Vendredi 26 mars 2021

« On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique »
Michel Cordillot

Certains prétendent que le clivage droite, gauche est obsolète. On peut se demander par quel clivage, il est remplacé :

  • Ecologiste et climatosceptique ?
  • Identitaire et universaliste ?
  • Islamophobe et islamo gauchiste ?

Pourtant la mémoire de la Commune ravive totalement le clivage droite-gauche. La droite de l’ordre et la gauche de la justice sociale s’affrontent, chacun considérant que l’autre est le criminel. Il y eut des crimes des deux côtés, mais les versaillais ont tué davantage que les communards.

Les versaillais et les otages exécutés par les communards représentent moins de 1000 morts. Il semble qu’un consensus large accepte cette évaluation.

Mais pour les fédérés, on ne le sait pas.

Dans une chanson que je n’ai pas cité mercredi « Elle n’est pas morte», Eugène Pottier écrit :

« Les Versaillais ont massacré pour le moins cent mille hommes. »

C’est une belle chanson, mais sur ce point elle exagère beaucoup, il n’y a pas eu 100 000 morts.

Les estimations ont fluctué. <Wikipedia> raconte cette évolution :

« En 1876, le journaliste et polémiste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, estime de 17 000 à 20 000 le nombre des fusillés. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste situe le nombre des victimes à 30 000. En 2014, l’historien britannique Robert Tombs revoit le bilan à la baisse et évalue entre 5 700 et 7 400 le nombre des morts, dont environ 1 400 fusillés. »

La mathématicienne et écrivaine Michèle Audin a publié cinq livres sur la Commune. Michèle Audin est la fille du mathématicien Maurice Audin mort sous la torture par l’armée française lors de la guerre d’Algérie et de la professeure de mathématiques Josette Audin.

Elle vient de publier « la semaine sanglante ». Elle s’est lancée dans une nouvelle évaluation. Elle explique sa méthode dans cet article du Monde du 18 mars 2021 : « On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920 »

Son estimation s’élève à plus de 15 000 morts.

Les communards ont aussi détruit des monuments de Paris, le plus grand nombre lors de la semaine sanglante. Ils ont démoli l’hôtel particulier de Thiers, le chef de leurs ennemis. Cet hôtel situé place Saint-Georges, fut détruit le 11 mai 1871, en représailles au bombardement de Paris par l’armée versaillaise

Ils ont aussi abattu, le 16 mai, la colonne de la place Vendôme qui était surmontée par la statue de Napoléon.

Et le palais des Tuileries, palais des rois et de l’empereur fut incendié lors de la semaine sanglante.

Et il y eut d’autres bâtiments incendiés comme l’Hôtel de Ville, le Palais de justice, dont cependant la Sainte-Chapelle et la Cour de cassation échappent aux flammes, le palais d’Orsay où siègent le Conseil d’État et la Cour des comptes, le palais de la Légion d’honneur, le Palais-Royal et d’autres encore.

Après ces rappels, revenons au clivage droite, gauche d’aujourd’hui !

<Le Figaro> essaie de rapporter, en toute neutralité, le débat qu’il y a eu au conseil de la commune de Paris en février :

« Elle a beau avoir 150 ans, la Commune de Paris suscite toujours les passions, et sa mémoire reste conflictuelle. En février, au Conseil de Paris, la mise au vote d’une subvention à l’association les Amis de la Commune, destinée aux événements imaginés par la mairie autour de cet anniversaire, a provoqué une passe d’arme entre la majorité et l’opposition. Tandis que Laurence Patrice, adjointe PC chargée de la mémoire, proposait de célébrer « la révolution la plus moderne » qui soit, elle s’est attirée les foudres de Rudolph Granier, élu LR dans le 18e arrondissement – lequel a estimé qu’on ne devait pas «danser au son des meurtres et des incendies».  »

Mais j’aime particulièrement la description que fait <cet article du monde> :

« Ce mercredi 3 février, le couvre-feu est déjà passé, le Conseil de Paris commencé la veille s’étire depuis des heures, et les élus n’ont qu’une envie : voter rapidement les dernières délibérations, puis rentrer. L’ordre du jour, quelques subventions et hommages, semble consensuel. Mais soudain, Rudolph Granier prend le micro et réveille l’hémicycle. Parmi les vingt-sept associations à subventionner, il en est une à laquelle son parti, Les Républicains (LR), ne veut pas accorder un centime : les Amies et amis de la Commune de Paris 1871. Cette association coprésidée par un ancien dirigeant communiste « glorifie les événements les plus violents de la Commune », peste-t-il.

M. Granier évoque « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale », et accuse la maire socialiste, Anne Hidalgo, d’« ânonner » à ce sujet « une série de contre-vérités historiques » dans le seul but de ressouder les socialistes, les communistes et les écologistes, en vue de son « projet présidentiel ». Celui-ci « rassemblera certainement moins de personnes que les dix millions de Français qui ont participé à la souscription nationale pour l’édification du Sacré-Cœur », ajoute l’élu LR.

Patrick Bloche, l’adjoint socialiste d’Anne Hidalgo, qui préside la séance, ponctue cette diatribe d’une phrase : « Ce qui me rassure, c’est que je crois au clivage entre la gauche et la droite, et vous l’avez illustré parfaitement, cent cinquante ans après la Commune. » Entre les deux camps, la joute verbale se poursuit près d’une heure. »

Un autre élu de droite, Antoine Beauquier, élu du 16e arrondissement ne veut pas qu’on transforme en héros :

« ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge »

Et il pose cette question à la municipalité de gauche :

« Pourrez-vous encore dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de brûler les Tuileries, le Palais-Royal, le palais d’Orsay, les synagogues et notre hôtel de ville ? »

David Alphand (LR) lui dénonce une autre action de la commune qui le hérisse : « La confiscation des moyens de production. »

Bref, un vrai combat gauche-droite, comme au bon vieux temps.

<La Croix> qui relate aussi cette passe d’armes rapporte les paroles Laurence Patrice, adjointe chargée de la mémoire :

« Ce n’est pas une glorification mais un hommage à des femmes et des hommes qui portaient des valeurs dont les forces de gauche sont les héritières »

La commune de Paris célèbre, en effet < les figures de la Commune>

Et la Croix cite l’historienne Laure Godineau, qui publie « La Commune de 1871 expliquée en images » (Seuil) qui explique :

« Si l’événement reste mal connu, c’est en partie parce que la construction républicaine après 1871 en a voulu l’oubli : oubli de la guerre civile dans le cadre d’une réconciliation nationale ; oubli de l’insurrection alors que s’affirmait une République éloignée des idéaux des communards […] La Commune n’a pas été intégrée à notre histoire nationale et à notre mémoire collective, ce qui a laissé une grande place à des mémoires conflictuelles […] D’un côté, le souvenir d’un mouvement émancipateur, politiquement et socialement, et des milliers de morts de la répression ; de l’autre, des incendies et des otages. »

Et il est vrai que dans mes livres d’Histoire je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’une histoire de la Commune.

Il faut rappeler, peut-être, qu’à côté d’Adolphe Thiers, il y avait dans le gouvernement des figures qui sont restés célèbres pour d’autres faits historiques. L’un des plus virulents soutien de Thiers était Jules Ferry. Il y avait aussi Jules Grévy qui évoque « un gouvernement factieux », Jules Favre « une poignée de scélérats » et Léon Gambetta qui approuva Thiers.

Le journal <La nouvelle République> qui relate aussi cet épisode évoque une autre pierre d’achoppement : la décision, en octobre, de classer comme monument historique la basilique du Sacré-Cœur, construite pour « expier les péchés » des communards qui avait provoqué l’ire de l’association des Amis de la Commune.

Et il cite l’historien Michel Cordillot autre spécialiste de la commune, coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier :

« La Commune est mal connue car elle est d’emblée prisonnière d’enjeux de mémoire. On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique […] en 1971, [lors de son centenaire] les affrontements étaient déjà terribles, y compris entre historiens […] Que faut-il alors retenir de cet événement ? L’expérience d’une république sociale, favorable à la démocratie directe, a permis notamment, et pour un bref moment, l’accès au pouvoir des milieux populaires – actuellement sous-représentés parmi les députés de l’Assemblée nationale – le droit de vote pour les femmes ou la laïcité dans l’enseignement, plus de trente ans avant la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des mesures extrêmement modernes, qui font consensus aujourd’hui […] la Commune a posé le principe de l’accès au pouvoir des classes subalternes. Avant, ça relevait de l’utopie. Après, ça devient une réalité. Et ça marche ! »

Et <L’Humanité> d’ajouter :

« En 1871, pendant soixante-douze jours, Paris redevient la capitale mondiale du progrès et la citoyenneté. Mais de cela la droite ne veut parler. »

Le site des amies et amis de la Commune : https://www.commune1871.org/ association qui a servi de déclencheur à la bonne vieille dispute entre droite et gauche…

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