Lundi 4 avril 2016

Lundi 4 avril 2016
« [Quelle est pour vous la date historique la plus importante ? ]
Pour moi, c’est 1664… Kronenbourg »
Jacques Chirac
lorsqu’il était premier ministre de cohabitation sous la présidence de François Mitterrand [1986-1988]
Je tire cette formule chiraquienne du livre de Philippe de Villiers : <Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu> chez Albin Michel paru en septembre 2015
Voici l’extrait duquel j’ai tiré ce mot du jour :
« Je me souviens d’un grand dîner avec Mitterrand et d’autres dirigeants européens, à l’Élysée. Chacun y allait de sa date favorite en Europe, au nom de son pays.
C’est Margaret Thatcher qui commença :
Pour moi, la date importante, c’est 1215, la Grande charte.
Pour moi, enchaîne Helmut Kohl, c’est 1648 le traité de Westphalie, la nouvelle Europe.
Pour moi, poursuit Mitterrand sur le temps long, c’est 496, le baptême de la France.
Chirac n’a encore rien dit. Il prend un air stratosphérique et inspiré. Il est à ses libations, les yeux dans sa bière. Mitterrand se tourne vers lui :
Et vous, Monsieur Chirac, votre date européenne ?
Pour moi, c’est 1664… Kronenbourg. Alors il lève sa pinte avec fierté. C’était une manière de dire : « je m’en fous. » […]
L’Histoire de France ne lui dit pas grand-chose. Il n’entre pas dans les cathédrales. Il préfère aux arts florissants les arts premiers. Dans son bureau trône un rhinocéros rescapé de l’inondation de Lisbonne. Les murs sont tapissés de masques africains. Il n’aime, dans l’histoire, que celle d’avant et celle d’après. »
Philippe de Villiers : Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu – Page 36
Personne ne fera l’injure à Jacques Chirac de le penser ignare et d’avoir répondu par ce trait d’humour, parce que sa culture ne lui permettait pas de trouver une date historique.
Non ! L’explication de Philippe de Villiers est la bonne, il s’en foutait ! Pour lui l’Histoire n’est pas importante.
Certains continuent à trouver Jacques Chirac très sympathique et presque à regretter sa présidence surtout après les deux présidents qui l’ont suivi et qui avec des qualités et surtout des défauts différents ont continué à laisser la France s’enfoncer dans la crise de confiance qui précède sans doute la crise économique et sociale.
Certains d’entre vous trouveront peut-être même cette repartie, très drôle, face à Thatcher, Kohl et Mitterrand.
Ce n’est pas l’avis de Philippe de Villiers qui a la critique très dure à l’égard de la classe politique française en générale et de Jacques Chirac en particulier.
A priori, je n’ai pas beaucoup d’«atomes crochus » avec Philippe de Villiers, très à droite, très souverainiste, pourtant lorsque je l’ai entendu<dans l’émission de Bourdin pour présenter son livre>, je l’ai trouvé intéressant, de sorte que j’ai immédiatement réservé son livre à la bibliothèque de Lyon. Mais étant donné son succès, je n’ai pu l’obtenir que la semaine dernière. Bien que je ne partage pas un grand nombre des idées de cet homme j’ai trouvé son livre passionnant. Je crois qu’il est toujours très fécond d’écouter ou de lire ceux qui ne pensent pas comme nous, il peut arriver qu’ils disent des choses très interpellantes qui nous poussent à réfléchir et approfondir notre réflexion. Tel est le cas de ce livre.
La classe politique qui nous gouverne n’a plus d’intérêt pour l’Histoire et n’a pas non plus une vision pour l’avenir. Tous ces hommes et femmes sortent de l’ENA et Philippe de Villiers faite cette description et analyse saisissantes :
« Je suis un rescapé. J’ai failli sombrer. J’ai fait l’ENA. Ce n’est pas une école, c’est un moule, un laminoir sémantique qui vous broie : vous y entrez avec 3000 mots, vous en sortez avec 30 seulement, le cerveau formaté, hors de vos neurones et le cœur vide. […]
A l’ENA on m’a appris l’informatique, la comptabilité publique, la fiscalité, les statistiques, la psychosociologie. Il n’y avait rien, dans l’enseignement, qui toucha à l’Histoire, aux cultures, au Temps long., Depuis l’arrivée de Richard Descoings, la même déculturation a gagné Sciences-po. Ce qui constitue un désastre pour cette école qui était le creuset des futures élites politiques mais aussi économiques et médiatiques. Un désastre purement français. On enseigne plus les Humanités en France.
A l’ENA, on apprend à extrapoler plutôt qu’à innover.
Cette école est un décalque mimétique et formel. On ne cherche pas à penser, à réfléchir mais à reproduire. […]
Comme on ne croit pas à la profondeur historique, la vie est un divertissement et la pédagogie une posture. L’immaturité préside à toutes les épreuves qui ont un caractère ludique superficiel largement fondé sur l’esprit du  temps, l’esprit sartrien de dérision.
On met le monde en fiche et on récite ces fiches. La culture en 40 000 fiches. C’est un jeu. Les énarques savent tout et rien d’autre.
Au concours d’entrée, il y avait la fameuse épreuve du grand oral. Il ne s’agit pas d’observer les qualités de discernement mais l’esprit de répartie. Alors le jury s’amuse à poser des questions cocasses auquel l’impétrant doit répondre par des saillies loufoques :
Monsieur Dupont vous avez parlé de la ville de Vienne tout à l’heure. Quelle est donc la profondeur du Danube à Vienne ?
Sous quel pont, Monsieur le conseiller d’État ?
Voici la bonne réponse. Elle circule dans tous les couloirs. L’élève a eu 15/20.
Mademoiselle accepteriez d’épouser un noir ?
Oui si c’était un mariage blanc.
La jeune fille a eu 17/20
Mademoiselle pouvez-vous nous parler de l’amour ?
L’amour est un fleuve russe qui prend sa source en Mongolie dans les monts Kentaï et se jette dans le détroit de Tartarie vers l’océan Pacifique. Il est très infidèle car il quitte souvent son lit mais à la fin il y revient.
La jeune fille Sophie a été major de la promo. […]
Cette école nationale de l’arrogance se nourrit de la croyance qu’on va pouvoir changer la société par décret […] je me souviens d’un examen emblématique qui portait cette utopie, « l’épreuve sur dossier » : je crois qu’elle durait six bonnes heures. Nous avions, sous les yeux, un dossier à sangle, rempli de documents d’information. La note introductive décrivait un problème de la société française et il s’agissait pour y répondre, de proposer un texte, un décret qui ferait disparaître le problème. Vous vous imaginez ? Un type tout seul, dans son coin, qui va faire disparaître un problème d’un seul jet d’encre en barbouillant un arrêté !
Il y a là quelque chose de faustien : en six heures, on va réformer la société.
[…] Cette noble institution de la république obéit à une logique froide. C’est une machine à classer : un concours passé à 25 ans oriente toute une vie professionnelle. Ce n’est jamais que le retour à la société de de la fin de l’ancien régime : les fils de la grande noblesse se retrouvaient colonel à 20 ans quand ceux de la noblesse seconde, blanchi sous le harnais, finissaient péniblement lieutenant-colonel. » Pages 21 à 26
Je vais vous faire une confidence, je ne trouve pas la saillie de Chirac : « 1664… Kronenbourg » très drôle, ni très opportune.
Au moins, on apprend qu’avant d’aimer la Corona, fameuse bière mexicaine, il aimait la bière française et alsacienne.
Mais Jacques Chirac, n’est qu’un parmi beaucoup d’autres qui ont accompagné la stagnation française sans agir pour essayer d’emprunter d’autres voies.