Mercredi 6 septembre 2017

« Si nous n’avons pas parlé c’est parce que l’on n’a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter. »
Simone Veil

Simone Veil a été transportée avec sa mère et sa sœur dans un wagon à bestiaux vers Auschwitz. Le 71ème convoi dont elle était une des victimes comptait 1500 déportés, elle fit partie des 130 personnes qui revinrent.

Des atrocités se sont passées dans ces camps. Mais ce qui est inimaginable, c’est qu’au retour personne ou si peu ont voulu entendre ou écouter ce que ces rescapés de l’horreur avaient à raconter.

Simone Veil s’est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.

<France Culture> a publié une page avec des extraits radiophoniques de Simone Veil parlant de ce refoulement.

Il y a notamment ces propos de Simone Veil :

« Aujourd’hui, on refait beaucoup l’Histoire. On essaye de comprendre pourquoi on n’a pas plus parlé. Je crois que ça vaut la peine d’essayer de comprendre pourquoi mais qu’il ne faut pas refaire l’histoire autrement qu’elle n’a été en disant que c’est parce que les déportés n’ont pas voulu en parler, parce que les déportés ont cherché l’oubli eux-mêmes. Ce n’est pas vrai du tout. Il suffit de voir le nombre de rencontres qu’ils ont entre eux. Si nous n’avons pas parlé c’est parce que l’on n’a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter. Parce que ce qui est insupportable, c’est de parler et de ne pas être entendu. C’est insupportable. Et c’est arrivé tellement souvent, à nous tous. Que, quand nous commençons à évoquer, que nous disons quelque chose, il y a immédiatement l’interruption. La phrase qui vient couper, qui vient parler d’autre chose. Parce que nous gênons. Profondément, nous gênons.  ».

Ce fait historique : on ne voulait pas entendre les rescapés des camps : juifs, tziganes et homosexuels, je l’ai vraiment compris lors de mes études d’Histoire en 2004 à l’université de Lyon 2 lorsque la professeure d’Histoire, Sylvie Schweitzer, nous a parlé du conflit des Mémoires et du refoulement de certaines d’entre elles après la 2ème guerre mondiale.

En préambule, il faut faire une distinction radicale entre deux termes : L’Histoire et la mémoire.

L’Histoire est une discipline rigoureuse qui a l’ambition d’analyser scientifiquement le passé. La mémoire n’est ni rigoureuse, ni scientifique mais affective et donc subjective.

Quand on examine de manière rationnelle les mémoires après la seconde guerre mondiale, on constate un entrecroisement des mémoires, des conflits de mémoires et des mémoires refoulées comme celles des déportés.

Voici une esquisse de typologie de ces mémoires :

1°La mémoire triomphante des résistants. Des héros positifs, fascinants d’abord rebelles puis vainqueurs.

Nous savons désormais que la situation était très complexe, pendant longtemps il y eut peu de résistants, puis près de la victoire un grand nombre de résistants.

2° Parmi ces résistants, il y eut les résistants gaullistes et les résistants communistes. Le Parti communiste parvint à faire croire au mythe du parti des 75 000 fusillés. Il occulta totalement l’histoire du début de la guerre, de la soumission au pacte germano soviétique, ainsi que les sombres règlements de compte qu’il y eut entre diverses tendances du parti à la fin de la guerre, assassinats qui furent maquillés en exécution pour trahison. Ce n’est pas qu’il n’y eut pas de traitres, ni qu’il y eut beaucoup de communistes résistants à partir de l’invasion des nazis en Russie et qu’il n’y eut pas de communistes fusillés. Mais cette mémoire a longtemps été sélective et exagérée.

3° La mémoire repliée des prisonniers de guerre (1,4 millions de personnes) 100 000 morts dans les premières semaines. Ils ont perdu la guerre, ce sont des anti-héros.

4° La mémoire défensive des STO (service de travail obligatoire). Ils ont tenté après la guerre de faire reconnaître un statut de déporté du travail, mais ce statut a été refusé en raison d’une hiérarchie de la souffrance et de leur refus d’aller dans le maquis.

5° Il y eut aussi la mémoire controversée des « malgré-nous » que les allemands ont obligé à combattre à leurs côtés, notamment en Russie où il y eut de nombreux morts. Beaucoup d’entre eux se sentaient victimes, mais la majorité triomphante les classait dans la catégorie des traitres et des collaborateurs. Cette confusion entre le rôle de victime et de bourreau s’est particulièrement révélé lors du procès de Bordeaux où ont été jugés des soldats ayant participé au massacre d’Oradour sur Glane auquel participèrent des alsaciens. Cet épisode vit s’affronter une mémoire Limousine et une mémoire alsacienne comme le montre ce documentaire : Le procès d’Oradour

6° Il y eut la mémoire cachée des vichystes et des collaborateurs, dont beaucoup subirent d’abord une épuration sauvage et violente puis une épuration juridique plus maîtrisée. Ils ne disparurent pas mais restèrent cachés et silencieux quelques années.

7° Et enfin il y eut la mémoire blessée des déportés dont parle Simone Veil. Les signes de sollicitude furent peu nombreux. Et pendant de trop longues années l’oubli tomba comme un caveau sur cette mémoire douloureuse et terrible de peuples que les nazis ont voulu anéantir après leur avoir dénié leur humanité.

 

Ces mémoires entreront en compétition et au cours des années évolueront.

Mais ce mot du jour est déjà très long, je raconterai la suite demain.

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