Jeudi 29 septembre 2016

Jeudi 29 septembre 2016
« Il y a deux mille ans la France s’appelait la Gaule »
Ernest Lavisse
Michel Rocard disait «La France va très mal. Le cœur de ce malaise reste économique.» (mot du jour du 7 septembre 2016)
L’ancien président qui projette l’idée de le redevenir parle peu d’économie et beaucoup de sécurité et d’identité.
Il a donc déclaré le 19 septembre à  Franconville, dans le Val d’Oise «Dès que l’on devient Français, nos ancêtres sont Gaulois».
Les sondages semblent lui donner raison, il rattrapent son retard sur son concurrent le plus sérieux.
La stratégie politique lui donne aussi raison puisque Alain Juppé ne parle plus d’économie et d’éducation mais réplique à Nicolas Sarkozy.
Les grands stratèges militaires le disent tous : si vous parvenez à attirer votre adversaire sur le terrain que vous avez choisi, la victoire est en vue.
Et ce grand stratège politique (nous savons cependant que les qualités pour gagner les élections sont assez éloignées de celles qu’il faut pour bien gouverner) continuent son récit :« Nos ancêtres étaient les Gaulois  mais aussi les tirailleurs musulmans morts à Monte Cassino », a-t-il ajouté samedi 24 septembre.
Mais revenons à nos ancêtres gaulois. Les gens de ma génération l’ont appris à l’école et nous qui sommes des gens raisonnables, nous savons que nous devons nous méfier de ce qu’on raconte à la télévision, dans les publicités et ce que disent les hommes politiques. Mais ce qu’on a appris à l’école, c’est la vérité et même dirait Régis Debray c’est “sacré”.
Je n’avais pas beaucoup remis en cause cet apprentissage de l’école primaire. Mais vous savez que j’ai débuté des études d’Histoire à l’Université de Lyon 2 en 2003  et j’ai eu comme professeur Yves Roman qui était professeur d’Histoire romaine. C’était un homme érudit et qui a écrit de nombreux livres savants sur l’Histoire romaine.
Bien qu’il fût érudit, il avait besoin  de manger à midi et pour ce faire il fréquentait la cantine de la Direction des Finances du Rhône que j’utilisais également.
Ainsi, si nos horaires coïncidaient, nous déjeunions ensemble pour parler de choses et d’autres et surtout d’Histoire.
Et comme il avait aussi écrit un livre sur la Gaule, il m’initia aux mythes de la Gaule.
Dans le monde des grands historiens, le premier à écrire une Histoire de France fut Jules Michelet (1798-1874).
Le suivant fut Ernest Lavisse (1842-1922). Cet historien fut très affecté par la défaite de la France en 1870. Par la suite, il influença énormément l’enseignement de l’Histoire dans les écoles en France. Les manuels scolaires étant directement inspirés par ses ouvrages.
Dans Wikipedia, nous apprenons ainsi que selon l’enseignement d’Ernest Lavisse :
« Autrefois notre pays s’appelait la Gaule et les habitants s’appelaient les Gaulois » (cours élémentaire),
ou « Il y a deux mille ans la France s’appelait la Gaule » (cours moyen).
« Nous ne savons pas au juste combien il y avait de Gaulois avant l’arrivée des Romains. On suppose qu’ils étaient quatre millions » (conclusions du livre I du cours moyen).
« Les Romains qui vinrent s’établir en Gaule étaient en petit nombre. Les Francs n’étaient pas nombreux non plus, Clovis n’en avait que quelques milliers avec lui. Le fond de notre population est donc resté gaulois. Les Gaulois sont nos ancêtres » (cours moyen).
« Dans la suite, la Gaule changea de nom. Elle s’appela la France » (cours élémentaire).
La formule emblématique “Nos ancêtres les Gaulois” se trouve chez Lavisse dans un passage du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (commencé en 1878 et publié en 1887):
« Il y a dans le passé le plus lointain une poésie qu’il faut verser dans les jeunes âmes pour y fortifier le sentiment patriotique. Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Godefroi de Bouillon à Jérusalem, Jeanne d’Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes car c’est un malheur que nos légendes s’oublient, que nous n’ayons plus de contes du foyer, et que, sur tous les points de la France, on entende pour toute poésie que les refrains orduriers et bêtes, venus de Paris. Un pays comme la France ne peut vivre sans poésie. »
Alors ouvrons le dossier : d’abord “la Gaule” fut une invention de Jules César qui voulait prendre le pouvoir à Rome et qui pour ce faire avait besoin de prestige. Dans la Rome républicaine, le prestige venait de conquêtes militaires. Et la renommée était d’autant plus grande que l’adversaire vaincu était redoutable. César a donc décrit une Gaule unie contre les romains et des guerriers féroces que seul son génie stratégique et son courage a permis de vaincre. Seulement à Alésia, l’armée de César était composée de légionnaires romains, de guerriers germaniques et aussi de tribus gauloises. Car toutes les tribus gauloises n’étaient pas ralliées à Vercingétorix, il y en avait une bonne part du coté de César.
Vous trouverez en pièce jointe, 2 articles tirés de la Revue Historia qui avait consacré un numéro spécial à la Gaule. Le premier est d’Yves Roman et le second de  Christian Goudineau qui écrit : « Demandons-nous d’abord ce qu’est la Gaule. Et quitte à en décevoir plus d’un, on est forcé de constater que, dans l’Antiquité, la Gaule n’a jamais existé, si ce n’est par le récit de César. Comme il le dit lui-même, le territoire qu’il a conquis est occupé par des peuples qui diffèrent entre eux par la langue, par les coutumes et par les lois. Ce territoire, c’est aussi César qui lui assigne des limites : au sud, la Provincia romaine (notre Provence) et les Pyrénées, à l’ouest et au nord, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord et à l’est, le Rhin et les Alpes. Or, cela ne correspond à aucune réalité ni politique, ni ethnographique ni même géographique. César a isolé la partie occidentale de la Celtique, vaste ensemble traversé par le Rhin et par le Danube – fleuves larges certes, mais franchis aisément en tous sens depuis des millénaires -, séparant et regroupant arbitrairement des peuples de même origine en nommant les uns, Gaulois, et les autres, Germains. Il veut démontrer qu’il a conquis un ensemble homogène aux frontières imprenables. De tels découpages « pratiques », privilégiant les objectifs géopolitiques aux réalités des peuples, se répètent jusqu’aux périodes les plus récentes. L’artifice n’échappe d’ailleurs pas aux contemporains de César. Les Romains ne disent pas la Gaule mais les Gaules et les auteurs latins, comme Strabon, décrivent les Germains comme ayant les mêmes coutumes et les mêmes modes de vie que les Gaulois.»
Yves Roman m’a expliqué que c’est lors de la révolution française qu’est né le mythe de nos “ancêtres les gaulois”. La révolution c’est le combat entre le tiers état et les nobles. Qui sont les nobles ? Issus de la lignée des mérovingiens, des carolingiens et des capétiens ? Ce sont les descendants des Francs ce peuple germanique qui a envahi “La Gaule” (avec d’autres) et a donné son nom à notre pays. Et dans un raccourci saisissant, ce mythe a conclu que ceux qui n’étaient pas nobles devraient être de la descendance du peuple autochtone mythique : les gaulois.
Tout cela ignore superbement les extraordinaires mélanges de populations qui se sont réalisés dans notre beau pays. Avant les romains, il y eut les grecs à Phocée (Marseille), puis les romains et toutes les peuplades germaniques, les normands et tous les autres… Tous ces peuples ce sont, au fur et à mesure, mariés entre eux. Sans compter que tous les francs n’étaient pas nobles. Bref un mythe, basé sur des croyances éloignées de la réalité.
Puis Napoléon III pris fait et cause pour ce mythe, il fut le grand ordonnateur des fouilles d’Alesia. Par la suite la défaite de 1870 contre les “tribus germaniques” raviva la flamme de la Gaule vaincue en raison de la trahison des nobles germaniques qui subsistaient en France. Ernest Lavisse alla étudier en Germanie, pardon en Allemagne pour comprendre la puissance de ce peuple. Et fit entrer dans l’enseignement des petits français, le mythe de nos ancêtres gaulois qu’il camoufla derrière une prétendue science historique qui en l’occurrence n’était pas à l’œuvre.
Pourtant, Christian Goudineau nous apprend que les gaulois restent présents dans notre actualité et notamment parce que plusieurs noms de nos villes actuelles ont pour origine le nom de la tribu gauloise du lieu, ce nom ayant supplanté le nom latin donné par les romains : « Et ces noms sont restés bien vivants, nous les employons tous les jours puisqu’ils baptisent nos villes actuelles. Caesarodurum, capitale des Turons, est devenue Tours, Mediolanum, celle des Santons, est devenue Saintes, Lutetia,  celle des Parisii, Paris
Je finirai par un petit dessin humoristique du Courrier Picard qui dévoile un échange entre
l’ancien président, descendant des Huns puisque d’origine hongroise et désormais descendant des gaulois puisque français avec son épouse, descendante des romains puisque Italienne…