Mardi 26 avril 2016

Mardi 26 avril 2016
«Le salaire est une charge, un coût, quelque chose de négatif qu’il faut réduire. Les dividendes des actionnaires et les bonus des patrons sont des parts de profit donc positifs.
Le mépris du salarié, c’est dans nos règles comptables qu’il est inscrit.»
Paul Jorion
Je ne veux pas plomber l’ambiance !
Je ne parlerai donc pas du dernier ouvrage de Paul Jorion : <Le dernier qui s’en va éteint la lumière>
Je parlerai plutôt de ce patron, Henry Engelhardt, PDG du groupe d’assurance automobile britannique Admiral, qui a décidé, d‘offrir 9 millions d’euros de primes à tous ses employés à l’occasion de son départ à la retraite, le 12 mai prochain. « C’est une façon de dire merci » a-t-il simplement précisé.
Je ne veux pas plomber l’ambiance !
Je ne parlerai donc pas des sombres prévisions qu’a révélées Paul Jorion dans son entretien du 25 mars 2016 avec Patrick Cohen qui le recevait pour évoquer son livre. <Le dernier qui s’en va éteint la lumière>.
Je parlerai  plutôt de la générosité de Bernard Arnault, patron de LVHM, qui a fait un don à un de ses anciens salariés qu’il avait licencié et qui non seulement survivait avec  400 euros par mois, mais qui, en outre, était à la veille de perdre sa maison qui devait être saisie par huissier. Certes, la générosité du milliardaire français n’est pas aussi spontanée que celle de Henry Engelhardt, comme le montre <Merci Patron> que j’ai enfin vu. En effet, il faut toute la ruse et les stratagèmes de François Ruffin, le créateur de Fakir, pour déclencher la générosité contenue et intéressée de Bernard Arnault. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore vue, comme Pascale l’a fait pour moi, je vous conseille d’aller le voir.
Bernard Arnault prétend ne pas l’avoir vu, je peux comprendre. Il doit être quand même difficile d’entendre que son ancien salarié qu’il a licencié avec des centaines d’autres pour augmenter les bénéfices de LVMH, doit jeûner plusieurs jours par mois parce que les 400 euros qu’il touche ne lui permettent pas de manger tous les jours.
Paul Jorion qui rappelons est un anthropologue ayant travaillé dans des banques américaines dans le domaine du trading décortique les codes de l’Economie, qui n’est pas une science mais une construction humaine pour justifier la répartition des richesses. Il écrit énormément d’ouvrages et tient un blog étonnant et décapant.
Kaizen est un mensuel fondé par Cyril Dion le réalisateur du film «Demain». Kaizen est un mot japonais qui signifie «changement bon». Kaizen a organisé, pour ses lecteurs, une conférence le 23 mars au Goethe-Institut de Paris où il avait invité Paul Jorion. J’ai lu dans le dernier numéro de ce magazine : «Au fur et à mesure de la conférence, nous avons pu constater un mécontentement manifeste plutôt unanime dans le public.»
Bref, Paul Jorion avait plombé l’ambiance !
Malgré tout, je voudrai partager deux réflexions de Paul Jorion, qu’il a développé lors du 7/9 du 25 mars de Patrick Cohen.
La première concerne la croissance et l’argent.
Vous savez que l’argent constitue le fluide qui permet de faire fonctionner l’économie. Or l’immense majorité de l’argent est créée par les banques, quand un acteur économique obtient un prêt pour investir. Quand la banque dispose de suffisamment de garantie pour estimer que le prêt sera remboursé, elle l’accorde. Le fait d’accorder le prêt, conduit la banque à inscrire, dans ses comptes, le montant du prêt. Cet argent, la banque ne l’a pas. Elle doit bien disposer d’une certaine assise financière pour avoir le droit de prêter, mais la somme d’argent correspondant au prêt n’est pas prélevé sur le compte d’un épargnant pour être versé sur le compte de l’emprunteur. Non ! L’argent est créé, ex nihilo, par son inscription au bénéfice de l’emprunteur.
Et c’est là que Jorion explique la relation entre la dette, l’argent et la croissance.
Le système économique a besoin de la dette, puisque c’est par la dette que l’argent est créé.
La dette doit être remboursée avec un intérêt. Il faut rembourser plus que l’emprunt, ce plus est donné par la croissance. S’il n’y a pas de croissance, on ne peut pas rembourser les intérêts de la dette.
La dette, l’argent et la croissance sont dans notre système intimement liés.
Or la croissance est en panne, faible. Certains affirment même que la croissance infinie n’est pas supportable dans le monde fini de la terre.
C’est ainsi que la dette continue à croitre et n’est plus remboursable.
Ce sont donc bien les fondements du fonctionnement du système qui sont en cause.
La seconde concerne la comptabilité et le regard qu’on porte sur la rémunération des salariés et la rémunération des actionnaires. Je cite de mémoire : «Nous avons admis que la rémunération des salariés était le salaire et que le salaire était une charge, un coût, quelque chose de négatif qu’il fallait réduire, minimiser. Le profit était une chose positive qu’il fallait maximiser. Les dividendes des actionnaires et les bonus des patrons sont des parts de profit donc positifs.
Le mépris du salarié, c’est dans nos règles comptables qu’il est inscrit.»
Ce ne sont pas les propos d’un économiste orthodoxe, mais Jorion jette un regard décalé sur ce que chacun estime la normalité du fonctionnement de l’Economie.
Normalité qui est remarquablement mise en lumière dans le film «Merci Patron».
Ce regard décalé je le trouve fécond.