, au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, dans un accident de voiture.
Trois ans auparavant, le 16 octobre 1957, le prix Nobel de littérature lui avait été décerné.
Son père, Lucien Auguste Camus est mort au début de la première guerre mondiale, le 11 octobre 1914, alors qu’Albert n’avait pas encore un an.

« Le Premier Homme » est un roman autobiographique inachevé d’Albert Camus, publié par sa fille en 1994 aux éditions Gallimard. Albert Camus n’avait pas encore mis un titre à son nouveau manuscrit.
Le premier chapitre de ce livre s’intitule : « Recherche du père »

Dans ce livre, Albert Camus désigne son père sous le nom de Cormery et lui-même avait pris pour prénom Jacques.
Et il cite un épisode dans la vie de son père, en pleine période colonialiste dans lequel des hommes colonisés attaquent les soldats du colonisateur et agissent de manière ignoble, ce qui va entraîner la réplique du père d’Albert Camus :
Cet épisode met en scène le père de Camus et un autre soldat appelé Levesque qui trouve des excuses à ceux qui ont commis l’ignoble.

« Il était dans les zouaves.

Oui. Il a fait la guerre au Maroc.
C’était vrai. Il avait oublié. 1905, son père avait 20 ans. Il avait fait, comme on dit, du service actif contre les marocains.
Jacques se souvenait de ce que lui avait dit le directeur de son école lorsqu’il l’avait rencontré quelques années auparavant dans les rues d’Alger. Monsieur Lévesque avait été appelé en même temps que son père. Mais il n’était resté qu’un mois dans la même unité. Il avait mal connu Cormery selon lui, car ce dernier parlait peu.

Dur à la fatigue, taciturne, mais facile à vivre et équitable.
Une seule fois, Cormery avait paru hors de lui.
C’était la nuit, après une journée torride, dans ce coin de l’Atlas où le détachement campait au sommet d’une petite colline gardée par un défilé rocheux.
Cormery et Lévesque devaient relever la sentinelle au bas du défilé. Personne n’avait répondu à leurs appels.

Et au pied d’une haie de figuiers de barbarie, ils avaient trouvé leurs camarades la tête renversée, bizarrement tournée vers la Lune. Et d’abord il n’avait pas reconnu sa tête qui avait une forme étrange. Mais c’était tout simple. Il avait été égorgé, dans sa bouche, cette boursouflure livide était son sexe entier. C’est alors qu’ils avaient vu le corps ou jambes écartées, le pantalon de zouave fendu, et au milieu de la fente, dans le reflet cette fois indirect de la Lune, cette flaque marécageuse. À 100 m plus loin, derrière un gros rocher cette fois, la deuxième sentinelle avait été présentée de la même façon. […]

À l’aube, quand ils étaient remontés au camp, Cormery avait dit que les autres n’étaient pas des hommes.

Lévesque qui réfléchissait, avait répondu que, pour eux, c’était ainsi que devaient agir les hommes, qu’on était chez eux, et qu’ils usaient de tous les moyens.

Cormery avait pris son air buté. « Peut-être. Mais ils ont tort. Un homme ne fait pas ça. »

Lévesque avait dit que pour eux, dans certaines circonstances, un homme doit tout se permettre et tout détruire.

Mais Cormery avait crié comme pris de folie furieuse : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Et puis il s’était calmé. « Moi, avait-il dit d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche.»

Il y a des Français qui ne s’empêchent pas avait dit Lévesque.

Alors, eux non plus, ce ne sont pas des hommes. » »

Alors, ce ne sont pas des hommes.
Parce qu’un homme, ça s’empêche !

 

 

 

 

 

 

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2 réflexions au sujet de « Lundi 2 octobre 2017 »

  • 2 octobre 2017 à 10 h 27 min
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    Le problème est que la plupart des humains « s’empêchent » dans un cadre de références commun, dans des valeurs qu’ils partagent. La mondialisation et le brassage des populations ont mis à mal les valeurs dites communes, qui par ailleurs, sont essentiellement celles des sociétés occidentales.

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    • 24 mai 2022 à 0 h 19 min
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      Non, il ne parle pas de ça. Il part de ce qui différencie l’homme de l’animal. Heureusement qu’il existe encore un petit socle de valeurs communes, qui se réduit un peu plus chaque jour. Quand ce dont il parle est tellement évident, d’un point de vue moral, ou est plus dans l’universalisme, on est dans l’humanité. Et l’humanité ne sera jamais une question de point de vue.

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