Jeudi 6 mai 2021

« Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil »
Napoléon Bonaparte

Je ne ferai pas de série sur Napoléon. Ce sujet ne m’inspire pas suffisamment et je n’ai pas fait de recherches qui puissent me donner des éléments de réflexion qui méritent d’être partagés.

Je vais quand même réaliser un second mot du jour pour compléter celui d’hier, dans lequel j’écrivais : « Je ne nie pas qu’il ait créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France. »

Et parmi ces institutions probablement que le plus important fut « Le Code civil »

En 1815, il confie au marquis de Montholon sur l’île de Sainte-Hélène :

« Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles. Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil ! »

Robert Badinter a écrit un livre sur le Code civil : « Le plus grand bien » et dans celui-ci il analysait :

« L’état civil échappait définitivement à l’Église et le mariage relevait de la seule loi civile »

Bien sûr, Bonaparte ne fut pas seul dans cette réalisation, mais il faut reconnaître qu’il porta ce projet jusqu’au bout et que c’est parce qu’il en avait fait une priorité que celui-ci se réalisa.

Ce fut le 14 août 1800 que Bonaparte, alors Premier consul, désigna une commission de quatre éminents juristes : François Denis Tronchet, Félix Julien Jean Bigot de Préameneu, Jean-Étienne-Marie Portalis et Jacques de Maleville pour rédiger le projet de « Code civil des Français », sous la direction de Cambacérès.

<Wikipedia> nous informe que ces derniers furent choisis, entre autres, car chacun reflétait une partie du droit positif :

  • Bigot de Préameneu était un spécialiste de la Coutume de Bretagne (une coutume plutôt rurale),
  • Tronchet, président de la commission, était un spécialiste de la Coutume de Paris (cette coutume était la plus complète, elle suppléait les manques des autres coutumes),
  • Maleville, secrétaire général, originaire du Périgord, pays de droit écrit influencé par le droit romain (dont il est l’un des grands défenseurs).
  • Portalis enfin, était du Sud-Est (Aix), pays de droit écrit, il connaissait parfaitement le droit romain. »

Dès 1801, le projet est débattu devant le Conseil d’État. Sur 107 séances, 55 sont présidées par Bonaparte qui n’hésite pas à donner son avis et trancher quand il le faut.

Il sera promulgué le 21 mars 1804, mais au moment de cette promulgation le calendrier révolutionnaire était encore en vigueur. C’est pourquoi, l’historien rigoureux affirmera que la date de promulgation fut le 30 ventôse an XII.

Il a été modifié et augmenté à de nombreuses reprises à partir de la IIIe République, mais beaucoup des articles primitifs des titres II et III subsistent (plus de 1 120 au début des années 2000 sur les 2 281 articles d’origine)

<Le site Geo Histoire> rappelle cependant que dans la version initiale, la misogynie, la vision patriarcale de la société, l’esclavagisme nous est devenu insupportable :

« Reste que ses articles (aujourd’hui abrogés) sur les femmes apparaissent d’une misogynie inouïe et qu’il a “cohabité”, jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848, avec le monstrueux “code noir” (rétabli par Bonaparte en 1802 après avoir été aboli par la Convention en 1794).

Le “code civil des Français” fut d’abord celui des hommes “propriétaires, mariés et pères de famille”, résume Robert Badinter. Au nom de la famille et de sa stabilité, le “code Napoléon” a en effet consacré l’infériorité de la femme mariée face à l’homme. L’épouse côtoie les mineurs et les fous au rang d'”incapable”, se voit privée de tous ses droits civils du jour de son mariage.

L’article 213 original du “code Napoléon” définit ainsi les relations entre époux : “Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari”. Il faudra attendre 1970 pour que cet article soit modifié pour désormais prévoir que “les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille, pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir”. »

L’excellent site Thucydide.com, créé par de jeunes historiens et qui a pris le nom du célèbre historien grec a consacré plusieurs pages au Code Civil et nous apprend beaucoup de choses :

« 200 ans après sa rédaction, le “Code Civil des Français” est toujours en usage en France… Bien que l’on en parle peu dans la presse et encore moins à la télévision, le fait mérite d’être évoqué car ce Code voulu par le premier Consul Bonaparte a été l’un des éléments clés de l’unification juridique de la France. »

On a longtemps parlé de « Code Napoléon ». Le site Thucydide précise :

« L’appellation « Code Napoléon » désigne notre Code Civil et ses 2281 articles d’origine, au regard de son Histoire. […] . L’expression « Code Napoléon » désigne aujourd’hui ce qui, dans notre Code, n’a pas été modifié depuis l’adoption de ce Code.

Le Code Civil est un recueil de lois qui réglementent la vie civile des français, de la naissance à la mort. Il fonde les bases écrites de notre droit moderne français. Sa force vient du fait qu’il est applicable à l’ensemble des français : il marque la fin des législations particulières pour les régions du nord et du sud, les mêmes lois s’appliquant à tous. Il s’inscrit dans l’idéologie légaliste. »

Etienne Portalis a donné cette réponse à la question « qu’est-ce que le Code Civil ? » :

« C’est un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité ».

SI vous voulez plus de précisions, je vous conseille de lire Thucydide.com qui fait notamment l’histoire des codes depuis l’époque romaine.

Je cite pour finir des extraits de la page qui évoque le rayonnement du Code Civil Français à l’étranger :

« Le code civil, brillante œuvre au style clair et concis, sert de modèle à plusieurs pays. En Europe, la Belgique, les Pays Bas (Code néerlandais de 1838), l’Italie (Code italien de 1868), l’Espagne et le Portugal s’en inspirent. Aux Etats Unis, l’Etat de Louisiane utilisa le Code Napoléon comme source de base de son propre code. Au XIXème siècle, le Code inspira de nombreux pays : la Grèce, la Bolivie, l’Egypte. En 1960, plus de 70 états différents avaient modelé leurs propres lois sur le Code Civil. »

Pour l’instant, je n’écrirai pas un mot de plus et ne consacrerais pas des minutes supplémentaires à l’homme qui est mort le 5 mai 1821 à Sainte Hélène.

<1561>

Mercredi 5 mai 2021

«L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.»
Napoléon Bonaparte

Napoléon est mort le samedi 5 mai 1821 à 17 h 49, dans sa résidence de Longwood sur l’île de Sainte-Hélène. Il était âgé de cinquante et un ans, huit mois, vingt jours.

C’était, il y a deux cents ans.

Il débarqua sur l’île de Sainte Hélène le 17 octobre 1815, il y vécut donc 5 ans et demi. Grâce à Google Maps nous pouvons situer facilement ce lieu. Nous pouvons aussi savoir, tout de suite, qu’il se trouve à plus de 7000 km de Paris et à 2000 km de la côte, si on prend comme ville pour accoster, Abidjan


Si je compte bien, Napoléon a donc pu bénéficier de sa retraite à 45 ans. Cela me semble appréciable.

Quand il mourut, il fut enterré à Sainte Hélène.

Un site entièrement dédié à <l’exil à Sainte Hélène> nous donne de nombreuses informations, permet d’acheter des livres et des objets, à prix non bradés, sur la boutique en ligne, annonce pour ce jour une retransmission des cérémonies pour célébrer les deux ans et présente beaucoup de photos.

Nous pouvons donc contempler le lieu calme, éloigné de la pollution parisienne, où le corps de Napoléon a été enterré. C’est bien sûr une photo récente


Nous savons qu’il ne restera pas là. En 1840, Louis Philippe et son premier ministre, Adolphe Thiers, il fut aussi dans ce coup-là, trouvèrent politiquement pertinent de demander l’autorisation aux anglais de rapatrier le corps à Paris et de l’installer sous le dôme des Invalides.

En 1840, le tombeau imaginé par l’architecte Louis Visconti, n’était pas prêt. On installa donc le cercueil dans un local annexe. Le corps du défunt ne fut réellement placé dans son tombeau que le 2 avril 1861. L’architecte Visconti était déjà mort depuis 8 ans.

Et puis, Louis Philippe avait été chassé du pouvoir en 1848. Entre temps, la deuxième république avait fait élire le premier président de la République française. Le choix fut pervers pour la République, les français, probablement mal influencé par « une suite de mensonges » éliront le neveu de Napoléon. Ce dernier, trouvant le poste de président de la république trop médiocre, fit un coup d’État pour créer le second empire et devenir empereur comme son oncle.

L’un comme l’autre de ces deux empires s’achevèrent par un désastre et une France défaite, humiliée et affaiblie.

Dans ma série sur la Commune le second désastre a été un peu décrit. Il a permis à Adolphe Thiers qui fut au pouvoir sous Louis Philippe et dans l’opposition sous le second Empire, de revenir à la tête du gouvernement.

Victor Hugo a désigné Napoléon III comme « Napoléon le petit », laissant percevoir que l’oncle était « Napoléon le grand ».

Et c’est le récit qu’on a fait dans nos livres d’Histoire, pendant longtemps.

C’est ce que j’ai appris dans les cours d’Histoire, on ne disait quasi rien de la commune mais on parlait de la gloire du général devenu premier consul puis empereur.

On glorifiait ses victoires militaires et on excusait ses défaites. Les victoires étaient le fruit de son génie, les défaites des concours de circonstances malheureuses.

<Le Monde> dans une vidéo dans laquelle je retiens surtout la fin : une France redevenue un territoire, très loin des rêves de l’empire, affirme que Napoléon a gagné 77 batailles sur un total de 86., ce qui ferait un taux de 90% de victoires.

C’est à faire pâlir d’envie Didier Deschamps qui selon les dernières statistiques se situe à un taux de victoire de 66% (73 victoires sur 111 rencontres.). Fort heureusement, la stratégie de Didier Deschamps n’a jamais provoqué de victimes, contrairement aux batailles de Napoléon.

Le chiffre des victimes fait l’objet de contestations, mais il fut énorme pour la population française de l’époque

Mais ces « 90% » de victoires n’empêchèrent pas le désastre. Il fit le contraire de ce que De Gaulle avait annoncé en juin 1940 : « Nous avons perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre », lui pouvait dire : « je gagnerai un grand nombre de batailles, mais je perdrai la guerre ».

Et puis il y a le coût de ces massacres, le budget nécessaire pour faire la guerre devint considérable.

<Les Echos> écrivent :

«  Les recettes totales de l’Etat passeront à 800 millions de francs en 1810 et à 1,3 milliard en 1814 contre 475 millions en 1789. […]. Pour financer ses guerres, dont le coût a été estimé à un peu plus de 700 millions par an entre 1806 et 1814, Napoléon recourt au tribut imposé aux pays vaincus. Au total, les dommages de guerre prélevés par l’Empire grâce à cette politique s’élèveront à 1,5 milliard de francs entre 1805 et 1814.  »

Ce tribut imposé aux autres pays, ajouté aux victimes subis par les autres pays va avoir des conséquences très négatives sur l’image de la France.

Je reviens à la façon dont on m’a appris l’Histoire dans l’école de la République. Napoléon fut un génie et un bon génie pour la France. S’il faisait la guerre à toute l’Europe c’est parce que tout le monde voulait attaquer la France. Le peuple qui voulait toujours la guerre fut la Prusse, puis l’Allemagne.

J’eus un choc quand un jour, un ami qui était d’origine allemande m’a emmené en Sarre discuter avec des jeunes allemands de notre âge sur cette question de la nation belliciste. Et leur vision était exactement le contraire du récit qu’on me racontait. Et s’ils ne m’ont pas immédiatement convaincu, ils ont ébranlé mes certitudes. Pour eux, c’était la France qui a toujours voulu guerroyer partout en Europe ; Napoléon 1er constituant le paroxysme de cette ambition.

Par la suite mes études de Droit puis d’Histoire m’ont fait comprendre que si les choses sont bien sur complexes, la vision des jeunes allemands était plus conforme à la réalité. J’ai notamment appris à connaître « Le discours à la nation allemande » de Fichte dans laquelle ce philosophe conquis d’abord par l’idéal de la révolution française a été profondément heurté par la violence et les exactions des armées napoléoniennes et a enjoint le peuple allemand à se renforcer pour ne plus avoir à subir le joug de ces français arrogants et guerroyeurs.

<France Culture> parle de cette évolution de Fichte et des autres philosophes allemands.

Napoléon fut aussi un assassin : il fit tuer le duc d’Enghien, il rétablit l’esclavage aboli par la Révolution son attitude à l’égard dHaiti et de Toussaint Louverture furent indignes, surtout de l’image de fils des Lumière qu’il voulait se donner.

<Jean-François Kahn> prétend même que ses victoires militaires sont à relativiser :

« Bonaparte au pont d’Arcole. L’image d’Épinal est imprimée dans les esprits. Sauf qu’elle ne correspond à aucune réalité. Tous les témoignages de ceux qui participèrent à l’événement, dont le général de Marmont, le confirment, et Barras, le protecteur du futur empereur, en fait foi dans ses Mémoires : en fait, le héros tomba dans l’eau et la tentative de franchissement du pont fut un échec.La bataille n’en fut pas moins gagnée au forceps par la suite.
Tout le monde vous dira que Wagram fut une grande victoire… En réalité, les 21 et 22 mai 1809, l’armée impériale, qui venait d’entrer à Vienne, attaqua l’armée autrichienne commandée par l’archiduc Charles et fut sévèrement battue à Essling. Ce n’est que le 4 juillet suivant que la Grande Armée, très nettement supérieure en nombre, reprit l’offensive et franchit le Danube mais, se heurtant à une tactique de défense imprévue (la formation en équerre), fut de nouveau mise en échec et dut décrocher. C’est le 6 juillet seulement que, à l’issue d’une troisième offensive précédée d’une formidable préparation de l’artillerie, les Autrichiens durent se replier sans que l’Empereur, trop mal en point, puisse les poursuivre. On est loin d’un triomphe. Quant à la victoire de la Moskova, ce fut en réalité, sous l’appellation de bataille de Borodino, une quasi-défaite.

Comme à Eylau. On pourrait multiplier les exemples. Sait-on, par exemple, qu’après la prise de Toulon Bonaparte, qui flirtait alors ostensiblement avec les sans-culottes ” enragés “, préconisa l’exécution en masse de tous les suspects en tant qu'” ennemis du peuple ” ? Sait-on que, parce que le général Kléber avait osé critiquer son ” abandon de poste ” en Egypte, le Premier consul, puis l’Empereur, refusa que son corps, entreposé au château d’If, bénéficie de la moindre sépulture ? Sait-on que le général miséricordieux, qu’une peinture apologétique montre en train de témoigner sa sollicitude aux ” pestiférés de Jaffa “, accumula en réalité les crimes de guerre et qu’il fit, à Jaffa précisément, exécuter près de 4 000 prisonniers turcs sans autre forme de procès ? Qu’au Caire même il en fit exécuter des centaines d’autres au sabre pour ne pas gaspiller la poudre ? Que sans cesse, dans ses lettres à ses frères et affidés qui opprimaient l’Europe en son nom, il conseille, pour éviter les révoltes, de raser les villages récalcitrants, de fusiller des otages, de terroriser les populations en écrasant dans le sang toute contestation ? Au point qu’aujourd’hui encore, en Espagne ou en Russie, on fait peur aux petits enfants en prononçant son nom. Sait-on qu’après l’attentat monarchiste de Cadoudal dirigé contre lui il fit exécuter une petite charrette de républicains, dont un peintre de talent, qui n’y étaient strictement pour rien, tout simplement parce que ça l’arrangeait ? »

Et Jean-François Kahn explique la raison de cette « vision améliorée de l’histoire » :

« Tout simplement parce que, génial anticipateur des techniques les plus modernes de propagande, c’est lui-même qui la rédigea. Et ce récit, écrit de sa main, bulletin après bulletin, ou inspiré à ses scribes fut par la suite récupéré et donc crédibilisé, non seulement par les bonapartistes, ce qui était normal, mais également par les orléanistes et les républicains dans leur lutte contre la monarchie légitimiste. »

Cet article raconte encore d’autres choses intéressantes. Mais c’est bien Napoléon qui donne l’explication. On raconte que ce fut après la défaite de Waterloo qu’il révéla cette vérité :

« L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. »

Il y a beaucoup de mensonges dans cette histoire.

Je ne nie pas qu’il a créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France.

Mais pendant trop longtemps son personnage fut honoré bien plus que cela n’était justifié. Et pendant que la France consacra toutes ses forces vives à faire la guerre à toute l’Europe, l’Angleterre consacra l’essentielle des siennes pour enclencher la révolution industrielle qui lui assura l’hégémonie mondiale pendant un siècle

La gloire des militaires et la sanctification de la guerre furent poussées à un degré extrême en France.

Savez-vous que <plus de la moitié> des 80 personnalités qui sont inhumées au Panthéon l’ont été pendant le premier Empire, quasi tous des militaires.

Et puis, sinon le plus grave, au moins le plus actuel !

Peut-on imaginer un régime aussi personnel et déséquilibré que la Vème République dans un pays qui n’aurait pas été perverti par le récit bonapartiste et de cette croyance irrationnelle et déraisonnable à la possibilité d’un homme providentiel ?


<1560>