Jeudi 17/09/2015

Jeudi 17/09/2015
« En France, il n’y a pas d’insécurité culturelle,
mais une insécurité historique »
Patrick Weil
Depuis quelques années, il a beaucoup été question d’identité nationale et plus récemment d’insécurité culturelle (livre de Laurent Bouvet)
La France a semble-t-il un problème avec les étrangers ou ceux qui bien que français ne le seraient pas suffisamment.
L’historien Patrick Weil a publié récemment « le Sens de la République » où il parle plutôt d’insécurité historique.
Dans un entretien à Libération, il explique notamment « Les Français sont forts, ils l’ont montré le 11 janvier. Mais, ils pourraient devenir encore plus forts s’ils réalisaient qu’ils ont beaucoup plus en commun qu’ils ne le croient. Aujourd’hui, trop de Français le sont, tout en se sentant mal à l’aise : soit parce qu’ils ne se sentent pas reconnus comme tels par leurs compatriotes, soit parce qu’ils ne «reconnaissent» plus leur pays. Ce malaise vient notamment de ce que les migrants de nos anciennes colonies sont différents de ceux venus d’Italie, de Turquie ou de Pologne. Ces derniers savaient qu’ils arrivaient dans un pays étranger, et qu’ils devaient en apprendre la langue et les lois.
Ceux en provenance de l’ancien empire colonial n’avaient pas un rapport d’étrangers à la France : certains avaient même été français à un moment, comme les Algériens ; d’autres étaient français depuis longtemps, comme les Antillais ou les Réunionnais. Ils étaient en outre liés à la France par la langue, les valeurs de la Révolution française. A l’arrivée en métropole, ils subissaient un choc de voir que personne ne connaissait leur histoire, qui était pourtant aussi celle de la France. Il y a donc, en France, une cohésion nationale qui s’ignore, indépendante de toute appartenance religieuse. »
[En France, il n’y a pas d’insécurité culturelle mais une «insécurité historique].
«Si des Français se sentent en «insécurité» face à un compatriote de couleur, c’est parce que leur référent historique ne les a jamais inclus. Il n’inclut pas les Antilles, l’Algérie ou le Mali, alors qu’ils font partie de l’histoire de France. Nous avons en commun une histoire qu’il nous faut partager, que ce soit dans les manuels scolaires ou dans la manière dont nous nous ressentons comme peuple. »
[…]  Depuis 2005, emmenés par Pierre Nora, certains [historiens] affirment que dire que l’esclavage était un crime contre l’humanité comme le fait la loi Taubira de 2001, était un anachronisme, car c’était appliquer une notion du XXe siècle aux siècles précédents. Que c’était confondre mémoire de groupe et histoire. Or, il se trouve que ces historiens se trompaient. La France a été le premier pays au monde à avoir instauré le crime contre l’humanité dans son droit : c’était justement au sujet de l’esclavage, en 1794. Celui qui pratiquait la traite était déchu de la nationalité : on le mettait au ban de la nation, de l’humanité. Ne pas vouloir reconnaître cette histoire-là, c’est donc dire à certains de nos compatriotes qu’ils n’avaient pas leur place dans l’histoire nationale.
Il ajoute : [Il faut]  un récit national qui ne soit pas «métropolitanocentré»  C’est cette histoire globale et commune que nous devons rappeler et transmettre. »
Et Pour lui les 4 Piliers de la République française sont :
1 L’Egalité
2 La langue française
3 La mémoire positive de la révolution française
4 La laïcité
Dans son livre et à l’interview accordé à France Inter il a aussi révélé avoir découvert un document surprenant au Quai d’Orsay où il apparaissait que Valéry Giscard d’Estaing avait eu lors de sa présidence l’idée de vouloir renvoyer 500 000 immigrés maghrébins dans leurs pays d’origine. Ce document a été confirmé, selon l’historien, par Jean-François Poncet, le ministre des Affaires étrangères de l’époque. L’objectif du Président français, selon ce qu’affirme l’historien, était de «lutter de contre le chômage» et de «remplacer, par exemple, les éboueurs étrangers par des éboueurs français et faire partir les étrangers…» Pour cela, il voulait «dénoncer les accords d’Evian qui permettaient la libre circulation entre la France et l’Algérie et changer la loi pour permettre l’arrêt des titres de séjour ou la non reconduite des titres de séjour de ceux qui étaient là depuis dix, quinze ou vingt ans».
Un ancien conseiller du Président français a confié à l’historien avoir persuadé le ministre Jean-François Poncet de l’indécence de cette idée : «Comment va-t-on faire ? Un jour, au petit matin, on ira avec des cars de police et de gendarmerie arrêter les gens chez eux pour les mettre dans des trains, des cars puis des bateaux ? Et les enfants, on en fera quoi ? Ils sont Français. On va séparer les enfants des parents ? Ou on va renvoyer des parents français ?»
L’historien raconte que Valéry Giscard d’Estaing a fini par mettre un terme à son projet, face au blocage de Raymond Barre, Simone Veil, et de la plupart des ministres, ainsi que du Conseil d’Etat. A l’époque, il a existé assez d’hommes et de femmes  dans les rangs du pouvoir pour dire non au Président de la République. Serait ce toujours le cas aujourd’hui ?