Lundi 30 novembre 2015

« Enterrer les morts et réparer les vivants. »
Anton Tchekov – Platonov

Le président de la république, lors de son discours, aux invalides en hommage aux victimes du 13 novembre, a eu cette phrase :

« Nous rassemblerons nos forces pour apaiser les douleurs et après avoir enterré les morts, il nous reviendra de réparer les vivants ».

Cette formule « réparer les vivants » a, dans un premier temps, évoqué un ouvrage récent de Maylis de Kerangal qui retrace le parcours du cœur d’un jeune homme décédé le matin dans un accident de voiture, cœur qui sera transplanté dans la journée.

Le sujet principal du livre étant « le cœur » qui va du mort au vivant.

Mais l’origine de cette phrase se trouve dans une pièce de théâtre d’Anton Tchekhov « Platonov » qu’il a écrit à l’âge de 18 ans et qui n’a jamais été joué de son vivant. Wikipedia nous apprend que cette pièce a été retrouvée en 1921, alors qu’il était mort depuis 17 ans.

C’est une réponse à une question :

« Que faire Nicolas ? »

Et la réplique :

« Enterrer les morts et réparer les vivants. ».

C’est le chemin que doit emprunter toute personne qui est dans le deuil, qu’il s’agisse d’un deuil personnel intime de sa mère, de son père, de l’être aimé ou pire d’un enfant.

C’est bien sûr aussi ce qu’il faut faire quand une collectivité, comme la nôtre, est frappée par le deuil. François Hollande a su le dire.

Et il a fini son hommage par une autre phrase qui fait écho à l’Histoire. Lors de son fabuleux discours pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin, André Malraux avait lancé :

« Jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France…».

Aux Invalides, la conclusion de François Hollande

« Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France. »

Ce fut, en effet un discours de qualité, j’ai été ému.

Mais, il n’en reste pas moins que François Hollande, n’est pas un orateur du niveau d’André Malraux ni même plus récemment de François Mitterrand. Il y a la voix, le ton, les hésitations qui ont été cependant moins fréquentes lors de ce discours.

Mais j’ai compris quelque chose, grâce à ce discours, qui fut son meilleur. Il abuse souvent de la répétition.

Il commence par une belle introduction :

« C’est parce qu’ils étaient la vie qu’ils ont été tués. C’est parce qu’ils étaient la France qu’ils ont été abattus. C’est parce qu’ils étaient la liberté qu’ils ont été massacrés. »

Dans cette accumulation, il ne se répète pas, chaque phrase dit autre chose de la même réalité. En cela, il y a un crescendo qui révèle de la force dans le discours.

Mais quand il dit :

« C’est cette harmonie qu’ils voulaient casser, briser ». Briser n’apporte rien à casser et réciproquement.

Plus loin il dit :

« Que veulent les terroristes ? Nous diviser, nous opposer, nous jeter les uns contre les autres. »

Dans ces deux cas il aurait été beaucoup plus fort de dire simplement « C’est cette harmonie qu’ils voulaient briser » et « Les terroristes veulent nous jeter les uns contre les autres. »

C’est parce que ce discours était très bon et émouvant que j’ai pu comprendre cela.

Il s’agit de sa marque de fabrique, l’utilisation de plusieurs termes pour dire la même chose. J’interprète cela comme la révélation que cet homme ne sait pas choisir. Il ne sait pas décider, aller à l’essentiel, sélectionner le meilleur mot entre « casser » et « briser », alors il prend les deux.

Vous allez me répondre, mais comme chef de guerre, il sait décider !

Peut-être.

Mais sommes-nous vraiment en guerre ?

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