Vendredi 27 novembre 2020

« Dans le football frigide de cette fin de siècle, qui exige qu’on gagne et interdit qu’on jouisse, cet homme est un des rares à démontrer que la fantaisie peut elle aussi être efficace »
Eduardo Galeano à propos de Diego Maradona

Je n’avais pas l’intention de faire un mot du jour sur ce footballeur, certes extraordinairement doué, mais qui avait tant d’ombres : lien avec la mafia, drogue, alcool et par moment des propos injurieux au-delà de l’imaginable.

Et puis par hasard, j’ai vu ce documentaire d’Arte : <Un gamin en or>

Au début je me suis dit : je ne vais regarder que les premières minutes et puis j’ai été happé et je suis allé jusqu’au bout. C’est bouleversant. Bien sûr, il a fait des erreurs, il a eu des faiblesses., mais quel talent et combien d’hostilité il a dû affronter dans le monde du football institutionnel.

Tout le temps agressé sur le terrain, parce qu’il était trop fort et quasi inarrêtable par des moyens licites.

Jusqu’à ce qu’on a appelé l’attentat d’Andoni Goikoextxea que vous pourrez voir sur cette page de <Sofoot>

C’était, le 24 septembre 1983, un match entre Barcelone, équipe dans laquelle jouait Maradona à cette époque, contre le club basque de l’Athletic Bilbao.

Maradona donnait le tournis à ses adversaires et alors « le sinistre boucher de Bilbao » par un tacle d’une violence inouïe venant de derrière la jambe gauche a eu pour conséquence une fracture de la cheville avec arrachement des ligaments. Pour toute sanction de son ignoble besogne, le misérable n’a écopé que d’un carton jaune, alors qu’il aurait dû être suspendu à vie.

Finalement, ce n’est pas totalement absurde après cette longue série sur Albert Camus, de rendre hommage à Diego Armando Maradona, probablement le footballeur le plus extraordinaire que la terre ait porté.

D’abord parce que, nous savons combien le football était important pour Camus, alors rendre hommage au meilleur de ce jeu a du sens.

Ensuite parce que Diego Maradona est né le 30 octobre 1960, cette même année dans laquelle, le 4 janvier, Albert Camus a trouvé la mort dans une voiture qui s’est encastrée dans un platane.

Et puis, celui auquel on a donné le nom de « El Pibe de Oro » « Le gamin en or », venait d’une famille aussi pauvre que Camus. Ils partagent tous les deux ces origines dans la pauvreté économique et la précarité.

Et aussi, tous les deux malgré ces débuts difficiles sont devenus très célèbres, Camus en sachant caresser et jongler avec les mots, Maradona en sachant caresser et jongler avec un ballon.

Et enfin, tous les deux n’ont pas oublié d’où ils venaient et toujours eu à cœur à défendre les humbles, celles et ceux que la vie n’a pas gâté dès leur début.

Dans le documentaire, on le voit participer à un match de bienfaisance dans la banlieue de Naples pour financer des soins coûteux pour un enfant modeste. Le terrain est boueux, de mauvaise qualité et il s’engage avec le même enthousiasme que sur les plus beaux stades.

Son goût de la justice va plus loin. Après que Naples son club après Barcelone, ait gagné pour la première fois le championnat italien grâce à son rayonnement, le Président avait décidé de verser une prime de victoire aux joueurs : une grosse prime pour les titulaires et une petite prime pour les remplaçants. Alors « El Pibe de Oro » est allé voir le président et l’a menacé de quitter le club si la même prime n’était pas versée à tous les joueurs titulaires et remplaçants et il a exigé que tous les salariés du club, même les plus modestes touchent également une prime parce que par leur engagement ils avaient aussi contribué au succès.

J’ai vu aussi ce documentaire qui est publié par la chaîne « Brut » : <Une vie : Diego Maradona>

Le documentaire, commence par cette réponse de Maradona à qui on a probablement demandé comment il avait vécu la pression en tant que footballeur :

« Vous savez qui a vraiment la pression ?

Le type qui doit partir à quatre heures du matin
et qui ne peut pas ramener 100 pesos à la maison,
C’est lui qui a la pression
parce qu’il doit nourrir ses enfants
Je n’ai pas de pression,
chez moi la marmite est remplie, grâce à Dieu. »

Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface resitue Diego Maradona dans son contexte sud-américain, la plaie de la guerre des Malouines entre la Grande Bretagne et l’Argentin et la méfiance à l’égard du grand voisin des Etats-Unis d’Amérique : <Géopolitique de Maradona>

Dans ma longue série sur le football, j’avais parlé de celui qui écrivait sur le football avec intelligence, connaissance et philosophie : Eduardo Galeano écrivain uruguayen

Dans son livre « Football, ombre et lumière » il parlait ainsi de Diego Maradona :

« Il était épuisé par le poids de son propre personnage (…) depuis le jour lointain où la foule avait crié son nom pour la première fois. Maradona portait un poids nommé Maradona, qui lui faisait grincer du dos. […]

Quand Maradona fut, finalement, expulsé du Mondial 1994, les terrains de football perdirent leur plus bruyant rebelle. En fin de compte, il était facile de le juger, facile de le condamner, mais il n’était pas facile d’oublier que Maradona commettait le péché d’être le meilleur (…). Dans le football frigide de cette fin de siècle, qui exige qu’on gagne et interdit qu’on jouisse, cet homme est un des rares à démontrer que la fantaisie peut elle aussi être efficace ».

J’ai aussi trouvé cette description du même Galeano :

« Aucun footballeur consacré, n’avait jusqu’à présent dénoncé, sans mâcher ses mots, les maîtres du football — bussines. C’est le sportif le plus célèbre et le plus populaire de tous les temps, qui a plaidé en faveur joueurs qui n’étaient ni célèbres, ni populaires.

Cette idole généreuse et solidaire a été capable de commettre, en cinq minutes, les deux buts les plus contradictoires de toute l’histoire du football. Ses dévots le vénèrent pour les deux buts : le premier est un but d’artiste digne d’admiration, dribblé par la diablerie de ses jambes, mais aussi, et peut-être plus, pour son but de « voleur » que sa main a dépouillé.

Diego Armando Maradona a été adoré non seulement pour ses jongleries prodigieuses mais aussi parce que c’est un Dieu sale, pécheur, le plus humain des dieux. N’importe qui pourrait se reconnaître en lui, une synthèse ambulante des faiblesses humaines, ou du moins masculines : un coureur de filles, un glouton, un ivrogne, un tricheur, un menteur, un fanfaron, un irresponsable.
Mais les dieux ne partent pas à la retraite, aussi humains soient-ils.
Il n’a jamais pu retourner dans la multitude anonyme d’où il venait. La renommée, qui l’avait sauvé de la misère, l’a fait prisonnier.
Maradona a été condamné à se prendre pour Maradona et obligé d’être l’étoile de chaque fête, le bébé de chaque baptême, le mort de chaque veillée.
Plus dévastateur que la cocaïne, est, la réussite. Les analyses d’urine ou de sang, ne dénoncent pas cette drogue. »

Et quand l’écrivain uruguayen est décédé, en 2015, Maradona lui a rendu hommage par <ces mots>

« Merci pour m’avoir appris à lire le football. Merci d’avoir lutté comme un n°5 au milieu du terrain et d’avoir marqué des buts aux puissants comme un n°10. Merci de m’avoir compris, aussi. Merci Eduardo Galeano, dans une équipe il en manque beaucoup des comme toi. »

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