Jeudi 18 février 2016

Jeudi 18 février 2016
« Quand les oligarques rachètent les médias : quels risques pour la démocratie ? »
Guillaume Erner
C’est dans l’émission <les matins de France Culture​ du 17 septembre dernier> que Guillaume Erner a posé cette question dont j’ai fait l’exergue du mot du jour pour parler de la propriété des médias en France.
Je voudrais commencer par 5 Unes de journaux français le lendemain du remaniement gouvernemental qui vient d’avoir lieu. D’abord le Parisien, Libération et le Figaro qui manifestent de l’ironie et des critiques acerbes.
La plupart des journaux français ont fait la même chose, sauf deux : La dépêche du Midi et Midi Libre.
Il est bien normal que dans la diversité des médias français on trouve deux journaux bienveillants…
Pour cette occasion ce sont les seuls.
Et c’est pourquoi la personne avisée va demander à qui appartiennent ces deux journaux ?
L’actionnaire principal de ces deux journaux est M Jean-Michel Baylet qui vient d’être nommé au gouvernement.
Il est donc cohérent que ces deux journaux ne critiquent pas un gouvernement dont fait partie leur patron.
C’est pourquoi il est toujours important de savoir à qui appartient le journal qu’on lit et qui a vocation à nous informer et cela même quand il s’agit d’un journal gratuit. Jean-Michel Baylet reste cependant un oligarque local et modeste en comparaison des autres qui sont cités dans l’émission des matins.
J’en cite quelques extraits :  «Guillaume Erner a reçu  Julia Cagé professeur d’économie à Sciences Po Paris, Daniel Schneidermann, journaliste à Libération, directeur du site Arrêt sur images, Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation IFRAP dans son émission « L’Invité des Matins » sur France Culture sur le thème : « Quand les oligarques rachètent les médias : quels risques pour la démocratie ? »
Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po Paris, auteur de « Sauver les médias : capitalisme, financement participatif et démocratie » aux Éditions du Seuil, ouvre le débat et prend la parole en parlant de la loi de régulation des médias de 1986 qui garantit l’indépendance et le pluralisme des médias. Dans un contexte de crise économique, les médias perdent de l’argent, la presse papier est déficitaire (Libération, l’Express) et connaît une crise transitoire : certains titres n’ont pas encore trouvé de modèle numérique et souffrent de la baisse des recettes publicitaires. […]
De nombreux titres de presse écrite sont rachetés par de grands groupes industriels qui ne viennent pas du secteur des médias. Daniel Schneidermann, journaliste à Libération, directeur du site arretsurimage.net depuis 2008 aborde le cas Vincent Bolloré (Canal+, Vivendi, Universal Music Group, i-Télé) qui a pris les manettes de Canal+ et qui est dans une logique de censure et de déprogrammation de documentaires aux sujets sensibles. Il a notamment fait déprogrammer le reportage sur le Crédit Mutuel, partenaire du groupe Bolloré.
Daniel Schneidermann fait une distinction selon les oligarques. Il cite Xavier Niel (Le Monde, Le Nouvel Observateur, Télérama) qui investit dans les journaux (Le Nouvel Observateur) et recrute des journalistes tandis que Patrick Drahi (Libération, L’Express, BFM TV, RMC) est dans une logique de réduction du nombre des journalistes à Libération, de plan social drastique, de clause de cession agressive à l’Express.
« Lorsqu’on a comme patron un Drahi ou un Xavier Niel ou un Bernard Arnault évidemment, lorsqu’il s’agit d’écrire sur des sujets qui touchent directement ou indirectement votre patron, vous ne pouvez pas écrire sans avoir une plume qui tremble ou en tout cas sans savoir que celui qui vous rémunère chaque mois est aussi au bout de votre plume. »
Guillaume Erner Brice Couturier, co-producteur et éditorialiste explique le processus dramatique de rachat de la presse et des télévisions par les industriels des télécommunications (Bouygues, Free, Orange, SFR) qui rachètent des médias pour avoir du contenu sur les mobiles et les tablettes : « Les tuyaux formidablement enrichis rachètent les pourvoyeurs de contenus ruinés par la révolution numérique » selon la logique de Jean-Marie Messier (groupe Vivendi) du contenu et du contenant et du contrôle des canalisations (les câbles de communications) et ce qu’elles véhiculent (les flux d’informations). […]
Selon Julia Cagé, […] l’information est un bien public qui devrait rester libre, dégagée de toute pression et influence politiques, indépendante et plurielle.
La question des aides ciblées, directes et indirectes publiques de l’État à la presse est également posée. Ces aides ne sont pas toutes tournées vers des médias d’information mais dans la presse en général. Afin de garantir le pluralisme de la presse, il faudrait, selon Julia Cagé, redistribuer les aides publiques vers des médias de presse indépendants. Certains médias ont fait le choix de ne pas accepter les aides publiques de l’État comme Mediapart et Arrêt sur Images qui fonctionnent en partie sur le modèle du financement participatif de ses lecteurs.
Les industriels sous contrat avec l’État ne devraient pas posséder de médias afin d’éviter les effets de connivence entre politique et médias. Le journaliste Guillaume Erner cite Julia Cagé dans l’hebdomadaire La Tribune : « Posséder des titres de presse ouvre des portes auprès des parlementaires, des membres du gouvernement et de leurs cabinets donc des contacts directs pour aborder les questions de régulation. »
La solution pour garantir l’indépendance des rédactions serait d’avoir une presse sans aide de l’État, sans publicité, financée par les lecteurs, les journalistes, les actionnaires minoritaires. Daniel Schneidermann, dans son mot de la fin, préconise l’abonnement des citoyens à la presse en ligne indépendante, seule vraie garante de la démocratie.»
Et Brice Couturier dans son billet du 29.10.2015 revient sur le cas de Vincent Bolloré : «Dans son cas, on peut véritablement parler d’empire. Voilà un businessman qui a affiché d’emblée ses ambitions – créer « un groupe industriel intégrés dans les contenus » ; avec l’idée qu’en les faisant fonctionner tous ensemble, les uns emboîtés dans les autres, on peut gagner beaucoup d’argent. Pardon, qu’en « combinant toutes ces activités, il est possible de dégager beaucoup plus de valeur. »
Bolloré pris à la hussarde le contrôle de Havas dont il a revendu récemment une partie du capital. Il a eu le culot de vendre SFR à Altice Numericable (Patrick Drahi) à la barbe d’Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui soutenait l’offre de Bouygues. Bénéfice : autour de 17 milliards. Ça permet de voir venir. Lui réinvestit immédiatement : 80 % de Dailymotion, le seul vrai concurrent de l’Américain Youtube. Il vient de « monter », comme on dit au capital de deux des fleurons français des jeux vidéo, Ubisoft et Gameloft. Mais Bolloré est surtout, avec Vivendi, le patron de Canal + et d’Universal Music Group (40 % du marché mondial de la musique…). Ne croyez pas que Bolloré, en vendant SFR, ait renoncé à être présent dans les télécoms. Il a réinvesti 3 milliards dans Telecom Italia et possède un certain nombre d’autres opérateurs téléphoniques à travers le monde.
La stratégie consistant à créer des synergies entre propriétaires de tuyaux et créateurs ou propriétaires de contenus n’est pas une marotte française. On la voit partout à l’œuvre. AT&T, numéro 1 du mobile aux Etats-Unis a ainsi fusionné avec le bouquet Direct TV. En réalité, tout le monde parie sur le fait que la télévision va basculer sur le Net, en passant du hertzien à la fibre optique. Les nouvelles générations veulent contrôler à tout moment ce qu’elles ont envie de regarder, au lieu de subir un programme conçu en fonction d’une grille. Si les opérateurs veulent garder le contrôle des contenus et surtout les faire payer, quoi de plus simple que de les produire eux-mêmes.»
Les médias sont essentiels pour notre information. Croire qu’Internet et les réseaux sociaux suffiront pour donner une information libre, intelligible et vérifiée est singulièrement naïf. Internet est un formidable support de rumeurs et de désinformation.
Il est nécessaire ici comme dans d’autres cas d’accepter de payer des abonnements, prix de notre liberté.
Et pour finir un schéma qui fait la synthèse des grands groupes média de France :
Vous trouverez ce schéma derrière ce lien : http://www.filpac.cgt.fr/spip.php?article10311
Oui parce qu’avant d’être la compagne de Fabius, elle fut l’épouse de Jean-Michel Baylet.
C’est rassurant que des ex époux conservent de bonnes relations !