Jeudi 26 mai 2016

«Une des règles d’airain de l’Histoire est que toute hiérarchie imaginaire désavoue ses origines fictionnelles et se prétend naturelle et inévitable.»
“Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité pages 163-165”

L’appel à l’imaginaire et où mythes constituent, selon Harari un point central de l’évolution de sapiens, notre espèce.

Dans son chapitre huit qu’il intitule « il n’y a pas de justice dans l’histoire », il remet en perspective à travers les exemples du code d’Hammourabi et de la proclamation d’indépendance de Philadelphie à la manière dont se sont structurées les sociétés des sapiens sur la base de ces textes et la manière dont ils se sont arrangés avec la réalité des faits.

Je cite :

« Comprendre l’histoire humaine dans les millénaires qui suivirent la Révolution agricole revient à répondre à une seule question : comment les hommes se sont-ils organisés en réseaux de coopération de masse, alors que leur manquaient les instincts biologiques nécessaires pour entretenir de tels réseaux ?

La réponse courte est qu’ils créèrent des ordres imaginaires et inventèrent des écritures. Ces deux inventions comblèrent les vides laissés par notre héritage biologique.

Pour beaucoup, cependant, l’apparition de ces réseaux fut une bénédiction douteuse. Les ordres imaginaires qui supportaient ces réseaux n’étaient ni neutres ni justes.

Ils divisèrent les gens en semblant de groupes hiérarchiquement organisés. Aux couches supérieures, les privilèges et le pouvoir, tandis que les couches inférieures souffraient de discrimination et d’oppression. Le code d’Hammourabi, par exemple, instaurait un ordre de préséance avec des supérieurs, des gens du commun et des esclaves. Les supérieurs avaient toutes les bonnes choses ; le commun devait se contenter des restes. Les esclaves étaient roués de coups s’ils se plaignaient.

Malgré sa proclamation de l’égalité de tous les hommes, l’ordre imaginaire instauré par les Américains en 1776 établit également une hiérarchie. Il créa une hiérarchie entre les hommes, qui en bénéficiaient et les femmes, qu’il laissa démunies ; mais aussi entre Blancs, qui jouissaient de la liberté, et Noirs et Indiens d’Amérique, considérés comme des hommes inférieurs qui ne pouvaient donc pas se prévaloir des droits égaux des hommes. Nombre des signataires de la Déclaration d’indépendance avaient des esclaves. Ils ne leur donnèrent pas la liberté à la signature, et ne se considéraient pas non plus comme des hypocrites. Dans leur idée, les droits des hommes n’avaient pas grand-chose à voir avec les Noirs.

L’ordre américain consacra également la hiérarchie entre riches et pauvres. En ce temps-là, l’inégalité liée au fait que les parents fortunés transmettaient leur argent et leurs affaires à leurs enfants ne choquait guère la plupart des Américains. […]

En 1776, [la liberté] ne signifie pas que les sans pouvoir (certainement pas les Noirs ou les Indiens ou, qu’à Dieu ne plaise, les Femmes) pouvaient conquérir et exercer le pouvoir. Elle voulait dire simplement que, sauf circonstances exceptionnelles, l’État ne pouvait confisquer les biens d’un citoyen ni lui dicter ce qu’il devait en faire. Ce faisant, l’ordre américain soutenait la hiérarchie de la richesse, que d’aucuns croyaient envoyée par Dieu, quand d’autres y voyaient l’expression des lois immuables de la nature. La nature, assurait-on, récompensait le mérite par la richesse et pénalisait l’indolence.

Toutes ces distinctions – entre personnes libres et esclaves, entre blancs et noirs, entre riches et pauvres – s’enracine dans des fictions.

Une des règles d’airain de l’Histoire est que toute hiérarchie imaginaire désavoue ses origines fictionnelles et se prétend naturelle et inévitable.

Ainsi, nombre de ceux qui estimaient naturelle et correcte la hiérarchie des hommes libres et des esclaves ont prétendu que l’esclavage n’était pas une invention humaine. Hammourabi la pensait ordonnée par les dieux. Selon Aristote, les esclaves ont une « nature servile » tandis que les hommes libres ont une « nature libre ». Leur place dans la société n’est qu’un reflet de leur nature intime. […]

Interrogez un capitaliste endurci sur la hiérarchie de la richesse, et il vous expliquera probablement qu’elle est le fruit inévitable de différences objectives de capacité. Dans son idée, les riches ont plus d’argent, parce qu’ils sont plus capables et plus diligents. Il n’y a donc pas à s’inquiéter que les nantis jouissent de meilleurs soins ou d’une éducation et d’une alimentation meilleures. Les riches méritent amplement tous les avantages dont ils jouissent.»

Et alors, direz-vous ?

Eh bien, on nous raconte des histoires, nous nous racontons des histoires, des fictions et nous y croyons. Tout cela est le fruit de notre imagination fertile. La réalité est tout autre, mais les fictions nous la cachent comme un filtre qui donne d’autres couleurs à la réalité.

Finalement, toutes ces histoires permettent aux sociétés de ne pas se désagréger, aux puissants de trouver une justification à leur prééminence et aux faibles d’accepter leur sort.

Décapant est un des premiers mots que j’avais utilisé.

Au fait, avez-vous acheté ou emprunté « Sapiens » ?
Je joins la photo pour que vous puissiez aisément le reconnaître

 

 

 

 

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