Mercredi 12 octobre 2016

Mercredi 12 octobre 2016
«Projet 226»
Nom d’une manipulation de l’industrie sucrière aux Etats-Unis en 1965
C’est toujours l’argent qui est la cause de cette manipulation qui a eu lieu aux Etats Unis dans les années 1960 et qui a été révélé récemment. La revue de presse internationale de Thomas Cluzel sur France Culture du 14/09/2016 a signalé un article du New York Times où on apprend que l’industrie du sucre a agi de la même manière que l’industrie du tabac pour essayer de cacher le fait qu’elle vendait un produit dont la consommation à haute dose était mauvaise pour la santé :
«Au milieu de la masse d’informations et alors que circulent de plus en plus de théories du complot, c’est peu de dire que les partisans de la vérité doivent aujourd’hui redoubler d’efforts pour rassembler des preuves. C’est le cas, en particulier, de ce chercheur de l’université de Californie à San Francisco dont THE NEW YORK TIMES nous apprend qu’il a récemment découvert des documents internes à l’industrie du sucre. Ces documents inédits, datant de la fin des années 1960, révèlent comment un géant de l’agroalimentaire a faussé les règles en matière de nutrition, en prétendant que les risques de maladies cardio-vasculaires n’étaient pas liés à la consommation de sucre.
Ces documents ont d’abord fait l’objet d’une publication, lundi, dans la revue JAMA INTERNAL MEDICINE avant d’être repris par l’ensemble de la presse anglo-saxonne. Et sans entrer dans les détails de cette vaste mystification (un scandale très proche, d’ailleurs, de ceux liés aux marchands de tabac), on retient que, des décennies durant, l’industrie sucrière a menti en vantant les prétendus mérites de ses produits.
Elle a menti ou plus exactement elle a réussi à nous tromper et mieux encore, à nous convaincre. Car comme l’explique un professeur de psychologie à l’université d’Austin, interrogé par le magazine QUARTZ : «Si je commence à vous dire en quoi vous avez tort, cela ne crée aucune envie en vous de coopérer. Mais si je commence par dire “vous avez raison sur ce point, je pense que ce sont des problèmes importants”, alors vous donnez à votre interlocuteur une raison de coopérer.» Et c’est ce qu’a bien compris l’industrie sucrière qui, en 1965, a lancé ce qu’elle a appelé le «Projet 226», qui consistait à financer des scientifiques de Harvard pour publier une étude dans le prestigieux NEW ENGLAND JOURNAL OF MEDICINE sur le sucre, les graisses et les maladies cardiaques. Ce faisant, sans nier les risques liés aux maladies cardio-vasculaires, l’industrie a réussi le tour de force de faire dérailler la discussion à propos du sucre. Comment ? En se contentant de minimiser le rôle du sucre dans ces pathologies, tout en incriminant à sa place le rôle du gras. De telle sorte que pendant de nombreuses décennies, les responsables de la santé ont donc encouragé les Américains à réduire leur consommation de matières grasses, ce qui a conduit beaucoup de gens à consommer des aliments à faible teneur en graisses mais, en revanche, hautement sucrés.
Parmi les plus de 700 commentaires liés à l’article du NEW YORK TIMES, LE TEMPS a notamment relevé celui-ci : ce scandale est «un exemple dégoûtant de plus du pouvoir du néolibéralisme capitaliste sur les populations». Mais surtout cette gigantesque arnaque donne raison, 350 ans plus tard, à l’inventeur de la machine à calculer et qui s’intéressait, aussi, à la psychologie humaine : Blaise Pascal. Dans “Les Pensées”, il donne en effet une méthode extrêmement efficace pour parvenir à faire changer d’avis une personne. La chose essentielle, explique le philosophe dans un fragment repéré par le site BRAIN PICKINGS, est de prendre en considération son interlocuteur et les arguments qu’il avance. Car le mépris ne fait que braquer la personne en face. En clair, il n’y a pas de raisonnement faux, dit en substance Pascal, il n’y a que des raisonnements incomplets. Envisager sous cet angle, personne ne se trompe totalement, vous vous contenter de faire entendre à votre interlocuteur qu’il ne détient simplement qu’un morceau de vérité. Et c’est ainsi qu’utilisé à des fins purement mercantiles et hautement dommageables sur la santé, un géant de l’agroalimentaire a réussi, tout en pointant les risques liés aux maladies cardiaques, à faire porter le chapeau sur les graisses saturées plutôt que sur le sucre, alors même que les deux sont des facteurs de risques tout aussi importants.
Et le magazine SLATE d’en conclure : nous sommes entrés aujourd’hui dans l’ère du mensonge, où certains n’hésitent plus, désormais, à affirmer des choses qu’ils savent pertinemment fausses. Bref, une ère où nous avons, en réalité, plus que jamais besoin de Pascal, pour changer les esprits mais dans le bon sens, cette fois-ci, c’est-à-dire en les conduisant à penser de manière plus précise et plus vraie.
Dans cette recherche de la vérité, Pascal ajoute qu’il peut être utile de bien connaître celui qu’on veut persuader
Quelle que soit la chose dont on cherche à persuader l’autre, il faut d’abord savoir à qui on s’adresse, connaître son cœur, son esprit, ses principes. Et ensuite seulement, chercher (dans la chose dont il s’agit), les rapports que cette personne entretient avec ses principes avoués.»
Quand on parle d’industrie sucrière, on semble parler d’un concept éthéré, d’un objet virtuel comme lorsqu’on évoque le système financier ou l’industrie pharmaceutique ou encore l’industrie nucléaire.
Ces entités sont des constructions juridiques qui cachent la réalité qui est simplement constituée d’un petit groupe d’humains qui n’ont aucun souci de l’intérêt général mais simplement le goût du seul profit et qui pour protéger cette soif sans limite, sont prêts quasi toujours à toutes les compromissions pour parvenir à leur fin.
Et ces humains criminels ne sont jamais sanctionnés. Si la justice, dans de très rares cas, les poursuit quand même personnellement, des armées d’avocats arrivent à faire traîner les choses jusqu’à ce que la mort les fassent échapper à la justice humaine.
Prenons simplement le scandale du Mediator qui a débuté en 1998, année où en savait qu’il était dangereux et que des gens sans scrupules et soucieux de continuer à gagner beaucoup d’argent n’ont pas agi conformément à l’éthique. Il a fallu des années pour convaincre la justice d’intervenir et elle fut tant empêchée que Jacques Servier a eu le temps de mourir en 2014 avant le procès qui devait le mettre en cause.