Lundi 27 Juin 2016

Lundi 27 Juin 2016
« L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, 
soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. […] Il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre.»
Pierre Mendès France, 18 Janvier 1957
Dans un article publié par Mediapart le 25/06/2016, on apprend qu’en 1957, lors du débat sur le Traité de Rome, Pierre Mendès France mettait en garde, en évoquant la construction européenne, contre un projet inspiré par « un libéralisme du XIXe siècle ». […]
Le 18 janvier 1957, Pierre Mendès France (1907-1982) intervient à l’Assemblée nationale dans le débat sur le projet du Traité de Rome qui, signé deux mois plus tard, le 25 mars, instituera la première communauté économique européenne, composée de l’Allemagne, de la rance, de l’Italie et des trois pays du Benelux, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas. Alors figure du Parti radical, il avait quitté la présidence du Conseil deux ans auparavant, après sept mois et dix-huit jours de gouvernement dont la brièveté n’empêchera pas le souvenir durable, celui d’un homme d’État vertueux, averti en matière économique, soucieux des comptes publics, respectueux du débat démocratique et, de plus, en quête d’une issue à la crise coloniale.
« L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès social, affirme le député Mendès France, dans le sens du relèvement parallèle des avantages sociaux et non pas, comme les gouvernements français le redoutent depuis si longtemps, au profit des pays les plus conservateurs et au détriment des pays socialement les plus avancés. »
« Mes chers collègues, poursuit Mendès France, il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre. Sur ce point, je mets le gouvernement en garde : nous ne pouvons pas nous laisser dépouiller de notre liberté de décision dans des matières qui touchent d’aussi près notre conception même du progrès et de la justice sociale ; les suites peuvent en être trop graves du point de vue social comme du point de vue politique.
Prenons-y bien garde aussi : le mécanisme une fois mis en marche, nous ne pourrons plus l’arrêter. (…) Nous ne pourrons plus nous dégager
Nous serons entièrement assujettis aux décisions de l’autorité supranationale devant laquelle, si notre situation est trop mauvaise, nous serons condamnés à venir quémander des dérogations et des exemptions, qu’elle ne nous accordera pas, soyez-en assurés, sans contreparties et sans conditions. »
À la lecture de ces anciennes paroles, Mendès France prend soudain stature de devin tragique, anticipant ce que ses contemporains ne voient pas, parce qu’ils sont aveugles ou parce qu’ils s’aveuglent. Car c’est peu dire que la suite, notamment celle vécue ces trente dernières années par des gouvernements de gauche, élus sur des promesses sociales alternatives, aura donné raison à cette prophétie.
À la fin de son discours, Mendès France souligne le cœur du désaccord : ce projet de marché commun, résume-t-il, « est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes». Autrement dit, un libéralisme économique qui ruine tout libéralisme politique, imposant la loi d’airain de la concurrence à la vie sociale, au détriment des solidarités collectives et des libertés individuelles. 
« L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, conclut Mendès France, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique”, au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »
« Dire cela, ajoutait Pierre Mendès France, ce n’est pas être hostile à l’édification de l’Europe, mais c’est ne pas vouloir que l’entreprise se traduise, demain, par une déception terrible pour notre pays, après un grand et bel espoir, par le sentiment qu’il en serait la victime et, tout d’abord, ses éléments déjà les plus défavorisés. » Faute de l’avoir écouté, nous vivons aujourd’hui ces temps de « déception terrible » prédits par Mendès France.
La clairvoyance de Mendés France, il y a près de 60 ans m’impressionne. Tout c’est bien passé comme il l’a dit : Les décisions sont prises sous l’appellation de décisions techniques par un aréopage européen.
Mais sortir de cette impasse est tout sauf simple.
Il est devenu évident qu’aujourd’hui et probablement davantage demain que la globalisation et la financiarisation de l’Economie ainsi que l’automatisation générale ne profitera plus à la majorité des populations du vieux continent qui avaient été habitués à vivre beaucoup mieux que tout le reste du monde à l’exception des pays où les européens s’étaient implantés et avaient remplacés les autochtones et à l’autre exception du Japon.
En outre dans ces pays s’est mis en place un Etat social qui ne peut plus être financé étant donné ces évolutions et l’augmentation de l’espérance de vie.
Pour éclairer mon affirmation précédente, je donne ces chiffres : la France représente 1 % de la population de la planète et 4 % du PIB mondial et concentre 15 % des dépenses sociales du monde.
Dans ces conditions il est normal qu’en Démocratie, la majorité se rebelle et vote non.
La technocratie européenne que l’on critique tellement aujourd’hui, comme le faisait Mendés France en 1957,  a jusqu’à présent permis de faire semblant que la Démocratie s’exprime mais comme le disait justement Juncker s’arrête aux Traités signés.
Pour sortir de cela, pour sortir des multiples non, il faudrait arriver à se mettre d’accord sur un Oui, c’est à dire un projet européen cohérent alternatif politique trouvant une majorité.
Cela, ce n’est pas gagné, comme le montre cet article du Monde : http://allemagne.blog.lemonde.fr/2016/06/25/merkel-acte-la-fin-du-couple-franco-allemand/
Et comme le dit, le ministre belge des affaires étrangères : « Il n’y a clairement pas d’unanimité pour davantage d’intégration en Europe »