Vendredi 21 Août 2015

Vendredi 21 Août 2015
«Comment paraître intelligent ? »
Pierre Ménard
Hier, je parlais de l’injonction d’être productif, actif, tout le temps même pendant les périodes de loisirs et de vacances.
Il existe une autre injonction qui nous est faite de manière constante, celle d’être intelligent.
En juillet, j’ai eu le privilège d’accueillir un jeune homme brillant et destinataire des mots du jour.
Me laissant aller à mon penchant naturel de la dérision et de l’humour simple, accoutré en outre d’habits offensant l’élégance avec pour couronnement une casquette dont je reconnais moi-même le ridicule, ce garçon observateur a émis cette observation perspicace et malicieuse : «Quand on te voit, on se demande vraiment si c’est toi qui écris les mots du jour.»
Tout en étant ridicule, j’ai de la réparti et de la mémoire et j’ai donc pu objecter le tout premier mot du jour de la série [du 9 octobre 2012] : « Il vaut mieux mobiliser son intelligence sur des conneries, que mobiliser sa connerie sur des choses intelligentes » (Devise Shadok)
Mais cette interpellation judicieuse et avisée m’a fait comprendre l’importance de paraître intelligent (le fait d’être réellement intelligent est davantage question subjective et polémique que démonstration scientifique.)
Chance, un homme, Pierre Ménard, a étudié ce problème et a écrit un article sur le Huffington Post dont je partage avec vous les extraits qui me semblent les plus éclairants sur cette problématique qui nous concerne tous :
«On se plaint avec raison des discriminations qui touchent les femmes, les noirs, les homosexuels, les petits, les roux, les gros… et ceux qui ont le malheur d’être tout cela à la fois. Pourtant, il existe une discrimination bien plus odieuse, et d’autant plus scandaleuse qu’elle est socialement acceptée: celle qui frappe les imbéciles.
Peut-être passe-t-elle inaperçue en raison de son importance même. Depuis deux siècles, l’esprit a en effet supplanté la naissance pour l’accès aux situations les plus enviables. Si Saint-Simon pouvait s’offusquer au XVIIe siècle de voir des « gens sans naissance » accéder au pouvoir et se boucher le nez au passage des roturiers, personne ne se vante aujourd’hui d’atteindre une quelconque position en raison du carnet d’adresses de ses parents. La méritocratie a triomphé, et rares sont ceux qui songeraient à la remettre en cause.
Parallèlement, l’enseignement s’est étendu jusqu’aux couches les plus humbles de la population et le monde de l’entreprise a supplanté l’organisation traditionnelle des sociétés ; l’artisan, le paysan ou le soldat (dont l’activité intellectuelle était loin d’être débordante) disparaissant au profit du cadre. Mêlant méritocratie et libéralisme, la société est devenue une gigantesque machine à classer, soumettant ses sujets à un tri permanent de la crèche à la maison de retraite.
La conséquence est que l’intelligence est passée de luxe à nécessité. Pendant longtemps, on ne demandait pas à un homme (encore moins à une femme), à quelques exceptions près, d’être doué d’un esprit particulièrement profond, mais, selon les classes et les époques, d’être bien né, riche, pieux, courageux, travailleur ou docile.
Plus encore qu’un luxe, l’intelligence pouvait même être un vice. L’être intelligent, par sa promptitude à tout remettre en question, constitue indéniablement une menace pour toute société dont le fondement est la tradition plutôt que le changement. […]
Or, il est triste de l’admettre, mais cette faculté ne concerne fatalement qu’un petit nombre d’élus. Stultorum numerus est infinitus, “le nombre des sots est infini”, lit-on déjà dans la Bible (Ecclésiaste, I, 15).
[…] Le langage lui-même vient confirmer la prégnance de la bêtise, puisque si l’on ne trouve que quelques équivalents du mot intelligence (esprit, entendement, génie), ceux concernant l’imbécillité sont innombrables: ignorant, inculte, incompétent, incapable, primitif, arriéré, bête, abruti, brute, ahuri, balourd, benêt, borné, bouché, idiot, imbécile, gourde, lourdaud, fruste, gauche, stupide, obtus, butor, sot, grossier… pour ne citer que les plus polis.
[…] Soyons clair, il sera difficile de devenir intelligent. Aucun traitement ne pourra vous permettre d’y remédier en profondeur […] Vous ne serez pas le premier à le faire. Napoléon, pour ne citer que lui, faisait retoucher ses portraits pour y grossir la taille de sa tête, légèrement plus petite que la moyenne, afin de faire ressortir son génie à une époque où l’on pensait que l’intellect était fonction de la forme et de la taille du crâne.
[premier conseil]  faites l’acquisition d’une paire de lunettes. Conseil basique, certes, mais efficace.
Montesquieu affirme ainsi dans les Lettres persanes (1721) qu’un homme qui porte des lunettes ne peut pas être un fat. […] L’idée avancée par Montesquieu est loin d’être une boutade. Mme d’Aulnoy remarque au milieu du XVIIIe siècle que les riches espagnols ont coutume, pour avoir l’air intelligent, de porter des lunettes, bien que cela leur soit inutile. Jacques Chirac se serait lui-même prêté au jeu pour renforcer sa crédibilité au début de sa carrière, poussant paraît-il le vice jusqu’à poser pour des photos de campagne électorale avec une monture dépourvue de verres afin d’éviter les reflets. Les grands avocats américains recommandent eux aussi fortement à leurs clients de venir aux procès affublés de besicles selon le New York Daily News. Un homme ayant besoin de correction est en effet jugé plus fiable, plus intelligent et surtout plus intègre que les autres.»
Comme Pierre Ménard n’est pas totalement stupide, il arrête sur ce point son article gratuit et renvoie vers son livre payant pour distiller d’autres conseils. Ce livre a le même titre « Comment paraître intelligent ? » mais avec cette précision «Ou Petit bréviaire destiné à ceux qui ne le sont pas, écrit par quelqu’un qui aurait besoin de le lire »
Toutefois, il était aussi l’invité, avec d’autres de l’émission de France Culture : Comment revenir plus intelligent à la rentrée : http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-comment-revenir-plus-intelligent-a-la-rentree-2015-07-02
Dans cette émission, Elena Pasquinelli, philosophe, chargée de recherches au sein du département de sciences cognitives de l’École Normale Supérieure a définitivement mis fin à cette légende : “Nous utilisons bien 100% de notre cerveau et non pas 10% comme le prétendent des sots qui n’ont aucune compétence en science cognitive”
Elle a également totalement écarté ces conseils qui sont prodigués dans nombre de magazines par exemple manger des fruits secs…
A priori pour améliorer son intelligence, il faut surtout l’utiliser en lisant, en restant curieux, en méditant…
Mais notre conseiller en “paraître” a ajouté un autre conseil pour paraître intelligent : « apprendre par cœur des citations et les prodiguer à bon escient dans les conversations.»
Dans ce cas, je vous conseille d’apprendre quelques-uns des mots du jour et de les replacer habilement.
Il n’en reste pas moins que c’est un exercice quotidien d’« essayer de paraître intelligent.»