Vendredi 27 mai 2016

Vendredi 27 mai 2016
« L’ordre imaginaire façonne nos désirs. »
Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité pages 142-144
Nous qui sommes les sapiens modernes poursuivons un bel objectif : « Nous faire du bien ! ».
Voilà un but légitime. Mais comment nous faire du bien ? Probablement en allant autant que possible au bout de nos désirs, bien sûr dans les limites de la Loi et de la morale.
Mais d’où viennent nos désirs ?
Evidemment de notre imaginaire répondra Harari qui explique que « L’ordre imaginaire façonne nos désirs. »
Et l’homme moderne se soumet à deux idéologies modernes dominantes : le romantisme et le consumérisme.
Et lorsque l’auteur de « Sapiens » regarde nos mœurs et désirs modernes au regard de l’histoire de notre espèce cela donne cette analyse :
« La plupart des gens ne veulent pas admettre que l’ordre qui régit leur vie soit imaginaire, mais en fait chacun nait dans un ordre imaginaire préexistant ; dès la naissance, les mythes dominants façonnent nos désirs. Nos désirs personnels deviennent ainsi les défenses les plus importantes de l’ordre imaginaire.
Par exemple, les désirs les plus chers des occidentaux actuels sont façonnés par des mythes romantiques, nationalistes, capitalistes et humanistes en circulation depuis des siècles.
Entre amis, on se donne souvent ce conseil : « Suis donc ton cœur ! » Or, le cœur est un agent double qui tient souvent ses instructions des mythes dominants de l’époque. Cette recommandation même nous a été inculquée par un mélange de mythes romantiques du XIXe siècle et de mythes consuméristes du siècle dernier. La société Coca-Cola, par exemple, a vendu son Coca Light dans le monde entier sous le slogan : « faites ce qui vous fait du bien. »
Même ce que les gens considèrent comme leurs désirs personnels les plus égoïstes sont habituellement programmés par l’ordre imaginaire. Prenons l’exemple du désir populaire de prendre des vacances à l’étranger. Qui n’a rien d’évident ni de naturel.
Jamais un mâle alpha (mâle dominant) chimpanzé n’aurait l’idée d’utiliser son pouvoir pour aller en vacances sur le territoire d’une bande voisine de chimpanzés.
L’élite de l’Égypte ancienne dépensa des fortunes à bâtir des pyramides et à faire momifier ses cadavres, mais aucun de ses membres ne songea à faire du shopping à Babylone ou à passer des vacances de ski en Phénicie. De nos jours, les gens dépensent de grosses sommes en vacances à l’étranger parce que ce sont des vrais croyants, adeptes des mythes du consumérisme romantique.
Le consumérisme romantique mêle deux idéologies modernes dominantes : le romantisme et le consumérisme. Le romantisme nous dit que, pour tirer le meilleur parti de notre potentiel humain, il nous faut multiplier autant que possible les expériences. Nous devons nous ouvrir à un large spectre d’émotions, expérimenter diverses sortes de relations, essayer des cuisines différentes, apprendre à apprécier divers styles de musique.
Une des meilleures façons d’y parvenir est de rompre avec la routine de tous les jours, d’abandonner notre cadre familier et de voyager au loin, où nous pouvons « expérimenter » la culture, les odeurs, les goûts et les normes d’autres peuples. On ne cesse de nous ressasser les mythes romantiques sur le thème, « comment une nouvelle expérience m’a ouvert les yeux et a changé ma vie ».
Le consumérisme nous dit que pour être heureux il faut consommer autant de produits et de services que possible. Si nous avons le sentiment que quelque chose nous manque où laisse à désirer, probablement avons-nous besoin d’acheter un produit (voiture, vêtements neufs,…) ou un service (heures de ménage, thérapie relationnelle, cours de yoga).
Chaque publicité à la télévision est une petite légende de plus sur le thème « la consommation d’un produit ou d’un service rendra la vie meilleure ».
Le romantisme qui encourage la variété, s’accorde parfaitement avec le consumérisme. Leur mariage a donné naissance à un «  marché des expériences » infini sur lequel se fonde l’industrie moderne du tourisme. Celle-ci ne vend pas des billets d’avion ou des chambres d’hôtel, mais des expériences. Paris n’est pas une ville, ni l’Inde un pays, ce sont des expériences. La consommation est censée élargir nos horizons, accomplir notre potentiel humain et nous rendre plus heureux. Dès lors, quand un couple de millionnaires bat de l’aile, le mari emmène sa femme à Paris. Le voyage n’est pas l’expression de quelque désir indépendant mais traduit une croyance fervente aux mythes du consumérisme romantique.
En Egypte ancienne, il ne serait jamais venu l’idée à un homme riche de résoudre une crise conjugale en emmenant sa femme en vacances à Babylone. Sans doute aurait-il fait construire le tombeau somptueux de ses rêves. 
Comme l’élite égyptienne, la plupart des gens, dans la plupart des cultures, passent leur vie à construire des pyramides. D’une culture à l’autre, seuls changent les noms, les formes et les tailles de ces pyramides : villa de banlieue chic avec piscine et pelouse ou penthouse étincelant avec vue imprenable.
Peu contestent ces mythes qui nous font désirer une pyramide »
Le « consumérisme romantique » et le « marché des expériences ».
Je trouve fascinant comment Harari déshabille le discours moderne du sapiens contemporain et parvient à l’inscrire dans l’Histoire générale de notre espèce basée sur l’imaginaire et les mythes.