Vendredi 14 février 2020

« La vie »
Eternellement actuel, ce mot est aussi le titre d’un livre de Didier Fassin

Je termine aujourd’hui cette série sur les mots et expression d’aujourd’hui.

Il s’agissait de mots nouveaux qui viennent d’être inventés : « TikTok », « Méga-feux », « Flygskam » ou des expressions : « OK boomer »

Et puis il y avait aussi des mots qui ont une signification différente que celle attendue « Les sardines » ou des mots dont on retrouve la signification réelle comme « le consentement ».

Enfin des mots plus anciens mais qui ont une brûlante actualité « Populisme », « Hôpital public »

J’aurais pu parler d’« agribashing » de « Brexit » de « retraite » de « censure » et sur ce dernier mot il faut lire l’édito de Riss sur le site de Charlie Hebdo : « Les nouveaux visages de la censure »

Et puis « Féminicide » qui a été désigné comme le <mot de l’année> par le dictionnaire du Petit Robert. Ce terme qui <interroge la magistrature> et <le Droit> mais qui correspond à cette triste réalité de la violence que les hommes exercent à l’égard des femmes.

Mais je veux terminer par ce mot : « La vie ».

Je ne crois pas qu’il puisse exister un mot plus éternellement actuel que « la vie ».

Si je n’étais pas en vie je ne pourrais pas écrire, et si vous ne l’étiez pas vous ne pourriez pas lire. La vie est ce que nous avons de plus précieux.

La vie qui est relation comme l’écrit si bien Alain Damasio :

« Une puissance de vie !
C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte. »

L’académicien François Cheng qui parle si bien de la beauté (regardez cette <vidéo> à partir de 21’10 qui est un replay de la Grande Librairie) et qui a rédigé « Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie » a écrit :

« Disons dès à présent sans détour que je fais partie de ceux qui se situent résolument dans l’ordre de la vie. […] pour nous, le principe de vie est contenu dès le départ dans l’avènement de l’univers. Et l’esprit, qui porte ce principe, n’est pas un simple dérivé de la matière. Il participe de l’Origine, et par là de tout le processus d’apparition de la vie, qui nous frappe par sa stupéfiante complexité. Sensibles aux conditions tragiques de notre destin, nous laissons néanmoins la vie nous envahir de toute son insondable épaisseur, flux de promesses inconnues et d’indicibles sources d’émotion. »
Cinq méditations sur la mort, pages 16 & 17

Si un jeune, dans un moment de sérénité pendant lequel il n’aurait pas la tentation de me lancer « Ok boomer » mais plutôt de me demander : à ton âge, avec ce que tu as appris si tu n’avais qu’une phrase à me dire, laquelle serait-elle ?

Je répondrai certainement

« N’oublie pas qu’il y a une vie avant la mort ! »

Qu’il y ait une vie après la mort, certains le croient, mais ce n’est pas sûr.

En revanche, avant la mort il y a une vie à vivre.

L’actualité du mot « vie » est aussi liée aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. « La sixième extinction massive a déjà commencé ». La disparition des insectes est profondément préoccupante.

L’homme n’est pas seul sur terre. Sa vie, son équilibre dépendent aussi de la vie d’autres espèces.

Le médecin Marie François Xavier Bichat (1771-1802) a écrit dans son livre « Recherches physiologiques sur la vie et la mort » un aphorisme souvent repris :

« La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort »

Jean d’Ormesson a nuancé cette définition :

« Ma définition à moi serait plutôt l’inverse : la vie, c’est ce qui meurt. La vie et la mort sont unies si étroitement qu’elles n’ont de sens que l’une par l’autre. »

La vie est aussi tout ce qui se passe entre la naissance et la mort.

Et cette vie n’est pas la même pour tous, ni en ce qui concerne la durée, la santé, la souffrance, le plaisir et la joie.

Et ainsi l’actualité du mot « La vie » vient aussi de la leçon inaugurale, le 16 janvier, de Didier Fassin au Collège de France sur « l’inégalité des vies ».

Vous trouverez sa leçon inaugurale derrière <ce lien>

Didier Fassin, né en 1955, est un anthropologue, sociologue et médecin français. Il est professeur de sciences sociales à Princeton et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il a été élu au Collège de France pour occuper une chaire annuelle en 2020 consacrée à la santé publique. Il a travaillé sur les malades du sida, les demandeurs d’asile, l’humanitaire, la police, la justice, la prison, et sur « l’inégalité des vies ».

Il a écrit un livre paru en 2018 qui pour titre « La vie » et sous-titre « Mode d’emploi critique ».

Je l’ai d’abord entendu sur France Inter, le 17 janvier 2020, invité par Ali Baddou puis sur France Culture, le 18 janvier 2020, pour évoquer sa leçon inaugurale pour parler de ses recherches et de sa réflexion.

L’Obs a republié un grand entretien qu’il avait mené avec Didier Fassin lors de la sortie de son livre sur la « Vie »

Ces différents points d’entrée dans la réflexion et les études de Didier Fassin m’ont énormément intéressé.

Il arrive à réaliser cette performance de décliner avec naturel les statistiques et les études générales sur l’espérance de vie, la qualité de vie et les inégalités mais aussi de se mettre à hauteur d’homme pour illustrer la froideur des chiffres par l’émotion et la vérité de l’histoire de la vie d’êtres humains dont il raconte la réalité.

Il ne m’est pas possible de faire une synthèse de son propos mais je citerai un extrait de sa leçon inaugurale qui commence par l’espérance de vie :

« (…) Ce que nous nommons d’une expression aussi élégante que trompeuse « espérance de vie » n’est qu’une mesure abstraite résultant de la sommation de la probabilité de décéder aux différents âges et imaginant une génération fictive soumise aux conditions de mortalité de l’année considérée. Mais où donc est passée la vie ? Certes, l’espérance de vie nous informe sur un fait majeur : les disparités considérables de longévité existant dans nos sociétés – treize ans en France, quinze ans aux Etats-Unis, quand on compare les plus riches et les plus pauvres.

Mais ce qu’on peut dire de l’inégalité des vies tient-il dans cette seule mesure ? Deux illustrations suggèrent que cette quantification est nécessaire mais non suffisante. Elément troublant, en France, mais l’observation vaut pour d’autres pays occidentaux, quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle, les femmes ont une mortalité plus faible que les hommes. Ainsi les ouvrières vivent-elles plus longtemps que les hommes cadres, même si l’écart s’est réduit au cours des dernières décennies.

Ce fait, principalement lié à des différences de comportements à risque au regard de la santé, a souvent été décrit comme signant un privilège pour le sexe féminin. Or, d’une part, si les ouvrières ont une espérance de vie à 35 ans de deux années supérieure aux hommes cadres, leur espérance de vie sans incapacité est de sept ans inférieure, conséquence probable de conditions de travail défavorables ; l’avantage apparent est donc un artifice. D’autre part, et surtout, l’espérance de vie ne renseigne pas sur la qualité de vie, que ce soit en termes d’autonomie, d’émancipation, d’exposition au sexisme, et finalement de réalisation de soi ; nul besoin de souligner combien, sur ces différents plans, les femmes ont été et sont encore pénalisées dans un pays où elles n’ont obtenu que récemment le droit de voter et d’ouvrir un compte bancaire, l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse, l’autorité parentale conjointe et l’égalité des époux dans la gestion des biens de la famille, la reconnaissance des violences conjugales et du harcèlement sexuel.

 Comme n’a cessé d’y insister Françoise Héritier [1933-2017], ce qu’elle appelle la « valence différentielle des sexes » est, dans toutes les sociétés humaines connues, le produit de hiérarchies qui opèrent dans l’univers symbolique autant que dans le monde social, le premier servant souvent de justification au second pour distribuer inégalement le pouvoir. Qu’en France, ou ailleurs, les femmes vivent plus longtemps que les hommes ne nous dit rien, par conséquent, de ce qu’est leur vie ou, plus précisément, ce que la société en fait.

Une réflexion en quelque sorte symétrique peut être développée pour ce qui est des hommes noirs aux Etats-Unis qui, eux, vivent moins longtemps que les hommes blancs. La mort d’hommes et d’adolescents afro-américains tués par des policiers, et notamment d’Eric Garner étouffé lors de son interpellation pour vente de cigarettes à la sauvette [le 17 juillet août 2014, à New York], de Michael Brown abattu de plusieurs balles alors qu’il marchait dans la rue [le 11 août 2014, à Ferguson], de Freddie Gray victime de fractures cervicales occasionnées par son arrestation à la suite d’un contrôle d’identité [le 15 avril 2015, à Baltimore], de l’enfant Tamir Rice tué sur un terrain de jeux alors qu’il portait à la ceinture un pistolet factice [à Cleveland, le 22 novembre 2014], et de bien d’autres, a révélé la fréquence de ces incidents mortels. »

Et il revient à la réflexion sur la vie que j’ai essayé d’esquisser au début de ce mot du jour mais en la confrontant à la réalité des inégalités :

« Il y a ainsi, d’un côté, la vie qui s’écoule avec un commencement et une fin, et de l’autre, la vie qui fait la singularité humaine parce qu’elle peut être racontée : vie biologique et vie biographique, en somme. L’espérance de vie mesure l’étendue de la première. L’histoire de vie relate la richesse de la seconde. L’inégalité des vies ne peut être appréhendée que dans la reconnaissance des deux. Elle doit à la fois les distinguer et les connecter. Les distinguer, car le paradoxe des femmes françaises montre qu’une vie longue ne suffit pas à garantir une vie bonne. Les connecter, car l’expérience des hommes afro-américains rappelle qu’une vie dévalorisée finit par produire une vie abîmée. »

Et il cite Bourdieu et parle de notre société économique et sociale :

« Comme Pierre Bourdieu, dont les livres m’ont fait découvrir les sciences sociales, l’a montré à propos de sa propre histoire : c’est en prenant la distance épistémologique nécessaire qu’on transforme une expérience en connaissance et qu’on fait d’une dette sociale une œuvre scientifique. La question de l’inégalité est présente dans toute la sienne, même s’il lui donne d’autres noms, reproduction et domination, force de l’habitus et lutte des classements. De cette inégalité, qui prend de multiples formes, à l’école et dans le travail, en termes de capital économique et de capital social, la plus profonde est celle devant la vie même. »

J’ai donc voulu terminer cette série de mots par la « vie » avec un regard d’abord philosophique et poétique pour ensuite, grâce à Didier Fassin, esquisser la réalité sociologique des inégalités devant la vie. Car la vie n’est pas la même si un enfant nait en Somalie ou en Allemagne, s’il nait dans une famille pauvre ou dans une famille riche, s’il nait dans une famille noire ou dans une famille blanche, s’il nait femme ou homme dans beaucoup de pays du monde.

Et sur ce point on comprend bien que les solutions ne sauraient être individuelles mais sont politiques au sens le plus noble de ce terme.

Je sais que beaucoup ne croit plus en la politique. C’est pourtant la seule solution, celle de ne pas s’occuper de son seul ego, de sa petite famille, de son petit jardin mais de s’intéresser plus globalement à la communauté des vivants.

Didier Fassin restreint son propos à homo sapiens. J’aimerais élargir cette vision et inclure dans la communauté des vivants, non seulement l’espèce humaine mais aussi les autres espèces et les végétaux qui sont « en vie ».

Je finirai pas un dessin qui pose une question :


<La Leçon inaugurale de Didier Fassin : l’inégalité des vies>

<1349>

Jeudi 13 février 2020

« L’hôpital Public »
Un trésor national en péril

Avec « retraite », « hôpital » est le mot actuellement le plus cité dans les médias. Plus précisément l’«hôpital public» car il semblerait que les hôpitaux privés et les cliniques se portent plutôt bien.

Encore hier soir, mercredi le 12 février, France inter y a consacré son émission le téléphone sonne <Hôpital public : pourquoi la crise continue ? >. Fabienne Sintes a invité deux chefs de service pour parler de cette crise.

La Professeure Agnès Hartemann, Chef du service de diabétologie de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et Xavier Mariette, Chef du service rhumatologie de l’hôpital Kremlin-Bicêtre. Ils font partie des 600 médecins, chefs de service ou de structure, qui ont démissionné de leurs fonctions administratives depuis le mois de janvier, ulcérés par les failles de l’hôpital public, par le manque de moyens, la pression à la rentabilité, le travail « robotisé ».

C’est-à-dire qu’ils ont cessé de s’acquitter de leurs fonctions administratives. Ce qui signifie qu’ils poursuivent les soins, mais « ne sont plus en contact avec les administrations » hospitalières, ne codifie plus les actes qu’ils réalisent et refusent obstinément d’examiner les tableaux excel et les ratios de rentabilité que leur présentent leurs directeurs administratifs.

D’ailleurs pour la saint Valentin, ils feront une manifestation. Cette journée prendra la forme d’une journée baptisée « hôpital mort », seuls les soins d’urgence seront prodigués. Les personnels hospitaliers attendent une déclaration d’amour pour l’hôpital public.

A Paris, selon ce que j’ai lu, il est prévu un rassemblement à 12h pour un départ à 14h et le trajet se passera entre hôpitaux : Necker > Cochin > Pitié Salpêtrière.

L’hôpital !

Pour le dictionnaire Larousse ce mot vient du latin hospitalis domus : maison où l’on reçoit les hôtes.

Le dictionnaire du CNRS cite Chrétien de Troyes :

« ospital : établissement charitable [le plus souvent dépendant d’un monastère] où l’on accueille les pauvres, les voyageurs »

Wikipedia fait remonter l’histoire de l’hôpital au VIe siècle. Au Moyen Âge, c’est un établissement de l’Église qui accueille les pauvres et les exclus.

Ainsi, l’hôpital de la Charité de Lyon, construit au XVIIe siècle était destiné aux enfants orphelins et les indigents.

En 1529 et 1531, de grandes famines frappent la France à la suite d’une période de sécheresse provoquant un afflux de migrants sur la ville de Lyon. Afin d’offrir une aide à la population, l’Aumône générale est créée en 1534 au couvent des Cordeliers. Mais ses moyens restent insuffisants. En 1581, l’Aumône générale décide de construire l’hôpital de la Charité.

Il a été détruit en 1933, le maire de Lyon ayant trouvé plus opérant de faire construire à sa place un immense bâtiment, de style…(en fait sans style !), abritant la poste centrale de Lyon.

Il en va de même pour les Hôtels Dieu, parfois orthographié « Hostel Dieu », présents dans plusieurs villes et qui recevait les orphelins, les indigents et pèlerins et qui était administré par l’Église.

L’Hôtel Dieu de Lyon dont la construction débuta en 1184 par des religieux n’échappa pas à ce destin d’accueillir les pauvres et les pélerins. Il se situe à Lyon en face du pont de la guillotière qui pendant longtemps a été le seul pont qui traversait le Rhône pour entrer dans le Lyonnais. La rive gauche, du Rhône n’appartenant pas au Lyonnais mais au Dauphiné et le chemin des pèlerins qui venaient de l’est ou des migrants passaient par là.

L’hôtel Dieu de Lyon a été magnifiquement rénové, essentiellement par des fonds privés. Il a abandonné sa vocation d’accueil gratuit ou de soins pris en charge par l’État providence et est devenu un vulgaire centre commercial destiné à la consommation.

Dans notre vision de l’hôpital, il ne s’agit plus d’accueillir des indigents, mais des malades et de les soigner. De soigner tout le monde, avec les mêmes médecins, le même équipement ultra moderne et sophistiqué, les mêmes médicaments qu’elle qu’en soit le prix.

Mais la crise actuelle peut conduire à s’interroger : Est-ce que l’hôpital ne va redevenir un lieu d’accueil des pauvres. Les riches se faisant soigner à prix d’or dans les établissements privés dans lesquels la carte American express aura remplacé la carte vitale. Les plus beaux établissements pourront être rachetés par des fonds privés qui pourront y loger des commerces et services de luxe, comme l’Hôtel Dieu de Lyon.

Lorsque le Professeur Hartemann et ses confrères ont décidé d’entrer dans la grève administrative cité ci-avant, elle est venue devant la presse pour expliquer ce geste.

Vous trouverez la vidéo de cette intervention derrière ce <Lien>

« On nous demande de produire du séjour, alors que nous avions l’habitude de prodiguer des soins. Et on s’est mis à avoir, comme chef de service, à chaque fin de mois des tableaux Excel. Et là on se voyait dire, ah là c’est vert, Bravo ! vous avez fait plus de séjour. Et une autre fois c’était rouge, c’est mauvais vous avez fait moins dix séjours. Petit à petit on s’est rendu compte qu’on était infantilisé. […] et on a peur parce que quand notre activité baisse on nous coupe des moyens pour soigner.

[…]Je devenais une espèce de robot, à dire : ‘Quand est-ce qu’il sort ? Cela fait quinze jours qu’il est là, il occupe la chambre, je ne vais pas pouvoir faire du séjour’. Ce sont les jeunes, les infirmières, qui me regardent. Maintenant je sais que quand on me regarde comme ça, c’est que je ne suis plus éthique »

Et elle explique que dans son service réservé à des diabétiques sévères, quand elle les soigne bien et qu’ils restent dans la chambre ils ne sont plus rentables au sens de la gestion de l’Hôpital. Mais si on les ampute ils redeviennent rentables pour quelques jours.

En terme technocratique on parle de la « T2A », c’est à dire le fonctionnement de La tarification à l’activité (T2A) qui est la méthode de financement des établissements de santé qui a été mise en place à partir de 2004

Celui qui explique cela de manière très didactique est Stéphane Velut, neurochirugien et essayiste, qui publie « L’Hôpital, une nouvelle industrie » (Gallimard, coll. « Tracts », janvier 2020).

Ce livre est présenté ainsi :

« Tout juste soixante ans se sont écoulés depuis la création des Centres hospitaliers universitaires. Ces structures sont le cœur d’un système à la réputation excellente. Mais ce cœur s’est emballé. Le corps soignant s’épuise et les patients s’inquiètent. Les crises se succèdent avec leurs ordonnances de vains remèdes. Le malade que nous sommes, ou que nous serons presque tous un jour, a tout lieu de s’inquiéter. Le mal est profond. Il s’entend dans le nouveau langage qui s’est imposé au sein des pratiques hospitalières. Tel est l’éloquent symptôme qui révèle le dessein de faire de l’hôpital une nouvelle industrie, au mépris de son humaine justification. Un dessein indicible, qui rêve de fondre le soin dans la technicité abstraite et gestionnaire de notre société. »

Stéphane Velut pose cette question :

« Tenter de soustraire au maximum le facteur humain, trop humain, du système hospitalier, c’est prendre le risque que ce système s’effondre. Il faudra quand même, un jour, se demander si c’est bien. »

Il était invité à l’émission « La grande Table » du <24/01/2020>. Il raconte

« Je me suis réveillé tard, pour me rendre compte de ce qui se passait. Et il a fallu que j’entende les discours que je lise et que j’écoute parler ceux qui gèrent l’hôpital pour me rendre compte que quelque chose a changé et qui m’a échappé.. [C’est à la suite de cela que j’ai écrit ce petit ouvrage]

Le contexte est spécial. On m’a convié à une réunion où était présent un consultant d’une société de conseil. […] Le sujet concernait un futur hôpital qui devait voir le jour en 2025 et il a eu cette phrase que je note et qui est la suivante : Dans une démarche d’excellence, il va falloir transformer l’hôpital de stock en hôpital de flux. Et c’est cela qui m’a réveillé

Je me suis dit que ce langage qui est très nouveau est certainement le symptôme de quelque chose que je n’avais pas depuis que j’exerce, depuis les années 1980.

De quels stocks on parle, de quels flux on parle. En effet, ce sont les gens, ce sont les malades. C’est-à-dire que [..] il y a tout d’un coup cette volonté de faire de la maladie une matière première, et de la guérison un produit fini, comme si nous étions dans une industrie, une chaîne de production, à la différence qu’il ne s’agit pas de voitures, il ne s’agit pas d’autre chose que de gens. […] En reprenant d’anciens courriels, des lettres, des gazettes j’ai essayé d’analyser quand le langage avait changé. Il a changé en 2015/2016. Il a changé radicalement, si vous voulez savoir d’où il vient, vous n’avez pas beaucoup d’effort à faire il suffit d’acheter la havard business review, qui vous apprend comment manager une équipe, comment s’adapter à la transversalité de projet, afin de parvenir à une meilleure agilité. Des choses qui sont très étrangères à l’action de soigner. »

Le CHU a toujours été géré ce sont des grosses structures qu’il faut organiser et diriger. Mais il y eut une époque où la structure tenait comme seule fin la santé des gens et où le langage de l’administration était plus compréhensible.

Aujourd’hui on utilise un méta langage pour fabriquer du consentement, il utilise ce mot pour rappeler le livre de Noam Chomsky et Edward Herman « La Fabrication du consentement ».

Il a cette formule :

« On peut mentir avec sa langue, mais le langage ne ment pas ».

Il considère ainsi que le gestionnaire hospitalier qui gérait l’argent les recettes et les dépenses, l’hôtellerie, s’est hissé progressivement au rang d’administrant.

Il ne pouvait pas faire autrement parce qu’il devait faire des économies de manière radicale.

« Et pour ce faire, il a dû utiliser un langage qui n’a pas la sincérité du langage que nous avons parce que confronté à la maladie, à la mort, à la souffrance, à l’angoisse. »

C’est ainsi qu’il comprend que ces gestionnaires veulent transformer l’hôpital en une industrie où la vitesse et la rentabilité prennent le pas sur le souci de la personne humaine.

Et pour Stéphane Velut, le constat est clair : la seule façon de faire des économies, c’est de réduire le nombre de lits.

« C’est indicible, on parle de “redimensionnement capacitaire“… C’est ce manque de sincérité qui fait que ce malaise est grand. »

Une pédagogie qui explique ce qui se passe à l’intérieur, absolument remarquable, une émission à écouter.

Il parle aussi de la fuite des infirmières et des aides-soignantes qui en raison du manque d’effectifs sont de plus en plus en difficultés par rapport à leur travail. Elles quittent massivement l’hôpital public.

Les médecins aussi, d’autant que les cliniques privés les reçoivent à bras ouvert et les paient beaucoup plus chers

Stéphane Velut pense que si le processus actuel n’est pas enrayé, on en reviendra à ce que j’ai décrit ci-dessus : un hôpital public pour les indigents avec des soins de base et les cliniques privés pour les soins de très haute qualité que seuls les gens très aisés pourront se payer.

Et je finirai par deux extraits d’une émission du Guillaume Erner le 13/01/2020 : « Quel avenir pour l’hôpital si 1 000 médecins démissionnent ? » dans laquelle l’invitée était aussi La Professeure Agnès Hartemann.

Quand on la voit parler, on sent qu’elle est atteinte au plus profond d’elle, les larmes ne sont jamais loin.

Le premier extrait continue dans la description de la même logique à l’œuvre :

« Depuis dix ans, on subit l’ambiance de l’hôpital-entreprise. Nous on prodiguait des soins, on s’est mis à nous demander de produire du séjour, de produire de plus en plus de séjours pour rapporter de l’argent à l’hôpital. Et c’est un jeu de dupes, parce que la Sécurité sociale a un budget fermé, elle n’a pas pu suivre. Donc, on nous a supprimé au fur et à mesure de plus en plus de moyens et les conditions de travail des personnels en particulier sont devenues très difficiles. Et on a perdu beaucoup, beaucoup d’infirmières. […]

“Les infirmières ont été découragées, elles sont parties : actuellement à l’APHP il y a 800 postes vacants d’infirmières. Depuis deux ans, on est partis en vrille. C’est à dire que maintenant, on est obligés de fermer des lits par manque de personnel. […] Je vais donner ma démission, parce que je suis amenée à faire des choses non éthiques. Le vendredi, le samedi et le dimanche, il n’y a qu’une infirmière pour 13 lits dans cette unité [pour grands diabétiques]. Le vendredi, quand on se rend compte que les 12 patients qui sont là sont extrêmement lourds, et bien on appelle celui qui devait rentrer pour éviter d’être amputé. Et on lui dit “Écoutez monsieur, on ne pourra pas vous prendre. Il va falloir que vous alliez aux urgences près de chez vous et on vous prendra quand on pourra”, pour prendre un malade moins lourd. C’est terrible. C’est une perte de chance terrible. Et si vous voulez prendre le patient le moins grave au lieu de prendre le patient le plus grave, c’est insupportable. »

Et puis vers la fin de l’émission, elle explique autre chose qui me plonge dans un abime de perplexité :

« Vous savez on ne demande pas des choses folles. Je ne sais pas si tout le monde est au courant, mais le budget qui vient d’être voté pour l’hôpital public est à nouveau un budget à la baisse. En fait, il augmente de 2,3%, mais il y a des charges à l’hôpital public et des salaires, il y a des traitements de plus en plus chers, les patients vieillissent, ils sont de plus en plus graves, donc ils demandent de plus en plus de moyens. Et donc, chaque année, si on veut juste couvrir les charges, il faut augmenter le budget de 4% »

Evidemment que tous ces témoignages sont insupportables. Evidemment que la voix de l’empathie, de l’humanisme nous pousse à dire : il faut donner plus de moyens à l’hôpital.

Le professeur Hartemann parle d’un budget à la baisse.

Mais vous lisez ses chiffres et la réalité n’est pas celle-là, il y augmentation du budget de 2,3%. Or la croissance augmente en France en dessous de 1,5%, rarement à 2% et jamais à 4%. Ce n’est plus dans la capacité de l’économie française actuelle. Et d’ailleurs, toutes nos craintes légitimes quant au désastre écologique nous incitent à ne pas faire trop augmenter la croissance.

Dès lors les choses sont explicites : si on veut augmenter le budget de l’hôpital chaque année de 4%, il faut que d’autres dépenses baissent.

Or nos infirmières sont très mal payées (le 28ème rang de l’OCDE) selon Xavier Mariette, nos enseignants sont très mal payés. Et les chercheurs ? Et les policiers et l’état de la Justice ?

La France est pourtant un des tout premiers pays concernant la dépense publique et le volume des redistributions.

Xavier Mariette croit que les français sont prêts à payer davantage.

Je suis persuadé que de manière individuelle, celles et ceux qui disposent de moyens sont prêts à le faire pour eux.

Mais dans ce débat, il ne s’agit pas d’un problème individuel mais de mettre au pot commun, pour mutualiser les dépenses de santé.

Souvent quand on entend parler les gens, ils sont toujours d’accord d’augmenter les impôts et les cotisations …des autres.

Nos gouvernants ne sont pas très bons, mais le problème me semblent beaucoup plus compliqué que de simplement dire : il suffit d’augmenter le budget de l’hôpital.

<1348>

Mercredi 12 février 2020

« Pause »
Un jour sans mot du jour

Je ne suis pas parvenu à écrire un mot du jour pour ce mercredi.

J’essaie de préparer ceux de demain et après-demain.

Mais il y a 5 ans, le 12 février 2015, je partageais les anagrammes d’Etienne Klein et de Jacques Perry-Salkow.

Ce n’était pas des mots nouveaux.

Cela ne conduisait pas au sens des mots, quoique…

C’était incontestablement le renversement des mots.

Je partage une anagramme nouvelle non citée il y a cinq ans :

Albert Einstein = rien n’est établi

Voici le lien : « L’arôme des mots à l’infini »

<mot sans numéro>

Mardi 11 février 2020

« Les sardines »
Invention italienne anti-populiste

La sardine est un poisson gras excellent pour la santé notamment en raison de la présence d’oméga 3. Le docteur canadien Richard Beliveau, que j’ai déjà cité et sur lequel je reviendrai en fait l’éloge sur son site et prétend même qu’il s’agit une arme anti cancer <Adoptez les poissons gras> :

Mais ce n’est pas de ces sardines que je voudrais parler aujourd’hui, mais de sardines italiennes.

L’Italie constitue un laboratoire mondial pour la politique.

C’est l’Italie qui avant tout le monde, avant Trump, a mis à sa tête un milliardaire vulgaire, sexiste et sidérant : Silvio Berlusconi.

Au préalable, la justice avait lancé la grande opération < Mani pulite > (en français « Mains propres ») au début des années 1990 et visant la corruption de personnalités du monde politique et économique italien. Ces enquêtes mirent au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques. Des ministres, des députés, des sénateurs, des entrepreneurs et même des ex-présidents du conseil furent impliqués. Elles donnèrent lieu à une grande indignation de l’opinion publique et révolutionnèrent la scène politique italienne, provoquant la disparition de partis historiques comme la Démocratie chrétienne (DC), le Parti socialiste italien (PSI), le Parti socialiste démocratique italien (PSDI) ou encore le Parti libéral italien (PLI). Et ouvrirent la voie à Berlusconi.

Après Berlusconi et quelques péripéties, un jeune homme, maire de Florence, gendre idéal, séducteur, libéral-social et ouvert à la mondialisation su s’emparer du cœur des italiens. Cela ne vous rappelle rien de plus récent en France ?

Parce qu’en Italie, c’était avant et l’homme dont il s’agit était Matteo Renzi.

Il accumula les réformes jusqu’à celle de trop et un référendum qu’il perdit avec plus de 59% de Non. Les élections législatives qui suivirent, amenèrent au pouvoir un duo populiste improbable :

  • l’extrême gauche :  « le mouvement 5 étoiles » de Luigi Di Maio
  • et l’extrême droite « La ligue » de Matteo Salvini.

Le mouvement 5 étoiles avait nettement plus de députés que la Ligue. Mais dans le gouvernement, mis en place avec un premier ministre technocrate, Giuseppe Conte, les deux chefs politiques n’étaient que vice-ministre, l’impétueux Matteo Salvini allait rapidement s’imposer face à son partenaire d’extrême gauche. Les sondages montraient une chute de Di Maio et une montée inexorable de Salvini.

Cela se concrétisa lors de scrutins régionaux, mais surtout lors des élections européennes dans lesquelles La Ligue gagna largement avec 34,26% des voix, le mouvement 5 étoiles ne représentant plus que la moitié 17,06 %.

Salvini fort de ses succès et voulant accentuer sa politique d’extrême droite que le mouvement 5 étoiles tentait de maîtriser, souhaita convoquer de nouvelles élections et mis fin à la coalition. Les institutions italiennes résistèrent à cette manœuvre et Salvini fut éjecté du gouvernement au profit du Parti Démocrate.

Et c’est dans cette situation que fin 2019 se préparait les élections régionales d’Emilie-Romagne du 26 janvier 2020 qui ne pouvait qu’amener une victoire éclatante du populiste Matteo Salvini dans une région à gauche depuis 70 ans et encore gouverné alors par le Parti Démocrate.

Et, il s’est alors passé quelque chose d’étrange. Une sorte de mouvement des gilets jaunes à l’envers. Non pas un mouvement pour contester le gouvernement ; mais pour contester… l’opposition, en particulier Matteo Salvini.

Ce mouvement a pris le nom de Sardine (sardines) car, lors de sa première action publique, sur la Piazza Maggiore de Bologne le 14 novembre 2018, les organisateurs ont invité les participants « à se serrer comme des sardines ». La référence aux sardines vient, en effet, de l’expression « serrés comme des sardines dans une boite » (stretti come sardine),

<Wikipedia> nous apprend que :

« Lors du lancement de la campagne électorale pour les élections régionales en Émilie-Romagne, le 14 novembre 2019, la Ligue du Nord pensait lancer la candidature de la candidate Lucia Borgonzoni. En même temps, un groupe de quatre amis crée sur Facebook une manifestation d’opposition nommée « 6000 sardine contro Salvini » (six mille sardines contre Salvini) avec pour objectif d’organiser « la première révolution piscicole de l’histoire » et de jeter dans l’ombre la campagne électorale adverse en rassemblant [sur la place publique] au moins six mille personnes, soit plus que les 5 750 places assises de [la salle] réservées par la manifestation adverse.

Le succès du rassemblement des sardines à Bologne (peut-être dix mille personnes) est ensuite répliqué le 19 novembre sur la Piazza Grande de Modène puis, à travers de mobilisations éclair (flash mob), dans d’autres villes italiennes, mais aussi à l’étranger, avec une manifestation à New York, portant une visibilité internationale. Le 14 décembre à Rome, les sardines rassemblent 35 000 personnes selon la préfecture de police, 100 000 personnes selon les organisateurs ; au cours de cet évènement, un des organisateurs, Mattia Santori, réclame en particulier l’abolition du « décret sécurité » passé par Matteo Salvini lors du précédent gouvernement Conte I et qui a introduit une série de mesures contre l’accueil des migrants ou qui en facilitent l’expulsion ».

Grazia, le magazine italien dans un article récent : < Les Sardines Miraculeuses”, le mouvement antipopuliste qui anime l’Italie > décrit ce mouvement ainsi :

« Les sardines ne sont pas qu’un bon petit plat, mais un mouvement antipopuliste qui se répand comme une tache d’huile en Italie. […]

Un van déboule sur une place romaine à coups de joyeux Klaxon. Décoré d’un filet de pêche, il s’arrête et diffuse Bella Ciao , le chant des résistants italiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Collés sur un barnum, des poissons en papier délivrent ces slogans : “Non au racisme”, “Non à la haine”, “Non à l’homophobie”, “Non à la violence physique et verbale”. Des militants invitent les passants à inscrire leurs pensées et propositions sur des poissons prédécoupés et à les déposer dans des filets. Voilà l’esprit des sardines

[Tout commence le 14 novembre 2019, à Bologne] Quatre trentenaires inconnus au bataillon – un coach sportif diplômé en sciences politiques, une kiné, un guide touristique et un ingénieur – lancent un appel sur Facebook à une contre-manifestation. Le mot d’ordre : “Pas de drapeau, pas de parti, pas d’insulte. Créez votre propre sardine et participez à la première révolution piscicole de l’histoire. […]

“Être une sardine, c’est faire bloc contre le populisme, explique Alice, une Turinoise de 26 ans. Seul, le petit poisson est incapable de se défendre, mais, en banc, il peut survivre à une attaque de requins.” Comme tant d’autres Italiens, Alice n’en pouvait plus du “climat de haine” régnant dans son pays – rien que ces derniers mois, une femme noire interdite de monter dans un bus, une librairie de gauche brûlée à Rome, une famille rom chassée de son logement social par des néofascistes… Après Bologne, plus de 400 groupes se créent spontanément sur Facebook et Telegram pour remplir les places à Palerme, Naples, Florence, Milan, Rome […] “La Péninsule n’avait pas vu ça depuis trente ans”, s’étonne Emiliana De Blasio, sociologue. En interviewant plus de 1 000 Sardines, elle est surprise de trouver parmi elles des électeurs “de gauche, bien sûr, mais aussi du Mouvement 5 étoiles et du centre droit”. Valeria, 48 ans, a participé au rassemblement de Ferrare un livre à la main “Chacun en avait apporté un, certains Les Raisins de la colère de John Steinbeck, censuré par Mussolini. Un clin d’œil à la candidate de la Ligue en Emilie-Romagne qui venait de déclarer avec fierté n’avoir lu aucun livre depuis trois ans. »

A priori, ils ne veulent pas créer un parti politique :

«  Mattia Santori, l’un des fondateurs devenus aussi difficiles à interviewer qu’un ministre, le répète : “Nous ne voulons pas nous substituer aux politiques.” Jeune, sourire et charme XXL, il a été propulsé “sardine en chef” et invite à regarder plus loin que l’écran de son téléphone : “Nous courons un seul risque croire que les sardines sont la solution à tous les maux. Les sardines n’existent pas et n’ont jamais existé. Il existe seulement des personnes qui prennent position. »

<Marianne> a interrogé Bernard Spitz, président de l’association les Gracques, un groupe de réflexion qui souhaite une rénovation de la gauche française autour de valeurs sociales-libérales :

« Il s’est passé un événement exceptionnel samedi dernier : plus de 100.000 personnes rassemblées dans la rue pour protester ! […] Et elles ne protestaient pas pour réclamer, elles protestaient pour défendre l’intérêt général. L’ennemi désigné n’était pas seulement la Ligue et ses alliés d’extrême droite, elles se dressaient contre la mauvaise foi, les fake news, la démagogie, la pratique systématique de l’invective et de l’insulte dans le débat politique. Et elles ont choisi pour emblème les sardines. […]

Le choix de la sardine est un symbole d’humilité. De petits poissons qui circulent en nombre et se serrent les uns contre les autres. Leurs meetings se terminent par une chanson connue de tous : ciao bella ciao, une sorte de chant des partisans sur un rythme enlevé qui se termine par l’éloge de la liberté.

Les sardines offrent à la société civile l’occasion de s’engager pour des valeurs positives et pour l’intérêt général. C’est la raison pour laquelle nous les avons rencontrées à Rome cette semaine, que nous soutenons leur initiative et espérons les aider à l’élargir au-delà des frontières italiennes, pour diffuser leur message positif d’universalité. »

Et cela a fonctionné. Je donne la parole à <L’HUMANITE> du 27 janvier 2020.

« Cette région dirigée par la gauche depuis 70 ans restera dans le giron du Parti démocrate. Le président sortant Stefano Bonaccini l’emporte avec 51 % des voix. Matteo Salvini, le leader de l’extrême droite espérait l’emporter dans cette région centrale de l’Italie pour mettre en difficulté la coalition au pouvoir au niveau national.

Les sardines ont repoussé le requin. Le parti d’extrême droite de Matteo Salvini, la Ligue, a échoué, dimanche 26 janvier, lors des élections régionales en Émilie-Romagne. Sa candidate, Lucia Borgonzoni, n’a obtenu que 43,8 % des suffrages

[…] La prise de conscience permise par le mouvement des Sardines semble avoir fait son effet. La participation électorale a été plus forte qu’aux européennes dans les villes qui votent centre-gauche. »

« Les sardines » est un mot nouveau puisqu’il désigne un nouveau mouvement qui a pu gagner une bataille contre le populisme d’extrême droite.

Mais la guerre est encore loin d’être gagnée.

<1347>

Lundi 10 février 2020

« Populisme »
Un concept politique en expansion dans le monde

« Le populisme » est vraiment un mot qui fait l’actualité.

Il est difficile de saisir précisément ce qu’il signifie, mais il est beaucoup utilisé. Et à ma connaissance toujours avec une connotation négative. Le « populiste » c’est l’autre.

Dans ma jeunesse, il y avait un autre mot très utilisé en politique : « démagogue ». Mon professeur de français de troisième nous a dit :

« Vous serez intelligent le jour où vous comprendrez le sens du mot démagogie »

La démagogie est assez facile à définir. C’est la méthode d’un homme politique qui pour se faire élire va multiplier les promesses et flatter les électeurs sans être capable une fois au pouvoir de mettre en œuvre ses promesses.

Mais le populisme est une notion plus floue.

En revanche il est plus commode de faire la liste d’un grand nombre de personnalités politiques qui sont traitées de populiste :

  • Donald Trump le président des Etats-Unis
  • Narendra Modi le premier ministre indien
  • Jair Bolsonaro le président brésilien 
  • Boris Johnson le premier ministre britannique
  • Matteo Salvini l’ancien ministre de l’intérieur italien
  • Viktor Orban le premier ministre hongrois etc..

Et en France Marine Le Pen et Jean-Luc Melenchon sont le plus souvent traités de leaders populistes.

Dans leur défense, ces leaders retiennent que dans le mot populiste, il y a le mot peuple et que ils se réjouissent de représenter le peuple.

C’est une première approche du populisme que de constater qu’un de leur point commun est le fait d’opposer « le peuple » et « les élites » et de prétendre qu’ils sont du côté du peuple.

Pour Donald Trump, c’est un rôle de composition, mais qu’il joue visiblement très bien.

Plus largement, l’historien Pierre Rosanvallon s’est intéressé à ce terme de « populisme » en expansion partout dans le monde :

« De l’Inde à l’Amérique de Trump, à notre Europe et à l’Amérique latine, ce qu’on appelle populisme est en train de gagner.  »

Et pour faire cette analyse, il a écrit un livre « Le siècle du populisme » édité par le Seuil et paru le 9 janvier 2020

Il a été l’invité d’Ali Baddou le <10 janvier 2020>, émission dans laquelle il explique qu’il a voulu faire une Histoire de ce mot « populisme »

Il nous apprend que l’apparition explicite du mot populiste, en France, apparaît d’abord en 1929 dans le monde littéraire : « Le manifeste populiste » rédigé par Léon Lemonnier et qui entend inciter l’élite littéraire de s’intéresser à la vie du peuple, à la société profonde, d’en raconter les réalités et de beaucoup moins s’intéresser à la vie élégante de la bourgeoisie.

Le livre de Rosanvallon a pour ambition de combler un vide parce que le populisme n’a jamais été théorisé en tant que pensée politique.

Il analyse ainsi que :

« Le populisme, c’est à la fois un symptôme et une proposition […] Le populisme-symptôme est facile à analyser : c’est le dégagisme, la critique de la mal-représentation dans la société, c’est le dégoût devant des inégalités galopantes. [A l’inverse] le populisme-proposition apparaît beaucoup plus diffus, d’autant plus qu’il n’a jamais fait l’objet d’une analyse de fond, contrairement, par exemple, au communisme avec Marx, le socialisme avec Jaurès, le libéralisme avec Tocqueville. Toutes les grandes idéologies ont eu leur traducteur. »

Pierre Rosanvallon ne veut bien sûr pas faire œuvre d’idéologue comme les penseurs cités précédemment, il n’est pas populiste. Mais il dit :

« J’ai voulu montrer que derrière une certaine confusion, il y avait quand même un certain nombre de lignes directrices. J’ai voulu être un théoricien du populisme »

Et il fait remonter le populisme politique en France à Napoléon III :

« Le populisme est inséparable de l’histoire de la démocratie, c’est d’abord une proposition démocratique. Pendant la Révolution, il y a beaucoup de débats sur les rapports entre la représentation et la démocratie directe, immédiate. Et, le premier à apporter une réponse originale à cette problématique c’est Napoléon III. Parce qu’il dit que la démocratie repose d’abord sur le suffrage, d’abord sur le référendum. Au nom de la souveraineté du peuple, il a été le premier à critiquer les corps intermédiaires, la liberté de la presse et les partis, en disant aux journalistes que personne ne les avait élus, qu’ils n’étaient pas représentants de la société. Et aux partis politiques qu’ils n’étaient que des entrepreneurs politiques, pas des représentants. Il est le premier à avoir théorisé la suprématie de ce qu’on appelle aujourd’hui la démocratie illibérale. Et quand on relit Napoléon III, on voit que c’est exactement le discours d’Orban, et à certains égards le discours de Trump aussi ».

Il donne donc à Napoléon III la paternité de ce premier élément du populisme : celui de la démocratie directe, immédiate qui rejette les corps intermédiaires. Tout doit être soumis au pouvoir, parce que celui-ci a eu l’onction populaire.

Le second pilier du populisme serait le « dégagisme ». Pierre Rosanvallon situe son essor en Amérique latine en parallèle avec l’essor d’un leader comme incarnation du peuple. C’est évidemment connu de tous le « péronisme » argentin. Mais ; Il cite en premier leader sud-américian, un colombien : Jorge Eliécer Gaitán (1898 – assassiné le 9 avril 1948). Gaitan qui a été admiré par Peron, par Castro et Chavez disait :

« Je suis un homme peuple ».

Il ne savait pas qu’il reprenait ainsi la formule des partisans de Napoléon III.

« Puisqu’il est élu du peuple, il est un homme peuple »

Il y a donc selon Rosanvallon, une théorie de la démocratie dans le populisme.

Et dans une des principales propositions des populistes, en face des inégalités, c’est de se refermer sur soi-même, d’arrêter les flux d’immigrés, c’est ce que Pierre Rosanvallon appelle :

« Le national protectionnisme. »

Il parle ainsi d’une théorie sous-jacente du populisme qui :

  • D’abord oppose le peuple et l’élite ;
  • Ensuite conduit à l’émergence d’un leader qui émane de l’élection par le suffrage universel ;
  • Ce leader une fois élu n’a pas à tenir compte de corps intermédiaires parce qu’il est l’homme peuple ;
  • Enfin la principale proposition est de nature nationaliste, protectionniste et souvent xénophobe.

Ces 4 éléments définissent assez bien Donald Trump, Viktor Orban, et quelques autres.

Pierre Rosanvallon a déclaré au journal belge le «Soir»:

«Les populismes prétendent être une forme supérieure de démocratie»

Dans cet article de <Philosophie Magazine> qui analyse l’ouvrage de Rosanvallon, je retiens cette conclusion :

« Si le populisme n’apporte que des réponses simplistes, il a au moins le mérite d’obliger la démocratie à se critiquer et à se réinventer. Au lieu de s’en remettre au référendum, qui n’offre selon lui qu’une souveraineté impuissante, Rosanvallon en appelle plutôt à complexifier la démocratie, à l’élargir, à la généraliser, à la démultiplier et à la rendre interactive sous la vigilance de « l’œil » du peuple (destiné à compléter sa « voix »). Le populisme, enfant terrible de nos démocraties désenchantées, pourrait finalement en être le ferment. »

Lors de la préparation de ce mot du jour, j’ai appris qu’un autre livre vient de paraître le 10 janvier : « Mondialisation et national-populisme » d’Arnaud Zacharie

Arnaud Zacharie est belge et « Le Monde » a consacré un article à ce livre : <Les populismes observés à la lumière de l’histoire>

<Le Monde> qui consacre aussi un article au livre de Pierre Rosanvallon dans lequel on peut lire :

« La démocratie, écrit-il, « est par nature expérimentale ». Elle reste à ce titre le meilleur instrument pour permettre aux sociétés d’apprendre à vivre dans le changement perpétuel. Mais à condition de progresser encore, de se « démultiplier » en accroissant sa capacité de représentation de la réalité des vies et en donnant aux individus davantage de prise sur ses procédures, qu’il s’agit dès lors d’enrichir, à côté de l’exercice électoral, de « dispositifs permanents de consultation, d’information, de reddition des comptes ».

Il y a aussi cette émission de la Grande Table : <Populisme, l’affaire du siècle ?>

Et cet article de l’Obs : <Pierre Rosanvallon : « Il faut prendre le populisme au sérieux »>

<1346>

Vendredi 7 février 2020

« L’autre moitié du songe m’appartient »
Alicia Gallienne

Aujourd’hui, je vais me laisser la liberté d’interrompre ma série sur les mots et expressions nouvelles et les mots anciens qui sont revenus dans l’actualité.

Parce qu’aujourd’hui je voudrais parler d’Alicia.

Le grand acteur Guillaume Gallienne, anime chaque samedi sur France Inter, depuis septembre 2009, une émission :<Ça peut pas faire de mal> dans laquelle il lit des extraits d’œuvres littéraires

Sa première émission le 5 septembre 2009 était consacrée à Marcel Proust « Les pages comiques de la Recherche »

Puis de samedi en samedi d’autres écrivains ont été à l’honneur : Balzac, Cervantès, Tchekhov, Kafka et bien d’autres.

Mais il a décidé d’arrêter cette émission ce samedi 8 février 2020, il s’en est expliqué au micro de Léa Salamé : <le 3 février 2020>.

Pour sa dernière émission, il lira des textes et des poésies d’une auteure qui est morte comme tous les écrivains qu’il a lus tout au long de ses dix ans.

Mais cette auteure : Alicia est quand même un peu particulière.

D’abord c’est sa cousine.

Ensuite, Alicia Gallienne est morte alors qu’elle avait 20 ans.

Enfin, vous lirez dans <cet article de février 2009> de Libération :

« Jusqu’à 19 ans, jamais Gallienne n’avait pensé être comédien. A cet âge, il est en hypokhâgne et rêve d’être missionnaire. Ou avocat. Ou journaliste. Bref, n’importe quoi. La mort brutale de son adorée cousine Alicia bouleverse son regard sur la vie tandis que sa sexualité en éveil chamboule ses plans religieux. «On était très proches, elle était fascinante, incroyable. Sa mort, un 24 décembre, m’a réveillé : si je peux crever demain, alors je veux faire du théâtre.»

J’ai d’abord découvert son existence grâce à la revue de Presse de Claude Askolovitch du <31 janvier 2020> dans laquelle il parle de la beauté d’Alicia :

« Une jeune femme morte le 24 décembre 1990 d’une leucémie, qui treize ans plus tôt avait pris son petit frère, mais la cruauté n’est rien, car Alicia est devant nous Alicia dans la beauté de ses vingt ans, sa dernière année sur terre, les joues enfantines, les lèvres pleines photographiées par son dernier amour…

Elle écrivait depuis l’enfance et la nuit sortait dans des lieux à la mode, Régine le Palace et Castel, elle dinait en robe moulante chez Maxim’s et festoyait d’autant plus qu’elle savait la maladie… “Depuis toujours, écrit Pascale Nivelle dans un texte au diapason de la jeune fantôme, depuis toujours, elle tient à distance ses terreurs, les ponctions qui bleuissent ses clavicules, les piqures à toute heure, il lui arrive de se piquer en parlant, seringue plantée dans la cuisse sous une table de bistro, elle veut vivre plus que de raison, la nuit elle noircit ses cahiers de poèmes d’une écriture ronde, sans rature, j’écris pour être lue dit- elle à sa mère.”

Elle écrivait ceci pour conjurer sa peur.

Faiblesse je te hais de toi même; vivre c’est accepter de tomber sous le poids de ce qui ne nous appartient pas.”

Elle écrivait cela en pensant à son frère

Ne touchez pas à ma petite bête épaisse ma douleur

Ne touchez pas aux plus beaux yeux du monde que j’ai fermés longtemps pour ne plus les voir

Ne touchez plus à mon enfant perdu, il est quelque part implorant le silence

A toi mon caillou ma pièce d’or

A toi ma blessure enivrée ma lune à boire

Tu es la morsure douce au creux de ma main. 

Quand Alicia est morte, sa famille a gardé ses textes mais un jour sa maman a réalisé que les seuls mots de sa fille que l’on pouvait lire étaient sur sa tombe à Montparnasse. Alors, elle est allée voir son neveu, le comédien Guillaume Gallienne, que sa cousine vivante encourageait à vivre. Il est allé montrer ses poèmes chez Gallimard, une éditrice Sophie Naulleau s’est prise pour Alicia d’une de ses amitiés qui passent les frontières de la vie et le livre est là et Alicia vous attend ce matin, dans le magazine du Monde. »

Dans son entretien avec Léa Salamé, Guillaume Gallienne modifie un peu cette histoire. C’est lui qui est allé voir sa tante et l’a trouvée triste et affectée. A sa demande, elle lui expliqua qu’elle venait de se faire disputer par son frère qui lui reprochait de ne jamais avoir publié les magnifiques textes d’Alicia. Elle expliqua qu’elle avait essayé après 1990 mais que les maisons d’édition refusait en disant que cela ne les intéressait pas d’éditer un livre unique qui ne sera suivi d’aucun autre. Et c’est alors que la Mère d’Alicia a demandé à Guillaume Gallienne s’il ne pourrait pas intervenir auprès de son éditeur. Et c’est ce qu’il fit et il se trouva chez Gallimard des professionnels qui trouvèrent pertinent de publier cet ouvrage qui est paru hier le 6 février.

L’article du Monde auquel renvoie Claude Askolovitch a pour titre : < Alicia Gallienne, étoile filante de la poésie >

Ce très long article commence par une visite à la tombe d’Alicia :

« C’est une tombe toute blanche au cimetière du Montparnasse, non loin du cénotaphe de Baudelaire. Une alcôve de verdure grimpante, avec une grande croix sculptée et un quatrain gravé dans la pierre. « (…) Mon âme saura s’évader et se rendre (…). »

Morte à 20 ans d’une maladie du sang, Alicia Maria Claudia Gallienne a écrit des centaines de poèmes entre 1986 et 1990. « Qu’importe ce que je laisserai derrière moi, pourvu que la matière se souvienne de moi, pourvu que les mots qui m’habitent soient écrits quelque part et qu’ils me survivent », écrivait-elle à Sotogrande, dans la propriété de sa famille maternelle en Espagne.

Les quatre lignes inscrites sur sa tombe, déjà érodées par le temps, sont longtemps restées la seule trace visible de son œuvre. Quelques années encore et les mots se fondront dans le grain de la pierre. Envolés, comme la dernière image d’Alicia dans son cercueil, le visage serti dans la mantille blanche des mariées sévillanes. […]

Un après-midi de janvier, trente ans après la mise en bière, une longue femme brune s’avance vers la tombe, se recueille un instant devant la jeune poète disparue et l’objet qu’elle vient de déposer doucement sur la pierre. Ce livre de la collection « Blanche » de Gallimard, L’autre moitié du songe m’appartient, par Alicia Gallienne, qui sort ce 6 février, tient du miracle.

Sans la longue femme brune, Sophie Nauleau, écrivaine et éditrice, et sans le comédien et réalisateur Guillaume Gallienne, cousin d’Alicia, ce pavé de près de 400 pages, ovni dans le petit monde de la poésie, n’aurait jamais été imprimé. Et il n’aurait pas connu un tirage de 4 000 exemplaires, un chiffre très élevé pour de la poésie, genre littéraire loin de tous les classements de vente. »

Sophie Naulleau a écrit la préface du livre de poèmes.

Guillaume Gallienne raconte :

« Dans la famille, « on lisait parfois en pleurant quelques-uns de ses poèmes et on disait « le coin d’Alicia » pour désigner le secrétaire qui renfermait ses trésors. »

L’article se termine ainsi :

« Dans sa bulle aseptisée, sur son « lit de cristal », Alicia a écrit ses pensées au feutre noir, avec des étoiles, des points d’exclamation et d’interrogation. « J’ai toujours su ce qui m’attendait en venant ici. » En décembre 1990, elle remercie son amant « (…) Pour tous les moments où nous avons fait le bonheur à deux ! » Les pages suivantes sont restées blanches. »

Aujourd’hui, je voulais parler d’Alicia Gallienne.

<1345>

Jeudi 6 février 2020

« Islamophobie »
Mot piège

En réponse à mon premier article de cette série, Lucien a répondu :

« Les mots peuvent être des armes, certains sont des larmes ! »

Certains mots sont aussi des « pièges, des ruses, des escroqueries »

C’est indiscutablement le cas du mot « islamophobie ».

Et comme je l’écrivais lors de ce premier article, il faut expliquer un mot par d’autres mots imparfaits, incomplets pour comprendre la globalité d’un sujet.

Essayons donc, de faire œuvre de pédagogie, de rigueur et de lucidité.

Dans la rigueur du français, ce mot signifie la phobie de l’islam.

La « phobie » c’est avant tout la crainte de quelque chose.

Wikipedia nous apprend que le mot vient du grec ancien « φόβος » / « phóbos, » qui signifie frayeur, crainte ou répulsion et signifie une peur démesurée et dépendant d’un ressenti plutôt que de causes rationnelles, d’un objet ou d’une situation précise.

Ce terme est particulièrement utilisée en médecine : pour « agoraphobie », peur de la foule et des lieux publics, «  claustrophobie », peur des lieux clos, il existe même la « cancérophobie » je ne crois pas nécessaire d’expliquer.

L’arachnophobie, la peur des araignées est très répandue.

La phobie de l’islam signifie donc la peur de l’islam.

Mais les utilisateurs crispés et excités de ce mot entendent dire autre chose : la haine des musulmans, c’est-à-dire des êtres humains qui professent la foi de l’islam ou plus largement qui sont reconnus comme appartenant à la communauté musulmane par leur naissance, par leur famille. Ils veulent donc dire « anti-musulmans »

Cela n’a rien à voir.

  • L’islam est une religion, une idéologie, un concept.
  • Le musulman est un être humain, un citoyen qui dispose de la liberté de conscience.

La loi française protège le second de l’injure, de la menace, de la haine.

Elle ne fait rien de tel pour la première : la religion, l’idéologie.

Le terme d’islamophobie constitue donc un piège, un subterfuge qui veut se servir de la liberté de conscience des citoyens pour interdire la critique de l’islam.

Rien ne permet de mieux illustrer ce point que « l’affaire Mila » et surtout les réactions qui ont été causées par elle.

Je vais raconter l’histoire de Mila en reprenant les éléments qu’apporte <20 minutes> et d’autres que j’ai trouvé ailleurs, comme <cette vidéo> dans laquelle la jeune fille raconte sa version des faits.

Mila est une lycéenne, elle est originaire de l’Isère et elle a 16 ans

Cette jeune fille se revendique lesbienne. Elle a posté une vidéo, samedi 18 janvier sur instagram, dans laquelle elle parlait de chant. Ensuite, les choses sont moins claires, elle aurait échangé avec une autre fille de relations amoureuses. Il semble qu’il a été question à un moment d’une discussion avec une autre fille dans laquelle les deux ont marqué leur accord sur le fait que les arabes, « rebeux » dans le texte n’étaient pas «leur truc» pour ce type de relations. La discussion s’est envenimée, et des jeunes ont commencé à la traiter de « sale lesbienne » puis de « sale raciste » et aussi d’ « islamophobe » et elle affirme des insultes « plus hard ». Et puis la discussion a dérivé sur la religion et c’est là que Mila a dit (selon 20 minutes) :

« Le Coran est une religion de haine […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci au revoir ».

Il est vrai et je peux le reconnaitre que l’argument scatologique ainsi que la préconisation d’un coït anal digital divin n’apporte rien au débat et n’élève pas la pensée.

Cette jeune fille dans un moment d’énervement a utilisé l’injure, elle aurait pu s’abstenir.

Et elle a d’ailleurs eu des paroles d’explications et d’excuses dont se fait l’écho <La nouvelle Tribune> :

« Je ne regrette absolument pas mes propos, c’était vraiment ma pensée », a notamment déclaré l’ado lors de son passage sur le plateau de l’émission. Elle a tout de même voulu présenter ses excuses à celles et ceux qui se sont sentis blesser par ses déclarations.

Je m’excuse un petit peu pour les personnes que j’ai pu blesser, qui pratiquent leur religion en paix, et je n’ai jamais voulu viser des êtres humains, j’ai voulu blasphémer, j’ai voulu parler d’une religion, dire ce que j’en pensais », a-t-elle ajouté. »

Elle dit donc clairement qu’elle a voulu exprimer son opinion sur l’islam et elle souhaitait blasphémer.

Ce qui est totalement et absolument autorisé et accepté par la Loi et les textes fondamentaux français.

Dans toutes les versions de la phrase polémique, il n’est jamais question de personnes, de musulmans. Il est question d’une idéologie, d’une doctrine que Mila n’aime pas.

Cette histoire qui aurait pu rester dans un cercle très restreint, une sorte « d’embrouille » entre jeunes n’aurait pas dû s’étendre à une discussion nationale.

Mais c’est la suite qui est importante. La jeune fille a immédiatement été la cible d’une vaste campagne de cyberharcèlement, d’insultes et de menaces de mort avec toute la gradation de sévices qu’entendent pratiquer les fous de de Dieu à l’égard de celles et ceux qui leur déplaisent. Certains internautes ont dévoilé l’identité de la jeune fille, son adresse, et même celle de son lycée. La jeune fille a déclaré :

« Je recevais 200 messages de pure haine à la minute ».

Face à cette vague de haine, la jeune fille a dû être « déscolarisée » a indiqué à 20 Minutes le rectorat de Grenoble.

« Le proviseur de son établissement, situé dans le nord Isère, a procédé dès lundi matin à un signalement auprès du procureur de la République, et auprès de la plateforme Pharos [service de la police nationale chargé de la lutte contre la cybercriminalité]. La lycéenne, élève de seconde, ne s’est pas présentée en cours cette semaine »

Le ministre de l’intérieur a déclaré que la jeune fille et sa famille ont été mises sous protection policière.

Deux affaires ont été portées devant la justice, l’une, comme il se doit, contre les personnes ayant proféré des menaces de mort, l’autre plus étonnante contre Mila avec pour motif : «provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes». Cette seconde affaire est sans fondement, Mila a attaqué l’islam non les musulmans.

Et la <Justice Française> a fait son devoir et a rejeté cette accusation ;

«Dans un communiqué diffusé jeudi 30 janvier, le parquet de Vienne a indiqué que les investigations «n’ont révélé aucun élément de nature à caractériser une infraction pénale (…) L’enquête a démontré que les propos diffusés, quelle que soit leur tonalité outrageante, avaient pour seul objet d’exprimer une opinion personnelle à l’égard d’une religion, sans volonté d’exhorter à la haine ou à la violence contre des individus à raison de leur origine ou de leur appartenance à cette communauté de croyance».

L’autre pour identifier les internautes ayant exprimé les menaces de mort continue.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là.

Il y a d’abord Abdallah Zekri qui dirige l’Observatoire national contre l’islamophobie et qui est délégué général du CFCM qui a tenu des propos inacceptables.

Je rappelle que le Conseil français du culte musulman (CFCM) est une association française régie par la loi de 1901, placé sous l’égide du ministère de l’Intérieur, et qui a vocation à représenter les musulmans de France auprès des instances étatiques pour les questions relatives à la pratique religieuse. Il a été mis en place alors que Sarkozy était ministre de l’Intérieur.

Après avoir condamné les menaces de mort il a rejeté sur Mila la responsabilité de ce qui lui arrive. <Marianne le cite> :

« Cette fille, elle sait ce qu’elle a dit. Elle a pris ses responsabilités. Qu’elle critique les religions, je suis d’accord, mais d’insulter et tout ce qui s’ensuit… Maintenant, elle assume les conséquences de ce qu’elle a dit.” Lorsque les chroniqueurs de Sud Radio lui ont fait remarquer que Mila avait réagi, certes avec outrance, à des insultes, le délégué général du CFCM a affiché ses doutes : “Est-ce qu’on lui a dit ‘sale française’ ? Ou est-ce qu’elle le dit pour se faire plaindre ? Vous la croyez, cette fille-là ? Moi je ne la crois pas.” Quand l’avocate Yael Mellul indique à Zekri qu’il peut difficilement dire que Mila “n’a que ce qu’elle mérite”, celui-ci rétorque : “Si, je le dis. Elle l’a cherché, elle assume. Les propos qu’elle a tenus, je ne peux pas les accepter. »

Il ignore probablement qu’il habite le pays de Voltaire, de Hugo, de Jaurès, de Camus.

Beaucoup plus grave : La ministre de la Justice Nicole Belloubet sur Europe 1 a fait la même dichotomie.

Elle a donc condamné les menaces de mort et puis dans un même élan, je dirais sur le même plan elle a jouté :

«L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave»

Les bras m’en tombent !

Il y a deux énormités dans ce qu’elle raconte

La première c’est de mettre sur le même plan des menaces de mort, de viols et tout ce qui s’en suit donc très clairement un appel à la haine vers une personne physique et quelques insultes à une religion. Elle est donc exactement sur la même longueur d’onde qu’ Abdallah Zekri les insultes peuvent expliquer les menaces de mort !

La seconde est encore plus grave. Nous avons donc une Ministre de la Justice qui ignore ce point fondamental du Droit en France : le blasphème n’existe pas.

D’ailleurs les juges connaissent le Droit et ont jugé l’affaire dans ce sens.

L’avocat Richard Malka lui a répondu de manière cinglante : «Non, Madame Belloubet, injurier l’islam n’est pas une atteinte à la liberté de conscience!»

Et on voit bien ce que je dénonçais au début, le mot islamophobie est un piège puisque lentement on en vient à accepter dans les esprits le concept de blasphème.

Je me souviens, un jour dans notre cuisine, peu de temps après la tuerie de Charlie Hebdo, un jeune lecteur du mot du jour m’a interpellé :

« Tu ne trouves pas qu’on en fait un peu trop sur cette affaire »

Je me souviens de ma sidération et j’ai trouvé un dessin de presse qui mieux que les mots exprime la situation.

Je partage le tweet de Raphaël Enthoven :

« #JeSuisMila car le blasphème n’est pas un délit, mais une œuvre de santé publique. »

Et Charlie Hebdo qui ose ce titre : <Affaire Mila : le droit au blasphème fait fuir les lâches>

L’islam a un grand problème, comme le christianisme et le judaïsme : c’est une religion monothéiste.

Et Régis Debray a magnifiquement synthétisé le problème :

« Non seulement, ces religions [monothéistes] entendent régler nos mœurs et notre vie intime mais ce sont elles qui ont liées la notion de croyance et la notion de vérité et ça c’est de la dynamite. »

La confusion entre la croyance et la vérité !

Et pendant des siècles chaque fois qu’ils disposaient du pouvoir temporel elles ont imposé leur terreur, tuant les blasphémateurs et les incroyants.

Les religions ont insulté et traité de manière ignoble toutes celles et ceux qui ne suivaient pas « leur vérité ».

Le blasphème, c’est-à-dire la critique du sacré a été un formidable progrès dans nos sociétés. C’est une libération

Et l’islam est hélas aujourd’hui la seule religion qui de manière officielle continue à tuer pour le blasphème dans certains pays.

C’est là qu’il faut interrompre tous ces mots imparfaits qui essayent de décrire le problème que pose l’utilisation du mot islamophobie.

Pour en dire d’autres qui nuancent et apportent des précisions.

Il y a une très grande majorité de musulmans en France qui vivent leur Foi de manière apaisée et qui sont parfaitement intégrés dans les valeurs de la République.

Et puis il y a des musulmans qui tentent de faire évoluer les mentalités. C’est Annie qui m’a fait découvrir cette remarquable émission du dimanche matin sur France Culture : <Questions d’islam> par Ghaleb Bencheikh le dimanche entre 7 heures et 8 heures. Des réflexions d’une hauteur de vue remarquable.

La dernière émission avait invité l’essayiste Malik Bezouh qui a écrit un livre dont la couverture est déjà tout un programme :

Il dit :

« Blasphème, homosexualité, masturbation, athéisme… la puissance du tabou qui enveloppe ces thèmes rend presque impossible tout débat en islam. Figé politiquement par un despotisme empêchant l’émergence d’une réflexion apaisée et rationnelle, englué dans un conservatisme religieux anachronique, et travaillé en profondeur par des courants réactionnaires, le monde islamique, hétérogène, complexe, est à la peine lorsqu’il s’agit de considérer sereinement ces sujets, pourtant fondamentaux. Marqueurs d’une modernité enfantée par un Occident jadis chrétien, hier colonisateur, aujourd’hui sécularisé, ces questions génèrent des crispations parfois paroxystiques comme en attestent les attentats commis sur notre sol depuis quelques années. Aujourd’hui, l’islam est à la croisée des chemins. »

Vous pouvez écouter cette émission derrière <ce lien>

Une autre réalité à dire, c’est qu’il existe une haine anti-musulmane et anti-arabe dans une partie de la population française.

Inacceptable bien sûr, mais l’islamophobie n’est pas le bon mot pour décrire cela.

Wikipedia cite Caroline Fourest et Fiammetta Venner qui affirment,

« en 2003, que le mot a pour la première fois été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens, puis réactivé « au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission », pour justifier en 1990 la fatwa contre l’écrivain Salman Rushdie, pour condamner à mort Taslima Nasreen et plusieurs autres intellectuels musulmans pour des écrits jugés blasphématoires. Elles ajoutent que le terme est toujours utilisé par le régime iranien pour condamner toute production artistique jugée blasphématoire, comme l’accusation d’islamophobie lancée en 2007 par Mehdi Halhor contre le dessin animé Persepolis, réalisé d’après la bande dessinée de Marjane Satrapi. »

Et c’est une idéologie nocive qui vient de certains pays musulmans archaïques et intolérants et qui tentent grâce à leurs formidables pouvoirs financiers d’infiltrer la société française musulmane pour l’éloigner du modèle républicain et la faire muter vers des mœurs régressifs et un formidable recul de la liberté de pensée et d’opinion.

Ils utilisent le mot «islamophobie » pour souder une communauté de plus en plus large, empêcher la critique et la dénonciation de leur entreprise sournoise.

Saviez-vous que lorsque le CFCM a été créé, le gouvernement français a renoncé à ce que la charte de l’Islam au cœur de cette création ne contienne le droit fondamental de changer de religion :

« En novembre 1999, Jean-Pierre Chevènement entame une consultation large rassemblant toutes les fédérations musulmanes, les grandes mosquées et certaines personnalités3 et leur soumet un texte qui ne pouvait « faire l’objet d’une négociation », mais qui a cependant été amendé. Le texte initial ajoutait que cette convention : « consacre notamment le droit de toute personne à changer de religion ou de conviction ». Assimilée à un acte d’apostasie, cette précision sur le droit à changer de religion ou de conviction était pour Jean-Pierre Chevènement cruciale. Elle soulevait la question de la liberté religieuse. Si un musulman est libre de changer de religion, sa décision supplante celle du groupe. Inversement, pour un individu soumis à la communauté des croyants, cette soumission prime sur celle qu’il doit à la nation.

Après de longues discussions, Chevènement obtint dans un premier temps un engagement sur ce point, mais celui-ci fut finalement retiré à la demande des autorités musulmanes. Le pacte fut signé le 28 janvier 2000. Si Alain Billon, conseiller de Chevènement, considère le texte comme « expression positive de laïcité », il souleva immédiatement des critiques qui portent précisément sur le droit de changer de religion : ainsi, pour Leïla Babes et Michel Renard, « les pouvoirs publics, en acceptant d’altérer un texte présenté comme “non négociable”, introduisent un état d’exception qui pourrait se révéler préjudiciable pour l’intégration de l’islam dans le cadre du droit. »

C’est sidérant !

Cela ne change rien au Droit français et à la liberté d’opinion.

Mais cela prouve bien le problème que posent certains idéologues de l’Islam à notre République et à notre manière de penser la liberté.

« Islamophobie » est vraiment un mot important de l’actualité française.

Et certains hommes de gauche se perdent dans ce combat qui n’est pas un bon combat.

Et j’espère que personne ne doutera que je pense que le combat contre la haine des musulmans ou le racisme anti-arabe sont, quant à eux, de très bons combats.

<1344>

Mercredi 5 février 2020

« Les voraces »
Vincent Jauvert

Quand on évoque les voraces à Lyon, on pense immédiatement à la <Cour des Voraces> qui se situe sur les pentes de la colline de la Croix Rousse.

Le site vers lequel je renvoie prétend que selon l’hypothèse la plus courante, le mot VORACES serait une déformation du mot « devoirants », lui-même dérivé de « Compagnons du Devoir », dénomination choisie en 1846 par une association compagnonnique qui avait établi en ce lieu son quartier général. Il s’agissait d’une des nombreuses organisations ouvrières plus ou moins secrètes, de longue date basées dans le quartier.

La Cour des Voraces est en pratique une cour d’immeubles, construite vers 1840, célèbre pour son monumental escalier de façade de six étages. C’est une impressionnante traboule qui permet de passer du 9 de la place Colbert au 14 de la montée de Saint-Sébastien ou au 29 rue Imbert-Colomès, à des niveaux différents. Elle est liée à l’industrie de la soie qui avait ses quartiers à la Croix Rousse.

Mais l’actualité de ce mot est due à un livre d’un journaliste de l’Obs, Vincent Jauvert : « Les voraces. Les élites et l’argent sous Macron » paru le 16 janvier dernier.

J’ai découvert ce livre et les réflexions de Vincent Jauvert par l’émission <C à Vous du 16/01/2020>

Le Littré donne comme définition de vorace : « Qui dévore, qui mange avec avidité. » Le mot vient du latin voracem, de vorare, c’est-à-dire dévorer.

Avant le livre, nous avons eu l’extraordinaire feuilleton de toutes les activités du haut-commissaire à la Réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye qui avait omis de déclarer dix mandats à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dont plusieurs présentaient un risque de conflit d’intérêt majeur avec sa mission sur les retraites. Tous ces mandats posaient aussi la question de savoir comment cet homme, certes dynamique et efficace, était en mesure de remplir toutes ces activités.

Il y eut aussi la polémique de Sylvie Goulard que la France voulait nommer commissaire européen et dont la nomination a été rejetée par le parlement européen à cause de ses liens, alors qu’elle était eurodéputée, avec l’Institut Berggruen, think tank américain, connu pour faire du lobbying en matière commerciale. Pour ce job elle percevait 12 000 euros par mois

L’association « Anticor » a été créée pour mener des actions en vue de promouvoir l’éthique en politique et de lutter contre la corruption et la fraude fiscale. Une de ses responsables, Elise Van Beneden, ajoute à propos de  Mme Goulard :

« Elle avait aussi soutenu, alors qu’elle était sous-gouverneure de la Banque de France, deux amendements au Parlement européen, qui étaient en réalité des quasi copiés-collés de l’argumentaire de la Deutsche Kreditwirtschaft représentant les intérêts du secteur bancaire allemand. »

Mi-novembre Muriel Pénicaud, ministre du Travail, avait accepté d’entrer, au conseil d’administration du Forum de Davos. Elle y aurait côtoyé le président du désormais fameux gestionnaire d’actifs américain Black Rock. La Haute Autorité lui a demandé de démissionner…

Le livre de Vincent Jauvert me semble donc venir à point. Lui qui écrit :

« Fascinées par le train de vie toujours plus flamboyant des PDG du Cac 40, encouragées par l’exemple des gouvernants d’aujourd’hui qui ont fait fortune dans le privé, nos élites politico-administratives se sont engagées dans une course effrénée à l’argent »

L’Obs, le journal de l’auteur, a consacré dans son numéro du 16 janvier 2020, plusieurs articles à ce livre

J’en tire quelques extraits.

Vincent Jauvert synthétise les différentes dérives selon lui :

  • Des maires de grandes villes qui, pour compenser la perte financière due à la fin du cumul des mandats, prennent des emplois à temps plein loin de leur commune ;
  • Des grands commis de l’État qui se font embaucher à prix d’or par des entreprises qu’ils ont eu à surveiller dans leurs fonctions antérieures ;
  • Des hauts fonctionnaires qui, tout en restant dans leur corps d’origine, y ajoutent des indemnités d’élus, jusqu’à toucher des salaires de PDG ;
  • D’anciens ministres, et parmi les importants, qui rentabilisent leurs carnets d’adresses aussitôt quitté le gouvernement en devenant lobbyistes, avocats d’affaires ou consultants.

Prenons des exemples.

Deux présidentiables, un de droite, l’autre de gauche.

A ma droite, le maire de Troyes, dans le costume de gendre idéal :

«François Baroin [est maire] de Troyes et président de la métropole, une agglomération de 170 000 habitants. Afin de conserver une visibilité nationale, […] continue de diriger, à Paris, la puissante Association des Maires de France. Depuis octobre 2019, il est aussi membre du comité stratégique de LR, présidé par son ami Christian Jacob. De quoi l’occuper à temps plein.

Ses indemnités d’élu – 8 500 euros brut par mois, le maximum autorisé – représentent plusieurs smic. Mais là n’est pas l’essentiel de sa rémunération. Loin de là. Depuis plusieurs années, François Baroin est aussi avocat, toujours à Paris. Sa notoriété aidant, ses affaires se portent très bien. En 2015, il a touché 183 000 euros net de son activité juridique, 171 000 en 2016 et 125 000 l’année suivante. En 2018, il s’associe avec le célèbre avocat Francis Szpiner. L’ancien défenseur de Jacques Chirac et d’Alain Juppé lui offre un fixe de 7 500 euros net par mois plus une participation aux bénéfices. Mais ce n’est pas tout.

La même année, en mars, l’ancien ministre de la République est recruté par la banque d’affaires britannique Barclays. Officiellement, il sera “conseiller extérieur”. […] En clair, il sera le “VRP de luxe” de la banque […]. On ne connaît pas ses émoluments. Ils sont probablement élevés. […]

En décembre 2017, François Baroin entre au conseil d’administration de la compagnie belge Sea-Invest Corporation, l’un des principaux opérateurs de terminaux portuaires au monde. Il devient administrateur de trois de ses filiales, Sea-Tank International, Sea-Invest Africa et Sea-Invest France. Au total, pour le seul mois de décembre 2017, il percevra de ces trois sociétés 13 500 euros net de jetons de présence.

A Troyes, cet énième boulot du maire exaspère. On dit qu’il ne vient pas souvent dans l’Aube, qu’il laisse ses adjoints faire le boulot. Et même si le play-boy de la droite, à la fois qualifié de dilettante par les uns et de présidentiable par les autres, est charmant, là c’en est trop. Le quotidien de la ville, “l’Est Eclair”, grogne. Sea-Invest a recruté le président de l’AMF, s’indigne-t-il, “pour cultiver ses relations avec les élus locaux […] des grands ports”. »

A ma gauche, l’ancien ministre de l’intérieur et premier ministre, dans le costume de l’homme éthique et incorruptible

« Bernard Cazeneuve […] a été recruté par l’un des plus grands cabinets d’avocats de la place, August & Debouzy, où il avait déjà travaillé au milieu des années 2000 comme associé pour son département contentieux. C’est une première historique, qui reflète parfaitement l’époque. Jamais, au cours de la Ve République, un Premier ministre n’avait rejoint aussi vite le privé. Dans son cas, immédiatement après avoir quitté ses fonctions.

Les négociations d’embauche entre le grand cabinet et le dernier Premier ministre de François Hollande ont même lieu avant que Bernard Cazeneuve ne quitte Matignon. La preuve : il a saisi la HATVP [Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique, NDLR] le 2 mai 2017, soit treize jours avant sa démission… Cette antériorité n’a cependant pas empêché l’autorité de déontologie de lui donner son quitus, à plusieurs réserves près, qui limitent grandement le champ d’action de l’intéressé – des réserves que celui-ci devra respecter jusqu’au 15 mai 2020, c’est-à-dire trois ans après son départ de Matignon. Pendant cette période, “M. Cazeneuve, écrit la HATVP, ne pourra réaliser des prestations, de quelque nature que ce soit, pour l’ensemble des administrations d’Etat sur lesquelles il avait autorité en tant que Premier ministre”. Autrement dit, quasiment toutes. De même, il “devra s’abstenir de toute démarche, pour le compte des clients du cabinet August & Debouzy, auprès des autres ministres avec lesquels il a siégé au gouvernement […] et auprès des administrations qui étaient placées sous son autorité”. Enfin, il “ne devra pas se prévaloir, dans le cadre de son activité, de sa qualité d’ancien ministre de l’Intérieur ou de Premier ministre”.[…]

Une question m’intriguait. Juste avant de quitter Matignon, Bernard Cazeneuve a cosigné un décret d’application de la loi Sapin 2 sur les lobbys, qui concerne notamment les avocats d’affaires. Or ce texte, très controversé, est beaucoup moins rigoureux que les députés socialistes ne l’espéraient. Même la HATVP, d’ordinaire très discrète, s’en est publiquement plainte dans son rapport annuel 2017. […]

Le décret en question stipule que les représentants d’intérêts doivent désormais s’inscrire dans un registre tenu par la HATVP et déclarer chacune de leurs actions auprès des ministères et des parlementaires. Mais il précise qu’ils ne sont tenus de ne le faire que l’année suivant l’action de lobbying, et surtout sans avoir à nommer les personnes visitées. Autrement dit, ce texte ne permet pas un contrôle effectif de l’activité si sensible et si lucrative. En outre, un cabinet ne doit s’enregistrer comme représentant d’intérêts que si l’activité de lobbying représente plus de la moitié de son temps de travail. Autrement dit, exit donc beaucoup de banquiers et d’avocats d’affaires qui font du lobbying mais seulement à temps partiel…

Ainsi émasculé, le décret a été signé par le Premier ministre Cazeneuve le 9 mai 2017, soit une semaine après qu’il a demandé l’autorisation de pantoufler chez August & Debouzy. Or l’un des deux créateurs du cabinet, Gilles August, apparaît dans les statuts de l’association des avocats lobbyistes comme l’un des fondateurs du groupement. Et sur sa page LinkedIn telle que je l’ai consultée le 18 novembre 2019, il est noté que “August & Debouzy offre aux entreprises des compétences de pointe tant en droit des affaires qu’en droit public et en matière de lobbying”. […]

[Interrogé], le porte-parole d’August & Debouzy assure que le cabinet “n’exerce aucune activité de lobbying”. Il ajoute : “Nous sommes sortis de l’association des Avocats lobbyistes bien avant l’arrivée de Bernard Cazeneuve.” Lorsque je lui indique le contenu de la page LinkedIn de son fondateur, Gilles August, le même porte-parole me répond : “Il est possible que nous ayons omis de supprimer la mention lobbying dans nos communications […]. Je vous remercie d’avoir attiré mon attention sur la bio LinkedIn de Gilles August, qui n’est pas à jour.” »

Elise Van Beneden d’Anticor répond à la question de savoir si Cazeneuve était en situation de conflit d’intérêts ?

« Cela me paraît évident. D’autant que ce décret limite énormément la portée de la réforme. La loi oblige les représentants d’intérêts à s’inscrire sur un registre tenu par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique (HATVP) et à déclarer les actions qu’ils ont menées et les catégories de responsables publics qu’ils ont rencontrées. Mais on ne connaît pas les noms des personnes présentes lors des rendez-vous. La loi dit aussi que seules les personnes qui consacrent plus de 50 % de leur temps au lobbying doivent s’inscrire sur le registre. Mais si vous travaillez dans un cabinet de 30 personnes, il est très facile de répartir la tâche pour que tout le monde reste au-dessous des 50 %.

Maintenant, dire que Bernard Cazeneuve a pu se trouver en situation de conflit d’intérêts ne veut pas dire qu’il y a eu pacte de corruption. Ce qui serait le cas si son embauche avait été la contrepartie de la signature du décret. Ce ne sont pas les mêmes reproches. La corruption est un acte très difficile à démontrer. La prise illégale d’intérêts, elle, est très formelle. Elle interdit de prendre une décision si vous, vos enfants, votre femme ou votre mari, ou même un ami, avez pu y trouver un intérêt personnel, dans un délai de trois avant et après la prise de décision. »

En matière de prévention des conflits d’intérêts, la France a été l’un des derniers pays occidentaux à se doter d’un arsenal législatif et pénal. Depuis l’éclatement de l’affaire Woerth-Bettencourt, en 2010, quatre lois ont été votées.

Et puis il y a le pantouflage ! <Wikipedia> nous explique qu’à l’origine, le mot « pantoufle » désignait, dans l’argot de l’École polytechnique, le renoncement à toute carrière de l’État à la fin des études. La « pantoufle » s’opposait théoriquement à la « botte ». Ceux qui « entraient dans la pantoufle », les « pantouflards », avaient le titre d’« ancien élève de l’École polytechnique » et renonçaient à celui de « diplômé de l’École polytechnique ». Plus tard, le terme a également désigné le montant à rembourser en cas de non-respect de l’engagement décennal (comparable au dédit-formation des entreprises privées).

Le terme « pantouflage » s’applique aussi aux personnalités politiques qui, à la suite d’un échec électoral ou à la perte d’un portefeuille ministériel, occupent un poste grassement rémunéré dans une entreprise privée, avec des responsabilités limitées, s’arrêtant, en général à du lobbying, en attendant l’occasion de revenir sur la scène politique.

On parle aussi de rétro-pantouflage, dans le cas de hauts fonctionnaires ayant participé à des cabinets ministériels, pour ensuite « pantoufler » dans le privé avant de revenir servir l’État dont ils pourraient éventuellement espérer, en échange de ce retour, qui peut être pour eux un « sacrifice » financier, un poste important.

Le journaliste insiste sur le fait que cette porosité grandissante entre le public et le privé nécessiterait de resserrer l’encadrement des activités de lobbying, ce qui n’est pas le cas.

Les rémunérations des hauts fonctionnaires restent largement secrètes

« S’il faut une preuve de la puissance des hauts fonctionnaires, de leur capacité à faire obstacle à la volonté populaire, la voici : chaque fois que le Parlement a tenté de lever le secret sur leurs rémunérations, ils se sont débrouillés pour faire échouer le projet. […] Mission accomplie : le secret des rémunérations de la haute fonction publique reste bien gardé. […] »

Elise Van Beneden, d’Anticor a lu le livre de Vincent Jauvert et conclut :

« On constate une perte de sens du service public et une porosité dangereuse entre les élites politiques et économiques. Cette porosité est-elle plus importante qu’avant ? En tout cas, elle est plus visible. On entend certains dire que le service public n’est pas assez attractif. Mais des rémunérations jusqu’à 8 000 euros par mois devraient normalement mettre les gens à l’abri de la corruption. C’est peut-être la financiarisation de la société, et les gros revenus qui vont avec, qui créent ce sentiment d’un décalage de rémunérations entre le public et le privé. Mais si on veut gagner de l’argent, ce n’est pas vers la politique qu’il faut aller. On constate aussi que le lobbying s’est intensifié. Aujourd’hui, on voit des banques d’affaires et des cabinets de conseil démarcher directement des fonctionnaires dans les ministères pour leur proposer des opérations. »

<1343>

Mardi 4 février 2020

« TikTok »
Réseau social, nouvelle application préférée des adolescents

Lorsque j’ai évoqué, hier, la vidéo qui serait à l’origine de la popularisation de l’expression « ok boomer », j’ai omis de dire que cette vidéo avait été publiée sur le réseau social « TikTok ».

La première fois que j’ai entendu parler de ce réseau social, c’était dans l’émission « Esprit Public » du <12/01/2020>. Je vivais donc jusqu’au début de cette année sans connaître cette application qui semble être très prisée par les adolescents.

Cette émission abordait le sujet des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran suite à l’assassinat de Ghassem Soleimani par les Etats-Unis.

Emilie Aubry a introduit ce sujet ainsi :

« Si vous avez des ados connectés chez vous peut-être avez-vous comme moi vécu ce moment où l’enfant inquiet a surgi dans le salon pour vous demander : est-ce que c’est vrai ce qu’on dit sur les réseaux sociaux ? C’est le début de la 3ème guerre mondiale ? Aux sources de l’angoisse : depuis l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani par les Etats-Unis. Sur TikTok, la nouvelle appli préférée des ados, le #ww3 (World War 3) cumule plus de 1 milliard de vues.  »

Le boomer que je suis était resté à

  • « Facebook » avec ses 2,2 milliards d’utilisateurs actifs,
  • « Twitter » la plateforme de microblogging, qui permet d’envoyer à des millions de personnes des tweets de 280 caractères maximum pouvant être illustrés de photos, de vidéos, de liens et inventeur des #hashtags. Twitter revendique 326 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde, dont Donald Trump mais aussi Barack Obama, Emmanuel Macron et même Edgar Morin.
  • « YouTube », propriété de Google, numéro 1 dans le partage et le visionnage de vidéos ainsi que « Dailymotion », le concurrent de YouTube et « Viméo » réseau plus confidentiel de partage de vidéos.

Je connaissais aussi l’existence des réseaux sociaux professionnels « Linkedin » le réseau social professionnel créé en 2002 en Californie et qui revendique plusieurs centaines de millions de membres et son petit frère français « Viadeo » créé en 2004 à Paris et qui revendique 7,5 millions de membres en France.

Enfin certains noms ne m’étaient pas inconnus : « Instagram », « Pinterest », « Snapchat » « Periscope » et «WhatsApp » que j’utilise depuis qu’Annie était allée à New York rendre visite à Alexis et Marie.

Mais TikTok je n’en ai jamais entendu parler avant ce dimanche 12 janvier dernier.

Dans l’émission, j’ai compris que TikTok était une application chinoise et qu’elle était encore plus problématique que les autres. Il me paraissait donc intéressant d’en savoir un peu plus.

Le premier réflexe est de consulter <Wikipedia> :

« TikTok, aussi appelé Douyin, est une application mobile de partage de vidéo et de réseautage social lancée en septembre 2016. Elle est développée par l’entreprise chinoise ByteDance. Son logo évoque une note musicale. »

Lancée par Zhang Yiming en septembre 2016, l’application s’est très vite développée. TikTok est le principal service de ce type en Asie, et l’application est considérée comme celle ayant la plus forte croissance tous pays confondus. Elle est l’application de partage de clips qui rassemble la plus grande communauté. En juin 2018, TikTok atteint les 500 millions d’utilisateurs actifs mensuellement. Au cours du premier trimestre de l’année 2018, elle est la première application mobile en nombre de téléchargements (45,8 millions selon des estimations). »

Zhang Yiming qui est un ingénieur chinois, avant TikTok, avait donc créé en 2012 <ByteDance> qui est spécialisée en intelligence artificielle et basée à Pékin. Son objectif est la conception d’une « Super Intelligence » qui dépasserait les travaux occidentaux en matière d’Intelligence Artificielle. En août 2018, Bytedance opère une levée de fonds de près de 3 milliards de dollars ce qui en fait la startup la plus valorisée au monde, à 75 milliards, devant Uber.

Si vous voulez en savoir plus vous pouvez lire cet article : <Bytedance le géant derrière tiktok>

Fin 2019, l’application compte désormais plus d’un milliard d’utilisateurs et connait un succès chez les adolescents aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est

Cette page, graphique à l’appui affirme que « TikTok est la nouvelle appli préférée des ados »

<Cet article du Monde> que j’ai survolé semble expliquer assez précisément ce que l’on peut faire sur TikTok.

Pour ma part ce qui m’interpelle c’est qu’en février 2019, Tik Tok a été condamné aux États-Unis à une amende record de 5,7 millions de dollars par la Federal Trade Commission. La plateforme avait été reconnue coupable d’avoir illégalement collectée les données d’enfants de moins de 13 ans.

La même année, l’United States Navy de l’armée américaine ordonne à ses soldats de désinstaller l’application chinoise des smartphones militaires pour des raisons de cybersécurité.

<Ce site> nous apprend que le Royaume Uni a également engagé une enquête sur les agissements de TikTok et s’inquiète notamment de la faible protection des données qui pourrait faciliter les agissements de prédateurs sexuels. Dans Wikipedia il est question de reproche d’encourager le narcissisme et l’hypersexualisation de ses utilisateurs, souvent très jeunes.

Le journal l’Opinion a ainsi publié un article dont le titre est révélateur : « TikTok, l’appli dont les jeunes raffolent…et les pédophiles aussi »

Résumons, un entrepreneur chinois féru d’intelligence artificielle met à la disposition des adolescents chinois et du monde entier une application « sympa » de partage dans laquelle ces jeunes vont pouvoir s’identifier, s’exprimer, créer, révéler ce qu’ils aiment, dévoiler un peu leurs idées et aussi leurs angoisses comme par exemple la crainte d’une 3ème guerre mondiale. Cette application permet à des prédateurs sexuels de trouver un nouvel espace de chasse. Parallèlement ; l’intelligence artificielle chinoise peut collecter et analyser des milliards de données offertes gratuitement par les adolescents du monde entier et notamment occidentaux.

Il me semblait utile de citer « TikTok » dans les mots qui font l’actualité.

<1342>

Lundi 3 février 2020

« OK boomer »
Interjection visant à faire taire un senior en train d’exprimer son opinion

Cette fois nous sommes en présence d’une expression très récente et qui grâce aux réseaux sociaux et à l’internet s’est répandue dans le monde comme une trainée de poudre.

Pour qu’elle puisse être lancée il faut imaginer au moins deux personnes. S’il y a du public en plus, c’est mieux.

Il faut une personne de mon âge, plus précisément né après 1945 et guère au-delà de 1960. Ces personnes qu’on appelle « baby boomer », parce que né en Occident pendant la période du baby boom.

En face, il faut une autre personne qui est née nettement après cette période.

La scène commence soit parce que « le vieux » exprime des idées qu’il pense tirer de son expérience, soit parce que le « jeune » exprime des idées et que le « vieux » réplique avec des arguments qu’il croit justifiés par son corpus intellectuel.

Et la réplique du jeune fuse :

« Ok boomer !».

Dans l’esprit du jeune, cette réplique doit avoir pour effet de clore la discussion à peine entamée.

Voici Chloé Swarbrick, députée néo-zélandaise de 25 ans interrompue par un de ses collègues, plus âgés, pendant qu’elle s’exprimait au Parlement néo-zélandais. Elle lance l’expression cinglante et continue son discours comme s’il ne s’était rien passé.

Sur une page de <Libération> qui s’interroge pour savoir si cette expression vient de l’extrême droite américaine et y répond par la négative, on apprend que The Guardian avait donné la parole à la jeune députée néo-zélandaise qui avait utilisé la formule avec beaucoup de succès médiatique :

«Ma remarque “OK boomer” au Parlement était spontanée, bien que symbolique de l’épuisement collectif de plusieurs générations qui allaient hériter de problèmes qui s’amplifient de plus en plus dans une période de temps de plus en plus courte. Il s’agissait d’une réponse – comme il va de soi – à un déluge de chahut dans une Assemblée parlementaire qui, à l’heure actuelle, détourne beaucoup trop de gens ordinaires de la politique.»

On parle d’un « mème ». Wikipedia explique qu’il s’agit d’« un élément de langage reconnaissable et transmis par répétition d’un individu à d’autres ». Le terme anglais mème a été proposé pour la première fois par Richard Dawkins dans Le Gène égoïste (1976) et provient d’une association entre gène et mimesis (du grec « imitation »). Dawkins construit également ce terme pour sa ressemblance avec le mot français « même » (bien que ce dernier ait une étymologie différente).

Le journaliste de Libération <Luc Le Vaillant > traduit l’expression de manière assez triviale : «ta gueule, vieux con !».

Dans ce <Billet politique du 20/12/2019> Stéphane Robert est un peu plus diplomate :

« Il s’agit d’un “mème” pour reprendre un anglicisme, autrement dit d’une idée, d’un concept, qui se diffuse de façon virale sur les réseaux sociaux, sur internet. Et qui est une manière polie qu’a trouvé la jeunesse de dire aux personnes d’un certain âge qui leur font la leçon (en l’occurrence à la génération vieillissante des “baby boomers”) qu’elles feraient mieux de se taire.

Autrement dit, c’est une insulte qui renvoie les vieux à ce qu’ils sont, des vieux, mais c’est une insulte qui reste polie. ok boomer ! : “vas-y, cause, tu peux causer, de toute façon, ce que tu dis, c’est des “trucs” de vieux, ça ne m’intéresse pas”.

[…]”Cause papy. De toute façon, tu es vieux, tu vas bientôt mourir (ou quelque chose dans ce goût-là)…”[…]

Elle témoigne d’une rupture générationnelle, écrivait il y a quelques mois le New York Times.

Plus encore peut-être, elle marque une fracture et un basculement entre le monde d’hier où l’on imaginait que l’humanité se dirigeait de façon continue et inéluctable vers le progrès et le bien-être, et le monde qui vient où les jeunes générations ont la certitude qu’elles vivront demain moins bien qu’hier. »

Brice Couturier dans sa chronique le Tour du mondes idées du 2 décembre 2019 : < “OK, Boomer” : les 55/75 ans, à leur tour victime d’une révolte générationnelle> donne l’origine de ce mème :

«  Selon des sources qui paraissent mieux informées, comme Cosmo Landesman, dans The Spectator britannique, tout a commencé lorsqu’un homme d’âge mûr a fait circuler sur un réseau social, une vidéo dans laquelle il dénonçait la jeune génération. Cette classe d’âge, disait-il, refuse de grandir ; elle souffre du syndrome de Peter Pan. Aussitôt, un des jeunes en question a posté « OK, Boomer ! ». Et ce slogan est devenu viral. Il sert dorénavant [aux jeunes] à accuser celle qui est née entre 1945 et 1965 de lui léguer un héritage empoisonné.  »

Et Brice Couturier continue à citer Cosmo Landesman

« L’antipathie éprouvée par [les jeunes] envers les baby-boomers, est basée sur toutes les raisons prévisibles : pour leur condescendance envers les jeunes, bien entendu, mais surtout pour avoir précipité le changement climatique, amassé des dettes publiques, augmenté le coût des études, poussé les cours de l’immobilier à la hausse… et élu Donald Trump. » Mais ce que les jeunes reprochent surtout aux 55 ans-75 ans, c’est de s’accrocher au pouvoir, alors que tourne l’horloge biologique. »

Il cite aussi des baby-boomers qui donnent du grain à moudre au développement de « ok boomer »

« C’est bien fait pour nous, écrit Andrew Ferguson, lui-même enfant du baby-boom, puisqu’il est de la cuvée 1956. Oui, car c’est nous qui avons lancé l’antagonisme inter-générationnel, en attaquant nos parents. Ils appartenaient, eux, à la génération qu’aux Etats-Unis, on qualifie à présent de « Génération du silence », parce qu’ils ne se plaignaient pas, malgré les épreuves. Ils auraient eu pourtant bien des raisons de se moquer des illusions des baby-boomers.

Et Ferguson d’en citer trois, assez cruelles en effet : le Viet-Cong est un mouvement réformiste agrarien, les capotes ne valent pas l’ennui de les mettre, Yoko Ono est une artiste…

Cosmo Landesman, de son côté, se moque des baby-boomers qui, après s’être bien amusés durant leur jeunesse, s’auto-flagellent à présent, pour tenter d’obtenir l’approbation des jeunes. Et il cite le livre de l’ancien Secrétaire d’Etat aux Universités du gouvernement Cameron, David Willetts. Celui-ci a en effet publié un livre intitulé « The Pinch », sous-titre : « comment les baby-boomers ont volé l’avenir de leurs enfants ». Selon ce dernier, sa génération est largement bénéficiaire de l’Etat-providence. Elle en retirerait approximativement 118 % de ce qu’elle y aurait investi ; la différence étant acquittée par ses descendants. Les baby-boomers ont également acquis et tentent de conserver une position hégémonique sur le plan culturel.  »

Thibaut Déléaz prédit dans <Le Point> : que « OK boomer » sera le refrain de 2020 et fait cette analyse :

« Pour certains, cette expression symboliserait un mépris des jeunes générations envers leurs aînés. La réalité est un peu plus compliquée. […]

« Personne ne connaît les causes du changement du climat mondial. Nous savons que notre Terre a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement, et cela peut dépendre de processus dans l’Univers. » Tels ces propos tenus par le président russe Vladimir Poutine mi-décembre, voilà le genre de phrase qui peut valoir à sa génération de se faire rétorquer par les plus jeunes « OK boomer ». Traduction : « OK, t’es encore bloqué dans ton époque, t’as rien compris. » […]

Mais que cache cette expression ? La députée LREM Audrey Dufeu Schubert s’inquiète dans Le Parisien d’une formule qui donne « dans la censure de la parole des personnes âgées ». « Cela participe à l’âgisme, qui est, en effet, une forme de racisme, du moins une discrimination. » […]

La réalité est plus complexe que ça. Aux États-Unis, où est née l’expression, les milléniaux, « sont plus pauvres que les générations avant eux, et pourraient ne jamais les rattraper », explique le Wall Street Journal. Avec « OK boomer », les jeunes générations ne s’adressent pas aux personnes âgées dans leur ensemble, mais à leurs aînés nés après-guerre, qui ont connu l’âge d’or de la reprise économique, le plein-emploi ou ont pu utiliser et gaspiller les ressources de la planète sans compter, quand eux connaissent plus de chômage, des emplois précaires, ont traversé la crise de 2008 et se retrouvent à devoir gérer la crise écologique. […]

Le climat est d’ailleurs, de loin, la première raison d’être du mouvement « OK boomer » selon les étudiants interrogés par Student Pop. Viennent ensuite les salaires et aides, le gouvernement et le logement. « Il n’y a pas tant un conflit de valeurs qu’une demande des jeunes d’avoir les mêmes chances dans la vie que leurs aînés, analyse sur France info le sociologue Camille Peugny. C’est surtout une génération qui peine à se faire entendre par la classe politique, alors qu’elle est l’avenir. »

Sur le site « Mr Mondialisation » vous pourrez lire un article conséquent publié en décembre 2019 : <« Ok Boomer » : un terme plus profond que vous imaginez…>

Bien que je sois un « baby boomer » je dois concéder que je comprends l’agacement des jeunes générations sur ces différents points.

Le monde rêvé des baby boomers est d’ailleurs en train de se heurter à l’évolution des mentalités. Ainsi, un article du 17 décembre 2019 signale qu’aux Etats-Unis, « les grandes maisons des baby-boomers ne trouvent plus preneurs. » :

« Si les baby-boomers sont friands de grandes maisons, avec plusieurs chambres et d’un style un peu ancien, c’est loin d’être le cas des millennials. Ce qui crée un vrai problème sur le marché immobilier.

(D’un côté, il y a la génération des baby-boomers, qui ont eu plusieurs enfants et rêvaient d’un pavillon au soleil. De l’autre, il y a la génération Y ou celle des millennials, qui ont moins d’enfants et privilégient davantage les centres-villes des grandes villes. Deux visions de la vie bien différentes et qui ont du mal à s’accorder. Ce qui a une conséquence directe sur le marché immobilier américain, relève Business Insider, citant notamment des informations du Wall Street Journal diffusées plus tôt cette année.

En effet, les millennials n’achètent pas les maisons des baby-boomers. Ces dernières sont grandes, possèdent plusieurs chambres, et beaucoup d’entre elles sont situées dans les États de la Sunbelt (comme l’Arizona, la Floride ou la Caroline du Nord ou du Sud. Les millennials veulent des maisons plus petites, plus modernes, d’un style épuré. Ils désirent des conceptions minimalistes, loin des styles méditerranéens ou toscans chers aux baby-boomers. Ils choisissent des maisons où ils n’auront pas de travaux d’entretien à entreprendre. Et ils privilégient les villes où ils peuvent tout faire à pied plutôt que les villas en périphérie où la voiture est indispensable pour faire les courses.

[…] Résultat, les maisons construites avant 2012 se vendent avec des décotes importantes. Parfois près de 50%. Il arrive même que des propriétaires finissent par vendre moins cher que ce qu’ils avaient déboursé pour construire leur maison. Il y a tout simplement trop de maisons trop grandes, avec 5 ou 6 chambres, notamment dans les régions ensoleillées. Et cela ne devrait pas s’arranger. Les ménages du baby-boom possèdent actuellement près de 32 millions de maisons et représentent près des deux cinquièmes des propriétaires aux Etats-Unis, selon un rapport publié en 2018 par Fannie mae, l’un des principaux organismes de refinancement hypothécaires du pays. Or, le vieillissement des baby-boomers devrait entraîner un surplus de biens à vendre sur le marché au cours de la prochaine décennie, au moment où certains d’entre eux vont revendre leur bien pour aller en maison de retraite ou payer leurs frais de santé. »

On voit donc que la fin de vie des baby boomers risque d’être compliquée aussi…aux Etats-Unis.

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