Mercredi 31 août 2016

Mercredi 31 août 2016
«Le Grand Orchestre des animaux»
Bernie Krause,
exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
Bernie Krause (né le 8 décembre 1938) est un homme étonnant, à l’origine il est un musicien et il s’inquiète de l’appauvrissement des sons du monde.
Pour comprendre ce qui se passe dans le monde des sons sur la terre, il faut définir des concepts.
Sur terre il existe d’abord la «géophonie» ce sont tous les sons qui sont issus de la terre, de la géographie: descente d’avalanche, tonnerre, foudre, bruit du vent dans les branches de sassafras, de l’océan qui roule les galets sur la plage. Bref tous les sons qui ne nécessitent aucune action des êtres vivants sur terre.
La «biophonie», elle, regroupe tous les sons produits par les espèces animales sauvages. C’est à dire les sons produits par les êtres vivants sur terre à l’exception de sapiens.
Enfin «l’anthropophonie», ce sont tous les sons dérivés de l’activité humaine, sons qui ont explosé en nombre, en puissance depuis la révolution industrielle.
C’est bien sûr la biophonie qui est en plein déclin. Concernant, l’anthropophonie, quand la terre en aura marre de la folie des sapiens, elle se secouera comme un chien qui secoue ses puces, avec dans le rôle des puces, nous autres sapiens et la géophonie continuera encore très longtemps.
Mais la biophonie est très menacée dès à présent.
C’est dans la conscience de cet appauvrissement des sons, que Bernie Krause  est devenu  enregistreur de paysages sonores détenteur d’un doctorat en bioacoustique à l’Union Institute & University de Cincinnati.
Il est à l’origine du terme « biophonie » et a contribué à définir le concept d‘«écologie du paysage sonore ».
Si vous êtes parisien ou passez par Paris avant le 8 janvier prochain vous pourrez visiter l’exposition <Le Grand Orchestre des Animaux>
En effet, du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017, la Fondation Cartier pour l’art contemporain (261, boulevard Raspail dans le 14ème) présente, cette exposition inspirée par l’œuvre de Bernie Krause. L’exposition, qui réunit des artistes du monde entier, invite le public à s’immerger dans une méditation esthétique, à la fois sonore et visuelle, autour d’un monde animal de plus en plus menacé.
Bernie Krause a, depuis plus de quarante ans, collecté près de 5 000 heures d’enregistrements sonores d’habitats naturels sauvages, terrestres et marins, peuplés par près de 15 000 espèces d’animaux. Ses recherches offrent une  plongée dans l’univers sonore des animaux, dans le monde de la biophonie. Avant de se passionner pour l’enregistrement des animaux loin du monde humain, Bernie Krause a travaillé dans les années 1960 et 1970 comme musicien et acousticien à Los Angeles, collaborant notamment avec les Doors et Van Morrison. Il a également contribué à la composition de musiques de films comme Rosemary’s Baby de Roman Polanski et Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.
L’approche de Bernie Krause est unique. Il contemple le monde naturel en poète, écoute les vocalisations des animaux en musicien et, à travers ses enregistrements, les étudie en scientifique. Bernie Krause est ainsi passé maître dans l’art de révéler la beauté, la diversité et la complexité des langues des animaux sauvages, de plus en plus réduits au silence par le vacarme des activités humaines. Il nous implore d’écouter ces voix du monde vivant non-humain avant qu’un silence définitif ne s’abatte sur elles.
Dans une conférence TED de 1973 , Bernier Krause est venu défendre cette idée d’«écouter les paysages pour y déceler ce qui ne va pas ou ne va plus : <Quand un paysage se tait, c’est qu’il y a un problème>
On apprend ainsi qu’après avoir été un spécialiste de la musique synthétique il s’est converti comme Saint Paul sur le chemin de Damas «Il fut un temps où je considérais qu’un paysage sonore naturel n’était qu’un artefact sans valeur. Eh bien, j’avais tort. Ce que j’ai appris des rencontres avec la nature et ses paysages sonores, c’est que si vous les écoutez attentivement, ils vous donnent des instruments extrêmement efficaces afin d’évaluer la santé d’un habitat dans tout le spectre de son expression.»
Si, pour les uns, un paysage est un relevé des courbes physiques du terrain, de la végétation qu’on y rencontre, des espèces qu’on y croise, du monde végétal ou animal qu’on y voit, pour Bernie Krause, un paysage est avant tout un agrégat de sons captés puis visualisés selon leurs longueurs d’onde. Cette visualisation, c’est l’empreinte sonore du paysage et chaque paysage a son empreinte sonore. En anglais, c’est ce qu’on appelle, mot forgé sur «landscape», le «soundscape»,[…]
L’articulation la géophonie, la biophonie et l’anthropophonie constitue le «soundscape», le paysage sonore. Et, depuis quelques décennies, Bernie Krause bat la campagne et le monde pour en recueillir toutes les traces possibles. Après tant d’années, son constat est cependant mitigé: «Lorsque j’ai commencé à recueillir ces paysages, il y a une quarantaine d’années, je pouvais enregistrer pendant dix heures et collecter ainsi une heure de matériel utilisable pour un album, la bande sonore d’un film ou une installation muséale. Maintenant, à cause du réchauffement climatique, de l’extraction des ressources et des bruits humains, parmi d’autres facteurs, j’ai besoin de 1000 heures d’enregistrement pour obtenir le même résultat».
Ce qui hante Bernie Krause, en l’espèce, c’est le silence ou la raréfaction d’un paysage sonore. : » Il en veut pour preuve l’exemple de Lincoln Meadow, dans les montagnes de la Sierra Nevada. En 1988, explique-t-il à TEDGlobal, une compagnie forestière convainc les résidents locaux de Lincoln Meadow que le programme d’exploitation sélective de la forêt qu’elle propose n’aura aucun impact notable sur le paysage. Avant que les habitants donnent leur OK, Bernie Krause prend l’empreinte sonore du paysage. Douze mois et une exploitation sélective de la forêt plus tard, il nous montre deux photos du lieu: aucun changement notable. Opération réussie? On pourrait le croire. Et que dit l’empreinte sonore? Krause nous fait entendre acoustiquement quelques dizaines de seconde du paysage, avant, puis après. Un enregistrement qu’il étaie de deux spectrogrammes comparatifs. Le résultat est tonitruant: le silence des oiseaux s’est abattu sur Lincoln Meadow, à l’exception d’un ou deux spécimens. Visuellement, l’impact écologique de l’exploitation forestière est négligeable. «Nos oreilles nous racontent cependant une tout autre histoire.» »
[…] Bernie Krause: «Tandis qu’une image vaut mille mots, une image sonore vaut mille images».