Jeudi 22 juillet 2021

« Peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Amin Maalouf évoquant les réformes conduit par Deng Xiaoping à partir de 1979

Pour donner toute sa dimension à son récit de l’année 1979, Amin Maalouf en élargit quelque peu la temporalité vers la fin de l’année 1978.

En effet, le 18 décembre 1978, le 11ème Comité central du Parti Communiste Chinois adopte les réformes économiques proposée par Deng Xiaoping. Ce dernier devient, dans les faits, le numéro 1 chinois.

Bien qu’officiellement le successeur de Mao Zedong, Hua Guofeng occupe toujours les principales fonctions du pouvoir.

  • Hua Guofeng est Président du Parti communiste chinois depuis qu’il a succédé à Mao le 7 octobre 1976, il le restera encore trois ans jusqu’au 28 juin 1981.
  • Il occupe le poste stratégique de Président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois. Fonction sur laquelle, il a également succédé à Mao Zedong le 7 octobre 1976. Le 28 juin 1981, Deng Xiaoping le remplacera.
  • Enfin, il est aussi Premier ministre de la république populaire de Chine, poste qu’il a occupé après la mort de Zhou Enlai le 4 février 1976 et qu’il occupera jusqu’au 10 septembre 1980.

Deng Xiaoping en décembre 1978 « n’est que » Vice-Président du Parti communiste chinois et Vice Premier Ministre. Mais tous les historiens l’affirment, c’est Deng qui donne le cap et gouverne.

Mao Zedong est mort le 9 Septembre 1976.

Son premier ministre de toujours Zhou Enlai, Premier ministre de la république populaire de Chine du 1er octobre 1949 au 8 janvier 1976, date de sa mort l’avait précédé de quelques mois dans le paradis des communistes, s’il existe.

C’est Zhou Enlai qui avait permis à Deng Xiaoping de revenir en grâce, après des années d’humiliation dues aux purges maoistes. Il lui faudra un peu de temps pour asseoir son autorité et écarter Hua Guofeng.

<La petite histoire> nous raconte que Zhou Enlai et Deng Xiaoping se sont rencontrés en France, à Montargis :

« Ho Chi Minh, Pol Pot, [Zhou Enlai, Deng Xiaoping]. .. La France a servi de terrain d’apprentissage à bien des révolutionnaires du XXe siècle. On sait moins que les acteurs du Grand Bond en avant chinois y ont fait leurs gammes, découvrant le marxisme pour les uns, fortifiant des convictions socialistes déjà bien ancrées pour les autres.
De 1902 à 1927, 4 000 jeunes intellectuels sont venus étudier et travailler en France, en particulier à Montargis. Beaucoup sont devenus les cadres de la révolution chinoise. Montargis l’avait presque oublié. Pourtant, en Chine, depuis de longues décennies, la petite ville du Loiret est célébrée dans l’histoire officielle comme le berceau de la Chine nouvelle. »

Aujourd’hui que la Chine est le géant économique que nous connaissons, deuxième puissance économique du monde à qui on annonce, à brève échéance, la place de premier, nous comprenons ce qui s’est passé en 1978/1979 : Le début de cette formidable ascension.

Amin Maalouf rattache ce moment chinois à l’esprit du temps et à la révolution conservatrice :

« En décembre 1978, Deng Xiaoping prenait les rênes du pouvoir à Beijing lors d’une session plénière du Comité central du Parti communiste, inaugurant sa propre « révolution conservatrice ». Jamais il ne l’a appelée ainsi et elle était certainement fort différente de celle de Téhéran comme de celle de Londres ; mais elle procédait du même « esprit du temps ». Elle était d’inspiration conservatrice, puisqu’elle s’appuyait sur des traditions marchandes ancrées depuis toujours dans la population chinoise, et que la révolution de Mao Zedong avait cherché à extirper. Mais elle était également révolution, puisqu’elle allait radicalement transformer, en une génération, le mode d’existence du plus grand peuple de la planète : peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Le Naufrage des civilisations page 175

Aujourd’hui, nous savons ! Mais en décembre 1978, et en 1979 les archives du Monde que j’ai parcourues ne perçoivent pas l’importance de ce qui est en train de se passer. Au moins il ne le conceptualise pas.

Pourtant des articles racontent ce qui se passe :

  • 18 décembre 1978 : « M. Abe Jay Lieber, président de la société américaine Amherst, a annoncé à Hongkong que sa société projetait de construire six hôtels de classe internationale en Chine, écrivait le Wall Street Journal le 15 décembre. Un de ces hôtels serait à Lhassa, au Tibet. »
  • 20 décembre 1978 : « En moins de trente ans, la Chine populaire sera passée de la condition d’alliée de l’U.R.S.S. contre les États-Unis à celle d’alliée de fait de Washington contre Moscou. De tous les revirements qui ont marqué notre temps, c’est l’un des plus spectaculaires. »
  • 26 décembre 1978 : « L’ouverture de la Chine au monde capitaliste, qui constitue l’un des faits marquants de l’année, aura probablement moins d’effets immédiats pour les maîtres de forges et les marchands de l’Occident capitaliste qu’on ne l’imagine généralement. »
  • 27 décembre 1978 : « L’établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la République populaire de Chine avait beau paraître inéluctable, le communiqué du 15 décembre l’annonçant n’en a pas moins surpris. »
  • 22 décembre 1978 « Coca-Cola, un des symboles de la société de consommation américaine, sera vendu en Chine populaire à partir de janvier 1979, a annoncé, mardi 19 décembre, à Atlanta, le président de l’entreprise, M. Austin. Une usine de mise en bouteilles sera construite à Changhaï dans le courant de l’année prochaine. »
  • 30 janvier 1979 : « M. Deng Xiaoping, arrivé dimanche après-midi 28 janvier, à Washington, est reçu officiellement, ce lundi, à la Maison Blanche. Avant de quitter Pékin, le vice-premier ministre chinois avait recommandé, dans une interview accordée à l’hebdomadaire ” Time “, la formation d’une alliance des États-Unis, de la Chine et d’autres pays contre l’Union soviétique. Après avoir vivement dénoncé ” l’hégémonisme ” de l’U.R.S.S., M. Deng Xiaoping déclare notamment dans cette interview : ” Si nous voulons vraiment brider l’ours polaire, la seule chose réaliste est de nous unir. »

Le voyage de Deng Xiaoping, début 1979 sur l’invitation de Jimmy Carter, sera un triomphe pour le chinois, accueilli avec enthousiasme par les foules américaines.

  • 4 avril 1979 « Le gouvernement chinois a informé par note, l’ambassade d’U.R.S.S. à Pékin, de sa décision d’abroger son traité d’amitié, d’alliance et d’entraide avec l’U.R.S.S., arrivant à échéance en 1980, a-t-on appris dans la capitale chinoise de source informée soviétique. »

Ce que raconte ces articles, c’est un renversement d’alliance. Nous sommes toujours en pleine guerre froide, les États-Unis n’ont qu’un véritable ennemi : l’Union Soviétique. Ils veulent utiliser les chinois pour lutter contre l’URSS. Cette politique avait commencé avec Nixon qui sur les conseils de Kissinger était allé en visite en Chine, rencontrer Mao Zedong. C’était en 1972.

Mais si les États-Unis ont voulu se servir de la Chine, la Chine de Deng Xiaoping a utilisé les États-Unis pour accélérer son développement et devenir aujourd’hui l’ennemi stratégique des États-Unis. Mais cet ennemi possède une puissance économique que l’URSS n’a jamais su atteindre.

J’ai trouvé <un article> très intéressant sur la place économique de la Chine dans le monde à travers l’Histoire :

« Au début de l’ère chrétienne, la Chine était, avec l’Inde, l’une des deux plus grandes économies du monde. Elle représentait plus du quart de la richesse mondiale, loin devant toutes les nations occidentales d’aujourd’hui. Mais personne ne le savait en Europe. Les distances étaient énormes, les liens restaient ténus et l’ignorance réciproque était la norme.

[…] Il est difficile de comprendre l’état d’esprit des dirigeants et de la population chinoise sans tenir compte de leur vision de l’histoire. Le « pays du milieu » (traduction littérale de Zhongguo, nom de la Chine en mandarin) sait qu’il est très longtemps resté dominant dans la sphère d’influence qui était la sienne. Les travaux d’Angus Maddison, historien de l’économie, montrent que le poids de la Chine dans l’économie mondiale est resté central depuis l’époque romaine jusqu’au XIXème siècle, avec un sommet en 1820, année où la Chine représente 36 % de l’économie mondiale. Le déclin chinois s’engage alors de façon rapide et continue jusqu’au milieu du XXème siècle, accéléré par les traités inégaux et les guerres imposées par les puissances occidentales et le Japon. En 1950, le PIB chinois ne représente plus que 4,6 % du PIB mondial. […]

Rapportés à la situation de 1950, le bilan que peut afficher le PCC en 2019 est spectaculaire. La Chine est devenue la deuxième économie mondiale avec un peu plus de 16 % du PIB mondial en 2019, selon les estimations du FMI (19% en parité de pouvoir d’achat). […]

La population chinoise s’est enrichie et « l’aisance moyenne » voulue par le PCC est déjà une réalité. Selon une étude de McKinsey, les trois quarts de la population urbaine, soit 550 millions de Chinois, auront en 2022 un revenu annuel du foyer supérieur à 10 000 dollars.

La jeunesse chinoise est désormais éduquée. Alors qu’en 1950, le taux d’illettrisme dépassait 80 %, il est aujourd’hui pratiquement négligeable (moins de 5 %), et les étudiants représentent plus de 50 % de leur classe d’âge. L’espérance de vie a presque doublé : elle ne dépassait pas 43 ans en 1950 et se situe aujourd’hui à 77 ans. […]

La période 1950-1978 sous le règne de Mao Zedong, est marquée par la construction socialiste du pays avec le partage forcé des terres, la collectivisation de l’agriculture et la création des communes populaires, la nationalisation des entreprises et l’industrialisation du pays. [Cette politique ne fonctionne pas.]

A la mort de Mao en 1976, les élites sont décimées, l’éducation supérieure est à l’abandon, le pays est exsangue. Le PIB de la Chine ne représente plus que 1,7 % de l’économie mondiale en 1980 (en dollars courants) et la part du pays dans les échanges mondiaux a régressé par rapport à 1950. […]

Le décollage économique de la Chine à partir de 1980 a été l’œuvre de Deng Xiaoping et de ses successeurs[…] : la croissance économique dépasse 10 % par an pendant 25 ans, la part du commerce extérieur dans le PIB explose (elle passe de 5 % du PIB en 1970 à près de 50 % en 2010), la Chine devient le premier exportateur mondial, les zones économiques spéciales attirent une masse croissante d’investissements étrangers qui font du pays l’usine du monde. Plus récemment, à partir de l’entrée à l’OMC en 2001, la Chine devient en 15 ans le deuxième investisseur de la planète et le deuxième prêteur mondial, en particulier à l’égard des pays en développement. »

Et pour tous les naïfs qui pensaient que la prospérité économique et une économie de marché dynamique s’accompagnaient forcément par l’émergence d’une démocratie libérale, ils ne peuvent que déchanter.

J’ai trouvé cette vidéo de cinq minutes qui présente les <Réformes de Deng Xiaoping>.

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