Jeudi 31 janvier 2019

«On n’a pas besoin de test pour savoir si on est du soir ou du matin»
Jürgen Zulley

Je voudrais finir ma série de mots sur le temps débuté la semaine dernière.

Et j’en reviens encore à ce numéro de « Courrier International » du 20 décembre 2018 au 9 janvier 2019, envoyé par mon ami Jean-François de Dijon et portant le titre suivant sur sa page de couverture : « Le temps passe-t-il trop vite ? »

Cette fois je m’intéresse à un article publié le 16 novembre par le journal de Münich : « Süddeutsche Zeitung » et qui parle de notre biologie interne par rapport au temps.

Cet article donnait la parole à un spécialiste du sommeil : Jürgen Zulley qui affirme :

« On n’a pas besoin de test pour savoir si on est du soir ou du matin. »

Et l’article de citer l’exemple de deux grands écrivains de langue allemande : La journée de Thomas Mann était en général réglée comme du papier à musique. « Je travaille le matin », notait l’écrivain qui intégrait la sieste à son programme. En revanche, Franz Kafka, qui travaillait dans une compagnie d’assurances pour gagner sa vie, écrivait la nuit, parfois jusqu’aux petites heures du matin.

Il s’agit donc d’une confirmation scientifique que si certains sont du matin, d’autres sont du soir :

« Ce qui nous est facile, et à quels moments de la journée, dépend d’une série de rythmes d’une constance étonnante. Le plus rigide est le rythme de vingt-quatre heures. Il ne varie que de quelques minutes, même si on est à l’isolement total et sans lumière pendant plusieurs mois, comme l’ont montré des études réalisées dans des grottes en Italie et à Andechs [en Allemagne]. La journée est en outre ponctuée par des périodes de quatre heures et des périodes de quatre-vingt-dix minutes [soit une heure et demie].

“Les choses se faisaient déjà en fonction de ces rythmes avant même qu’ils soient connus de la science, explique Jürgen Zulley. Au bout de quatre-vingt-dix minutes de travail, les gens font une pause. C’est la durée de deux ‘heures’ de cours à l’école ou à l’université [en Allemagne] – et des matchs de football.” La plus grosse erreur que puisse faire un conférencier, c’est de prévoir un exposé de plus de quatre-vingt-dix minutes. »

Et c’est ainsi que nous apprenons que notre bioryhtme est influencé par le « cortisol »

Le site Doctossimo nous explique que :

« Le cortisol est sécrété par les glandes corticosurrénales à partir du cholestérol. Sa sécrétion dépend également d’une autre hormone, l’ACTH produite par l’hypophyse dans le cerveau (ACTH pour adrénocorticotrophine).

Cette hormone intervient dans la gestion du stress par l’organisme (adaptation de l’organisme au stress). En cas de stress, elle permet une libération de sucre à partir des réserves de l’organisme pour répondre à une demande accentuée en énergie pour les muscles, le cœur, le cerveau…

Cette hormone joue également un rôle dans le métabolisme des aliments : régulation des glucides, des lipides, des protides, des ions et de l’eau pour préserver l’équilibre physiologique de l’organisme. Elle joue également un rôle à la réaction anti-inflammatoire, la régulation de la pression artérielle, la croissance osseuse et participe à la régulation du sommeil et du système immunitaire. »

Et c’est un endocrinologue de l’Université de Munich qui précise :

« Notre biorythme hormonal est fortement influencé par le cortisol qui est sécrété surtout aux petites heures du matin […] Vers 3 heures du matin. Cela nous prépare à la matinée et à la journée »

L’être humain fonctionne par cycles : l’élan du matin est suivi d’un creux vers midi puis d’un autre pic l’après-midi qui retombe le soir.

Et ces cycles sont particulièrement importants pour les sportifs dont les performances peuvent varier de manière très sensible [d’un quart écrit l’article] lors de la journée. Cette différence peut alors être la cause de la victoire ou de la défaite :

« D’après une étude sur des athlètes de haut niveau publiée en 2015, le pic de performance dépendait de la durée écoulée depuis leur réveil. Ceux qui se levaient à 7 heures atteignaient leur maximum environ 5 heures plus tard, donc vers midi. Ceux qui dormaient jusqu’à 10 heures avaient besoin de dix heures d’éveil et n’atteignaient leur meilleure forme que vers 20 heures »

Notre consommation d’énergie connaît elle aussi des variations au fil de la journée, c’est ce que viennent de démontrer des chercheurs de Harvard. Cela expliquerait que les personnes qui font les trois-huit et celles qui passent leur vie dans les avions et changent tout le temps de fuseau horaire ont tendance à prendre du poids. Leur métabolisme est tellement irrité que leur bilan énergétique se retrouve sens dessus dessous.

Il peut donc y avoir conflit entre notre horloge interne et l’horloge externe.

Toutefois Jürgen Zulley affirme que :

« L’habitude fait aussi beaucoup, le corps apprend l’heure »

Bref l’expression : « connais-toi toi-même » cher à Socrate, doit aussi s’appliquer à notre horloge interne, à notre manière d’appréhender de manière optimale notre relation avec le temps ponctué d’activité et de repos.

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Mercredi 30 janvier 2019

« Ce sont des destins qui passent dont je vous parle en cet hiver de colère et de méfiances. [les voit-on ?]»
Claude Askolovitch

Un cordiste est un technicien qualifié qui se déplace à l’aide de cordes pour effectuer des travaux en hauteur et des travaux d’accès difficile sans utiliser d’échafaudage ni d’autre moyen d’élévation (type nacelle).

On appelle aussi le technicien cordiste un travailleur acrobatique.

J’ai trouvé une offre d’emploi qui vante ce métier sur <ce site> :

Intégrer une équipe où règne la bonne ambiance
Réaliser des tâches variées. Pas d’ennui
Développer un savoir-faire en termes de réalisation
Évoluer par formation interne
Réaliser des missions à fortes technicités.
Vous êtes Idéalement de formation technique, formé et expérimenté en Travail en hauteur ; apte et volontaire au port des appareils respiratoires et à l’intervention en milieux confiné et espace restreint

Quand vous travaillez dans un immeuble de grande hauteur, parfois vous apercevez des hommes de l’autre côté de la fenêtre, du côté du vide, qui nettoient les vitres de l’immeuble : ce sont des techniciens cordistes.

C’est la revue de Presse de <Claude Askolovitch du 11 janvier 2019> qui a attiré mon attention sur ce métier qui « permet donc de réaliser des tâches variées et d’éviter l’ennui » mais qui est aussi dangereux, surtout quand la pression économique conduit à oublier toute prudence.

Et Claude Askolovitch évoque un procès qui fait suite à un accident mortel de 2012 :

« Un procès qui vient bien tard, 7 ans après la mort de deux hommes ensevelis sous 3000 tonnes de sucre dans le silo qu’ils devaient nettoyer; c’était le 13 mars 2012 à Bazancourt dans la Marne, ils s’appelaient Arthur Bertelli et Vincent Dequin, ils étaient cordistes, c’est le nom de leur métier d’acrobates de l’industrie, employés comme intérimaires par la société Carrard services, pour faire disparaitre les agglomérats de sucre compact qui collaient aux parois du plus grand des silos du géant du sucre cristal union. A 11.30, dix minutes après le début de leur mission, le sucre s’est mis à glisser et couler comme un sablier, Arthur est parti le premier, Vincent ensuite qui a crié “Coupe ta corde, t’es pas dedans !” à Frédéric Soulier qui était au-dessus de lui et qui a coupé la corde et qui s’est mis à hurler pour que l’aide arrive et elle ne venait pas…

Il s’en est sorti et ne s’en remettra jamais, Frédéric il le raconte dans le Parisien, il le dira au tribunal correctionnel de Reims où les représentants de Cristal union et Carrard Services vont répondre des faits “d’homicides et de blessures involontaires, commis par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement”…

Long intitulé pour comprendre comment deux hommes sont morts, deux de ces cordistes qui gagnent quelques dix euros de l’heure et que les accidents rattrapent. Le 21 juin 2017, Quentin Zaroui-Bruat, 21 ans, est mort à son tour , encore à Bezancourt, enseveli lui sous des tonnes de déchets de grains de céréales qui dégageait ce jour-là une poussière épaisse dans ce silo de la société Cristanol, une filiale de Cristal union, qui fabrique du carburant végétal… L’employeur de Quentin mettait la pression sur ses intérimaires, quand ils hésitaient à descendre en rappel, « Si vous n’y allez pas, vous n’êtes pas des hommes ! »

L’histoire de Quentin est racontée sur le Web, l’article a été mis en ligne début janvier par le site basta mag, un site engagé, et qui, comme la presse radicale autrefois, raconte ce qu’est la condition des ouvriers précaires et donc de ces cordistes, souvent itinérants, qui ont leur porte-parole, l’un d’entre eux qui est aussi écrivain. Un homme mur, Eric Louis, il avait connu Quentin dans un silo où ils transpiraient ensemble, et a écrit un livre, “on a perdu Quentin”, pour qu’on n’oublie pas ce môme qui ne plaignait jamais, “posé, enjoué, gentil, attachant, volontaire, courageux” et qui venait travailler en Champagne depuis ses cotes d’Armor dans une 306 Peugeot à bout de souffle. Eric Louis se lit dans basta mag, il se lit dans un autre journal en ligne, la brique.net, où il a parlé de Quentin juste après sa mort.

Ce sont des destins qui passent, les voit-on, dont je vous parle en cet hiver de colère et de méfiances. »

Il renvoie vers deux articles qui parlent du second accident celui de Quentin Zaraoui-Bruat, cordiste de 21 ans:

« Quand le travail tue » sur le site « la brique » dans lequel Eric Louis qui était sur les lieux raconte comment les collègues ont compris peu à peu le drame avec l’arrivée des secours. Je tire de cet article qui est à lire ce court extrait :

« Plus tard, rentré à la maison, je consulte un article sur le site internet de L’Union, le quotidien local. […]. Sous la rubrique faits divers, je me tape le récit très succinct, au milieu duquel brille une publicité. Le nom de Quentin n’est même pas cité. Contrairement à celui du directeur de l’usine. Je suis écœuré.

J’y apprends que les pompiers du GRIMP (groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux) n’ont pas voulu descendre dans le silo, estimant les conditions trop dangereuses. »

Et un article plus analytique sur le site « bastamag » « Si vous n’y allez pas, vous n’êtes pas des hommes ! »

Nous apprenons notamment que :

« Pour des questions de rendements, on a envoyé des cordistes à la mort dans un silo bien trop plein, au lieu d’attendre que la matière s’écoule toute seule. »

C’est encore une question d’impatience et de refus de laisser le temps faire son œuvre. Mais le temps c’est de l’argent, l’homo economicus n’a pas le temps.

Nous apprenons aussi qui était le commanditaire et la description du travail des cordistes dans ce lieu :

«  Quentin Zaraoui-Bruat travaillait pour Cristanol, une filiale du deuxième groupe sucrier français Cristal Union – qui exploite les marques Daddy ou Erstein… –, installée à Bazancourt, dans la Marne.

À Bazancourt, la distillerie Cristanol se présente comme l’« un des leaders de la production de bioéthanol en Europe », un biocarburant obtenu à partir du blé et de la betterave. Dans ses silos, les résidus de céréales s’agglomèrent le long des parois et forment d’énormes blocs – qu’on appelle la « drêche ». Le travail de Quentin et ses collègues consistait à casser ces blocs, afin d’évacuer cette matière servant ensuite à l’alimentation des bovins. Toute la journée, ils tapaient à la pioche, à la houe, à la pelle, au marteau-piqueur, sous une chaleur étouffante, dans une atmosphère poussiéreuse, éclairés par une simple frontale. »

Il se passe aussi des épisodes comme ceux-ci dans notre beau pays.

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Mardi 29 janvier 2019

« L’envers du décor »
Sonia Kronlund dans son émission “Les Pieds sur terre” du 28/01/2019 qui parle de la violence en cuisine

La France est fière de ses grands restaurants. La semaine dernière le nouveau Guide Michelin a été publié, des chefs ont perdu des étoiles et d’autres ont en gagné.

Parallèlement, on répète à satiété que c’est un gisement d’emplois et que les jeunes français ne se pressent pas pour occuper ce type d’emploi. Certains même prennent prétexte de ce fait pour dire que cela prouve bien que des gens se complaisent dans le chômage puisque lorsqu’il y a du travail, les postes ne sont pas pourvus.

Mais quelle est la réalité qui se cache en cuisine dans beaucoup de ces maisons ?

Hier, quand je me demandais quel mot du jour je pourrais bien partager aujourd’hui et j’écoutais France Culture en retournant à mon travail. C’était l’émission de Sonia Kronlund : « Les pieds sur terre », dont le titre était « L’envers du décor »

C’est une autre journaliste Pauline Maucort qui est allé à la rencontre de jeunes qui racontent la vie, les relations, l’ambiance dans les cuisines, ce sont 4 histoires.

Pauline Maucort a un cousin qui a le même âge qu’elle : Maxime.

Lorsqu’elle était au lycée, lui travaillait déjà.

Elle se souvient que pendant les fêtes, bien souvent toute la famille se déplaçait en Alsace, là où travaillait Maxime. C’était le seul moyen de passer avec lui les quelques heures qu’il avait entre les services. A l’époque Maxime était apprenti serveur et n’arrêtait jamais de travailler

Des horaires de fou, il avait juste un jour de congé par semaine, parfois deux par semaine mais c’était impossible de savoir lequel à l’avance, ce n’était jamais le même et jamais le weekend end, on y pensait même pas.

Une année, à Noël alors que Maxime n’avait aucun jour de congé, la famille avait décidé d’aller déjeuner dans le restaurant gastronomique où il travaillait. C’était une folie, mais tous se réjouissait de le voir dans le beau costume 3 pièces dont il était fier. Pourtant en arrivant, ce n’est pas lui qui les a placés.

Quand il a fini par apparaître, pour prendre la commandes des boissons, c’est à peine s’ils l’ont reconnu : il était tendu, livide, il ne souriait pas et ne semblait même pas les voir. Il s’exécutait professionnel avec un petit tremblement dans le menton qui n’échappait pas à sa cousine Pauline. Il n’était pas seulement concentré, il y avait quelque chose de pétrifié dans son attitude, son regard vide.

Plus tard Pauline comprendra que c’était la peur.

Pendant les dix ans pendant lesquels Maxime a travaillé dans la restauration, Maxime ne s’est jamais plaint.

Puis il a démissionné et il a changé de métier, C’est alors qu’il s’est mis à parler.

Vous en saurez plus en écoutant l’émission : « L’envers du décor ».

Mais il y a de nombreux articles consacrés à ce sujet :

Heureusement que cette réalité est désormais décrite et que des chefs réagissent comme l’écrit Ouest-France : « Violences en cuisine. Des chefs s’insurgent et protègent leurs commis »

Ma conclusion sera de nouveau une critique aux technocrates qui plutôt que de se plonger dans leurs tableaux excel et dans leurs statistiques et dire que les jeunes ne cherchent pas de travail, feraient mieux d’aller simplement voir à hauteur d’être humain, ils comprendraient mieux certaines réalités.

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Lundi 28 janvier 2019

«Si je n’apprends plus rien, je suis mort. »
Clint Eastwood

Chers amis, chers lecteurs réguliers ou occasionnels du mot du jour,

J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce mot du jour.

Je garde en mémoire cette réponse de Jacques Brel à un journaliste qui lui demandait de parler de sa vie personnelle :

« Mais cela ne présente aucun intérêt. Cela n’intéresse personne.
Ce n’est pas poli. Cela ne se fait pas !»

Le mot du jour est un lieu de partage de réflexions, d’émotions, d’humour et surtout de questionnements.

Mais l’écriture va devenir un peu plus compliquée dans les prochaines semaines, prochains mois. Et je voudrais en quelques phrases en dire le contexte.

Il ne va pas s’arrêter, car j’ai besoin de cette discipline d’écrire et tenter de partager tous les jours un sujet d’intérêt qui peut toucher ou faire réfléchir.

Vous savez que je me méfie du seul récit des faits : «L’homme médiocre parle des personnes, L’homme moyen parle des faits, L’homme de culture parle des idées ».

Ce mot du jour je l’avais cependant complété quelques jours plus tard, lors de l’article consacré à Barbara : « Barbara me rappelle que j’ai oublié le plus important :
L’homme de cœur et en l’occurrence la femme de cœur parle de la vie et de l’amour. »

Il faut cependant que je commence par quelques faits :

En novembre 2011, j’ai été opéré d’un cancer de la prostate, solution la plus raisonnable pour un cancer détecté précocement à un âge où il pouvait se développer rapidement. La promesse était une guérison.

Ce ne fut pas le cas, il y eut récidive en 2013.

Bien que ce cancer fût détecté précocement et que tout au long de ces années j’ai été suivi consciencieusement, l’attente dont j’ai parlé lundi dernier a conduit au diagnostic que cette maladie avait muté en un cancer des os avec des métastases au niveau des vertèbres. Le langage technique désignera cette situation sous le nom de : « cancer au stade 4 » qui constitue l’avant dernière étape, celle dans laquelle la médecine occidentale sait encore freiner et ralentir la progression de la maladie sans laisser la moindre perspective de guérison.

Il me faut donc faire face à une maladie plus grave. Je vais le faire avec détermination, calme et en étant pleinement acteur de ce combat honorable, comme l’avait appelé François Mitterrand.

Les faits s’arrêtent là.

Mais être acteur signifie aussi lire beaucoup d’articles ou de livres qui donnent des informations, consacrer du temps pour se soigner et accompagner le soin par des temps de silence et d’activités physiques.

Le temps n’étant pas extensible, il me faudra consacrer moins de temps à mon travail professionnel, mais aussi au temps consacré à rédiger le mot du jour.

En aucun cas, le mot du jour ne va se transformer en bulletin de ma santé, ni en lieu d’échanges sur ce sujet.

Si dans mes lectures ou découvertes consacrées à la santé, j’ai le sentiment que telle information, article ou livre mériteraient d’être partagé, je le ferais.

Mais je continuerai à m’intéresser à tous les autres domaines qui m’ont occupé jusqu’ici et même au-delà.

Car je veux continuer à interroger, apprendre, comprendre et expliquer.

Probablement, au moins dans un premier temps, je rédigerai moins les mots du jour en allant plus vite vers le lien qui a inspiré ma réflexion et le désir du partage.

Je renverrai aussi parfois à des articles déjà écrits qui me semblent mériter un rappel. J’écrirai aussi probablement plus souvent des mots du jour consacré à la musique que j’écoute pour me faire du bien et dont je pourrai partager les bienfaits.

Et s’il n’y a vraiment pas de temps, il y aura des jours de pause.

Je me suis résolu à expliquer le contexte dans lequel cette aventure du mot du jour va continuer, il me semblait que cet exercice de transparence était utile.

Et avant notre finitude que j’entends repousser jusqu’aux limites du possible, il faut vivre tous les jours jusqu’à ce moment et continuer à apprendre sur tous les plans, parce qu’apprendre c’est la vie.

Et les grandes épreuves permettent d’apprendre beaucoup.

Comme exergue, j’ai choisi une parole du grand artiste américain qui a accordé un entretien au journal « Le Monde » à l’occasion de la sortie de son dernier film : Rencontre avec Clint Eastwood. Cet article a été publié le 23 janvier 2019.

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Vendredi 25 janvier 2019

« La dernière étreinte »
Jan van Hooff et Mama

Avant ce week-end, je quitte légèrement la réflexion sur le temps et l’inspiration à partir du numéro de Courrier International déjà évoqué. Légèrement car il est bien ici question encore de temps, de temps qui passe, de temps qui reste…

Au départ il y a un nouveau livre de Franz de Waal : « La dernière étreinte »

J’avais évoqué l’éthologue et primatologue Frans de Waal lors du mot du jour du 28 juin 2017 : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas »

J’ai d’abord entendu Frans de Waal parler de son dernier ouvrage lors d’une émission de France Culture : « La vie intérieure des animaux » qui a été diffusée le jour de Noël le 25/12/2018.

Frans de Waal travaille sur les émotions des animaux et leur capacité d’empathie.

Dans ce nouvel ouvrage il évoque le rire, le deuil, la colère, la pitié car les animaux éprouvent une palette d’émotions extrêmement variées.

Comme je l’ai écrit lors du précédent article, les études et la connaissance de Frans de Waal remettent en cause nos certitudes.

Il fait ainsi état des recherches récentes sur les émotions animales : les mammifères et la plupart des oiseaux ressentent des émotions : tristesse, joie, colère, deuil, désir de pouvoir ou sens de l’équité…

Et ce qu’il nous dit c’est que plutôt que de penser qu’il se laisse aller à « l‘anthropomorphisme » qui est la tendance à assimiler l’attitude des animaux à celles des hommes, nous devrions plutôt nous interroger sur notre « anthropodéni », c’est-à-dire la croyance vaniteuse des hommes en l’incomparabilité de leur espèce.

Mais je voudrais insister sur « la dernière étreinte » qu’évoque Frans de Waal et à laquelle il n’a pas participé. L’humain impliqué dans cette histoire qui s’est déroulée en avril 2016 est un autre scientifique néerlandais : Jan van Hooff

Une petite vidéo de 2 mn montre ce moment d’émotion et de grâce : <La dernière étreinte>

Aux Pays-Bas, le Burger’s Zoo d’Arnhem compte une colonie de chimpanzés étudiée de près par les scientifiques. Depuis les années 1970, une équipe de chercheurs observent la vie quotidienne et les comportements de cette communauté. Jusqu’en 2016, Mama, une femelle chimpanzé de 59 ans, était la matriarche de la communauté.

En avril 2016, à quasiment 60 ans, l’animal arrivait à la fin de sa vie. Mama était malade et refusait de manger.

L’équipe du zoo a alors eu l’idée de faire venir le professeur Jan van Hooff. Ce primatologue néerlandais est le co-fondateur de cette colonie de chimpanzés. Il connaissait Mama depuis 1972 et il avait tissé des liens profonds avec elle.

Alors qu’elle était sur le point de mourir, la vieille femelle chimpanzé reconnait le professeur qui avait commencé à s’occuper d’elle il y a près de 50 ans. Lorsque l’homme s’est approché d’elle et qu’il a commencé à lui parler et à la caresser, son visage s’est illuminé. L’animal affaibli a souri et a tendu sa main vers le professeur.

Lorsque Jan van Hooff se penche vers elle, Mama le touche, le caresse, se laisse nourrir et semble l’enlacer tandis que Jan van Hooff lui parle.

Une semaine après ces retrouvailles, Mama s’est éteinte à l’âge de 59 ans. Le professeur Jan van Hooff avait publié cette vidéo sur YouTube.

A sa mort, le scientifique lui a rendu hommage :

« Mama était un caractère unique, si puissant que tous les adultes mâles essayaient de rester dans ses bonnes grâces mais elle était aussi une source de réconfort et de soutien pour tous ceux qui étaient dans le besoin, tant qu’ils ne menaçaient pas sa position […] Elle me reconnaissait à chaque fois que je visitais le zoo et se montrait impatiente de « parler » avec moi et de m’épouiller. Elle nous manquera beaucoup ».

Mama jouait un rôle social important au sein de la colonie de chimpanzés d’Arnhem. Et c’est dans ce cadre que Frans de Waal l’a connu et en a tiré une partie de l’expérience relaté dans « La Politique du chimpanzé ».

J’ai tiré l’ensemble de ces informations de l’entretien à France Culture déjà cité et sur deux pages :

https://www.maxisciences.com/chimpanze/l-emouvante-reaction-d-une-chimpanze-mourante-face-a-l-homme-qui-prenait-soin-d-elle_art39956.html

https://fr.metrotime.be/2017/10/18/must-read/video-point-de-mourir-cette-chimpanzee-heureuse-de-retrouver-vieil-ami/

L’émotion, l’affection est évidente, la mémoire et les souvenirs aussi.

Mais est-ce que Mama comprenait que pour elle c’était le temps de la fin, qu’elle était en train de mourir ? C’est une question.


Parce que cette réponse de Snoopy à Charlie Brown est très belle, mais cela c’est de l’anthropomorphisme.

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Jeudi 24 janvier 2019

« La prééminence du temps linéaire correspond à une conception du monde eschatologique, où toute l’histoire humaine tend vers un jugement dernier. […] Il existe d’autres conceptions du temps »
Julian Baggini

Passé, présent puis futur, c’est une vision linéaire du temps. C’est celle que nous connaissons. C’est la vision occidentale.

Cette fois l’article traduit par courrier international est extrait du journal anglais : « The Guardian » et c’est le philosophe britannique Julian Baggini qui en est l’auteur.

Et il commence son article par une comparaison des philosophies du monde :

« Les premiers écrits philosophiques apparaissent à peu près en même temps à différents endroits du globe. Telle est l’une des grandes merveilles inexpliquées de l’histoire de l’humanité. Les origines des philosophies indienne, chinoise et grecque, ainsi que du bouddhisme, s’échelonnent sur une période d’environ trois cents ans, qui s’ouvre au VIIIe siècle avant J.-C.

Ces philosophies antiques ont déterminé les différentes formes de culte et les divers modes de vie, ainsi que la manière dont les hommes envisagent les grandes questions qui les concernent tous. La plupart d’entre nous ne formulent pas consciemment les principes philosophiques qu’ils ont intégrés, et souvent ils ne sont même pas conscients d’en avoir. Mais les idées concernant la nature du soi, l’éthique, les sources de la connaissance ou les buts de la vie sont profondément inscrites dans nos cultures et façonnent notre pensée sans que nous en soyons conscients.

Prenons par exemple le temps. Aujourd’hui, dans le monde entier, le temps est perçu comme étant linéaire, il s’échelonne en passé, présent et avenir. Nos journées sont organisées par la progression de l’horloge, à court et moyen terme nous nous appuyons sur des calendriers et des agendas, l’histoire court sur des fresques chronologiques embrassant les millénaires. Toutes les cultures ont leur propre conception du passé, du présent et de l’avenir, mais fondamentalement, pour une bonne part de l’histoire de l’humanité, on retrouve une constante, celle du temps cyclique. Le passé est aussi l’avenir, l’avenir est aussi le passé – le commencement est aussi la fin. »

Ainsi le monde des idées terriennes serait selon lui plutôt enclin à définir le temps par des cycles, un temps qui tourne en rond en quelque sorte.

Mais la révolution industrielle a donné la prééminence à l’Occident et c’est donc la conception occidentale qui l’a emporté, la vision linéaire.

Alors, d’où vient cette vision ?

Selon le philosophe britannique :

« La prééminence du temps linéaire correspond à une conception du monde eschatologique, où toute l’histoire humaine tend vers un jugement dernier. Sans doute est-ce la raison pour laquelle c’est devenu la manière la plus courante de concevoir le temps dans l’Occident chrétien. Quand Dieu a créé le monde, il a donné naissance à une histoire avec un début, un milieu et une fin. »

Mais il existe d’autres conceptions du temps.

De nombreuses écoles de pensée estiment que le commencement et la fin sont – et ont toujours été une seule et même chose dans une perspective de cercle qui revient vers son point de départ.

Le poème de Christian Bobin cité ce lundi disait d’ailleurs :

« car dans l’attente,
le commencement est comme la fin »

Et Julian Baggini de raisonner :

« Intuitivement, il s’agit de la manière la plus plausible de concevoir l’éternité. Quand on imagine le temps de façon linéaire, on finit par se demander, déconcerté : Que se passait-il avant le commencement du temps ? Comment une ligne peut-elle avancer sans fin ? Un cercle nous permet de visualiser un retour et un départ perpétuels, sans qu’il n’y ait jamais ni commencement ni fin. »

La vision linéaire permet de raconter des récits de création et de fin du monde, mais elle permet aussi de s’adapter au récit du progrès, récit d’abord occidental.

Avec le progrès on ne revient pas en arrière, il y a des innovations qui marquent une rupture : avant / après. Ce récit ou cette réalité a besoin d’une vision linéaire du temps :

  • Avant/ après la révolution agricole
  • Avant/ après l’invention de l’écriture
  • Avant / après l’invention de l’imprimerie

Le temps cyclique était dès lors présent dans des sociétés dans lesquels il n’y avait guère d’innovations d’une génération à l’autre.

Dans l’Inde ancienne, le livre des hymnes Rigveda parle ainsi du ciel et de la terre :

« Lequel est apparu en premier, lequel a suivi ?

Comment sont-ils nés ? Ô sages, qui peut les discerner ? Ils contiennent eux-mêmes tout ce qui existe. Le jour et la nuit tournent comme sur une roue. »

La philosophie est-asiatique est profondément enracinée dans le cycle des saisons, lui-même intégré au cycle plus large de l’existence.

Mais il y a des conceptions du temps qui dépassent cette opposition linéaire/cyclique. Ainsi l’Islam qui selon cet article est fondé sur une vision cyclique, mais où chaque cycle fait avancer l’Humanité, chaque révélation s’appuie sur la précédente.

Et en Australie, l’anthropologue David Maybury-Lewis affirmait que le temps dans les cultures indigènes australiennes n’était ni cyclique ni linéaire : il ressemblerait plutôt à l’espace-temps de la physique moderne. Dans cette conception, le temps est intimement lié à l’espace, dans ce que le spécialiste appelle :

« Le temps rêvé du passé, du présent et de l’avenir, tous ici même »

C’est ainsi que dans cette tradition il semblerait que ce n’est pas la distinction entre temps linéaire et temps cyclique qui est fondamentale, mais si le temps est distinct de l’espace ou intimement lié à lui.

Nous sommes alors en pleine modernité dans un monde où le temps en tant que donnée intangible n’existe pas, c’est ce qu’affirment les physiciens modernes, mais nous y reviendrons.

Et Julian Baggini d’expliquer :

« Cette notion de lien est importante. Le temps et l’espace sont devenus des abstractions théoriques dans la physique moderne, mais dans la culture ce sont des réalités concrètes. Un point sur une carte ou un instant dans le temps n’ont pas d’existence propre, tous les phénomènes sont liés les uns aux autres. Donc pour comprendre le temps et l’espace dans les traditions philosophiques orales, il faut y voir moins des concepts abstraits que des réalités vivantes, au sein d’une conception du monde où tout est lié. »

Et il cite un autre chercheur australien Stephen Muecke :

« Pour ses amis indigènes […] la question fondamentale n’est pas « quand est-ce que ça s’est passé ? mais « en quoi est-ce lié à d’autres événements ? »

Et Julian Baggini de conclure

« Les différents conceptions du temps dans les traditions philosophiques s’avèrent être bien davantage que des curiosités métaphysiques. Elles déterminent à la fois la manière dont nous concevons notre place temporelle dans l’histoire et notre relation aux lieux physiques où nous vivons. Et elles montrent bien comment, en empruntant un autre système de pensée, nous pouvons voir notre monde d’un œil neuf. Parfois, il suffit d’un nouveau cadre pour modifier sa vision des choses. » :

Cet article est beaucoup plus riche d’idées que les quelques éléments que j’ai picorés pour partager cette ouverture et réflexion sur la notion de temps, dont la vision occidentale n’est qu’un aspect. Vision occidentale que la théorie de la relativité conteste d’ailleurs radicalement.

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Mercredi 23 janvier 2019

« Nous sommes ainsi à la fois intempérants et intemporels, des analphabètes du temps  »
Marcia Bjornerud

Je continue mon butinage dans le numéro de « Courrier international » de la fin de l’année consacré au « Temps » qui passe trop vite.

Cette fois il s’agit d’un article directement écrit par les journalistes de Courrier international et non la traduction d’un article d’un journal étranger : « Nous, les illettrés du temps »

Cet article donne la parole à la chercheuse Marcia Bjornerud qui est originaire de Norvège, elle a étudié dans son pays, puis au Canada. Elle est aujourd’hui professeure de géologie à Lawrence University (Wisconsin).

Elle a écrit un livre qui a été traduit en français et publié en 2006 : «Autobiographie de la terre» dans lequel elle se penche sur notre planète Terre.

Elle recommande la géologie comme remède à l’analphabétisme temporel.

Car savez-vous que notre planète est âgée de 4,54 milliards d’années ? Qu’une goutte d’eau peut rester neuf jours dans l’atmosphère terrestre ? Ou qu’une molécule de dioxyde de carbone peut y passer des siècles ?

Pour cette géologue ces notions sont essentielles et connaître les rythmes qui régissent la planète Terre est un enjeu majeur pour sa survie.

« La majorité des êtres humains, y compris ceux qui vivent dans des pays riches et techniquement avancés, n’ont aucun sens des proportions temporelles, de la durée des grands chapitres de l’histoire de la Terre, des taux de changement qui ont marqué les précédentes phases d’instabilité environnementale et des échelles de temps des capitaux naturels comme le système des eaux souterraines »

C’est ce qui l’a conduite à proposer le concept de « timefulness », que l’on peut comprendre comme « la conscience du temps ».

Et l’article de Courrier International s’appuie sur un ouvrage publié en 2018, non traduit en français, de la géologue : « Timefulness. How Thinking like a Geologist Can help Save the World » ce qui peut être traduit par : “La Conscience du temps. Comment penser comme un géologue peut contribuer à sauver le monde ”

Marcia Bjornerud invite à prendre conscience du temps qu’il faut à une chaîne de montagnes pour s’élever , de celui qui est nécessaire à son érosion, et des échelles de temps différentes qui régissent les processus terrestres, en particulier à une époque où tout s’accélère.

Car elle écrit :

« N’aimant pas les histoires dépourvues de héros humain, beaucoup de gens ne trouvent tout simplement aucun intérêt à l’histoire naturelle. Nous sommes ainsi à la fois intempérants et intemporels, des analphabètes du temps »

Elle invite, à redorer le blason de cette science d’autant moins prestigieuse qu’il n’existe pas de prix Nobel pour la projeter périodiquement sous le feu des projecteurs.

« L’heure est venue pour toutes les sciences d’adopter le respect géologique pour le temps et sa capacité à transfigurer, détruire, renouveler, amplifier, éroder, disséminer, entrelacer, innover et exterminer. […] Le prisme de la géologie nous permet d’appréhender le temps en dépassant les limites de notre expérience humaine »

Cette réflexion constitue un excellent antidote à l’impatience et à la difficulté de savoir attendre.

Bien sûr, vous pourrez dire cette échelle des temps n’est pas forcément la plus pertinente pour l’échelle d’une vie humaine. Quoique savoir qu’une goutte d’eau peut rester neuf jours dans l’atmosphère terrestre reste à cette échelle et montre la patience de la nature.

Mais lorsque nous nous interrogeons sur les énergies fossiles, cette réflexion devient plus que pertinente, déterminante.

Ainsi le <site de la Radio Télévision Suisse> dans la réponse à une question explique la chose suivante :

« Les énergies fossiles (gaz naturel, le pétrole et houille de laquelle on extrait le charbon) mettent des millions d’années à se former. Le temps exact de leur formation dépend de différentes conditions (température, pression, profondeur, etc.). Selon les spécialistes, les gisements actuels datent de deux périodes principales (200 à 350 millions d’années ou 20 à 150 millions d’années). On estime que moins de 1% de la biomasse des êtres vivants qui ont peuplé la terre a été enfouie dans le sol ou a sédimenté au fond des mers et des océans pour former les ressources fossiles.

Ces ressources, sont donc présentes en quantité limitées et se renouvellent beaucoup plus lentement que nous les utilisons.

Pour se donner une meilleure idée du problème on peut faire un petit calcul : si l’on compare le temps de formation des énergies fossiles (env. 200 millions d’années) à une durée d’une semaine, les hommes commencent à utiliser les énergies fossiles le dimanche à moins d’une seconde de minuit. A minuit, les énergies fossiles sont épuisées. »

C’est dans cette proportion que l’homme dilapide le capital naturel qui lui a été donné.

Pendant ce temps, certains homo-sapiens envisagent d’aller s’installer sur Mars…

Peut être….

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Mardi 22 janvier 2019

« Les blancs ont la montre, nous avons le temps. »
Proverbe africain cité par Courrier International du 20 décembre 2018 au 9 janvier 2019

Avant la pause de noël, j’avais entrepris une réflexion sur le temps qui passe, à l’aune d’une phrase que ma grand-mère prononçait régulièrement à la sortie de Noël : « Bientôt Pâques ».

Après la pause, le mot du jour d’hier était centré sur l’attente qui est encore une réflexion sur le temps.

Pendant cette période, mon ami Jean-François de Dijon m’a envoyé par courrier un numéro de « Courrier International » qui portait comme titre sur sa page de couverture : « Le temps passe-t-il trop vite ? » avec le souhait que ces articles de la presse internationale fécondent ma réflexion et puissent, peut-être, alimenter le mot du jour.

Je crois que ce numéro est venu au bon moment et je vais donc partager avec vous ces connaissances ou ces spéculations sur ce « temps » qui obsède homo sapiens pour l’occuper, pour le retenir, pour l’allonger et au-delà, le plus important pour moi : le remplir.

Le premier article que je souhaite partager a été publié dans le journal espagnol « El Independiente » et pour titre : « Pourquoi nous sommes devenus impatients ». J’ai cependant préféré utilisé comme exergue, un proverbe africain également cité par le journal parce que cette phrase me parait plus poétique et que la montre est certainement une des raisons de cette impatience. Alors quand on parle de montre connectée et que l’on y voit que les innombrables services que ce tout petit objet peut rendre, il ne faudrait pas négliger aussi les conséquences de la « servitude volontaire » qu’elle impose et imposera à ses utilisateurs qui deviendront peut être des esclaves modernes de l’impatience et du flux des données et de l’information qui comme une avalanche nous submerge.

L’article commence par la description d’un fait, lorsque le journaliste appelle la chercheuse Amparo Lasén, cette dernière est en pleine dispute avec son fils qui lui reproche d’avoir oublié son portable à la maison ce qui ne lui a pas permis de la joindre pendant deux heures.

Cette tyrannie a été évoquée plusieurs fois par le mot du jour et particulièrement lorsque j’ai évoqué cette phrase écrite par Philip Roth :
« Qu’est-ce qui s’était passé depuis dix ans pour qu’il y ait soudain tant de choses à dire, à dire de si urgent que çà ne pouvait pas attendre ? »

Une pression diffuse et pourtant omniprésente nous impose non seulement dans le monde professionnel mais aussi dans le cercle familial et amical d’être accessible en permanence. Si nous n’y prenons garde nous sommes dans les deux rôles celui qui irrite la personne qui ne parvient pas à nous joindre mais aussi de celui à qui il paraît insupportable de devoir attendre une réponse de quelqu’un qui n’est pas joignable,

Oui ! Qu’est ce qui s’est passé ?

Amparo Lasén est professeure de sociologie de l’université Complutense de Madrid et sa spécialité est de répondre à la question : comment l’ère numérique nous transforme ?

Elle étudie notamment l’impact des téléphones portables sur notre vie quotidienne et conclut, comme Philip Roth, que notre capacité à attendre s’est dégradée de façon ahurissante ces dix dernières années, depuis que nous avons un téléphone portable dans la poche.

Mais notre dépendance envers le mobile n’est pas le seul symptôme de cette dégradation. En réalité, le temps comme valeur marchande est un concept relativement récent.

Francesc Núñez, directeur du mastère en humanités de l’université ouverte de Catalogne (UOC) explique :

« Avant l’industrialisation, le temps n’était pas perçu comme quelque chose de monnayable »

J’ai fait une recherche pour essayer de découvrir qui a inventé cette formule que chacun ânonne aujourd’hui comme s’il s’agissait d’une vérité scientifique : « Le temps c’est de l’argent ». Il semble qu’il s’agisse de Benjamin Franklin, donc un des fondateurs des Etats-Unis d’Amérique (1706 – 1790) ce qui situe bien cette phrase au début de la révolution industrielle.

Francesc Núñez ajoute :

« Internet fait voler en éclats notre manière de vivre le temps. Avec Google et les réseaux sociaux on a l’impression de s’affranchir de l’espace et du temps. N’importe quelle action peut être réalisée à tout moment, nous oublions que nous n’avons pas la maîtrise du temps. [avec Whatsapp, Twitter, Instagram, Facebook] nous avons énormément multiplié nos relations avec notre entourage en vue de faire des choses, mais tant d’immédiateté comporte le risque d’une insatisfaction constante. »

Et quand des spécialistes des sciences cognitives comme le Professeur Jordi Vallverdu de l’Université autonome de Barcelone décryptent ce qu’ils ont compris cela donne cela :

« Les likes agissent sur la neurochimie du cerveau. Sur les réseaux sociaux nous sommes comme ces rats de laboratoire qui courent après les récompenses. […] à chaque like nous avons une montée de dopamine et cela crée une dépendance. […] A mesure que le numérique s’est immiscé dans notre vie sociale, il a de plus en plus faussé notre perception de l’espace et du temps. »

Grâce à cet article, j’ai appris un nouveau concept : le « Fomo »

« L’abondance de divertissements disponibles à l’ère numérique donne lieu à ce que les spécialistes appellent le « Fomo » (fear of missing out) la peur de passer à côté de quelque chose d’important ».

Il semblerait comme le révèle cet article et je l’ai lu également dans d’autres articles que la capacité d’attention des jeunes générations diminue énormément par rapport à leurs ainés. L’article évoque une moyenne de 12 secondes.

Pour ma part, je reste très prudent par rapport à ce type d’information, je ne suis pas sûr qu’on mesure toute la complexité de la mutation qui est en train de se réaliser. Car il me semble que sur des jeux vidéo stratégiques des jeunes gamers sont capables d’une concentration très prolongée. En tout cas, il se passe quelque chose au niveau de l’attention, probablement que certains éprouvent de grandes difficultés de se concentrer sur des textes écrits qui demandent de longue période concentration. Mais parler simplement d’une capacité d’attention de 12 secondes, quel que soit le sujet de l’attention, me semble un peu court, comme aurait dit Cyrano.

En revanche, si on n’en revient au mot du jour d’hier le « savoir attendre » a clairement diminué, alors que comme le dit Amparo Lasén :

« C’était autrefois une qualité associé à la maturité ».

Et elle continue sur ce sujet en tirant les conséquences sur les relations sociales :

« Nous faisons culpabiliser les autres de nos propres urgences. »

Et Fransesc Nunez ajoute :

« Nous finissons par nous imaginer que le temps n’existe pas pour les autres, et nous exigeons d’eux qu’ils s’adaptent à nos besoins. Mais le fait que je sois pressé ne veut pas dire que je doive obliger l’autre à s’occuper de moi toutes affaires cessantes ».

L’article donne la conclusion à Jordi Vallverdu :

« Pour ne pas perdre le contrôle de notre temps, nous devrions arrêter de répondre à tout et réduire le nombre d’heures où nous sommes connectés. Au restaurant, on ne prend pas tous les plats de la carte. Il faudrait faire de même avec l’information : on n’a pas à tout avaler pour la simple raison que cela apparaît sur les réseaux. ».

Et j’ajouterai simplement que notre temps est limité, il est donc indispensable de choisir, de sélectionner ce qui le remplira pour notre équilibre personnel, ce qui nous nourrit vraiment et simplement nous fait du bien. Et je crois fermement que parmi ce que nous pouvons et devrions écarter il n’y a pas seulement la frénésie du flux d’informations numériques mais bien d’autres accapareurs de temps inutiles et malfaisants.

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Lundi 21 janvier 2019

« Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. »
Christian Bobin

Dans un premier temps, j’avais eu l’intention d’utiliser simplement : « L’attente » comme exergue de ce mot du jour.

Mais je suis tombé sur un poème de Christian Bobin qui m’a paru donné plus de profondeur et de force à ce que je souhaitais partager aujourd’hui, après une pause d’un mois.

C’est Christophe André qui m’avait fait découvrir cet écrivain né en 1951. Et c’est une citation de Christian Bobin que j’avais utilisée lors du mot du jour du « Jeudi 18 mai 2017» pour terminer la série de mots du jour consacré à l’émission « 3 minutes à méditer » qu’avait réalisée Christophe André :

« Pour qu’une chose se termine, il faut qu’une autre chose commence –
et les commencements, c’est impossible à voir»

L’attente est l’état de celui qui attend ou le temps pendant lequel on attend.

C’est un état qui pour beaucoup devient rapidement insupportable tant la société nous presse vers l’immédiateté : tout, n’importe quoi, tout de suite, donc sans l’attente.

Dès qu’une esquisse d’envie nous touche, surtout dans le domaine de la consommation, il suffit d’aller vers nos outils numériques et de commander sur les sites marchands en ligne.

J’ai appris récemment que pour l’instant Amazon réalise une marge infime dans son métier de commerce en ligne et cela notamment en raison de sa stratégie de vouloir livrer tous ses clients dans des délais extrêmement contraints.

Pourtant la vie est constituée de beaucoup d’attentes.

Quand on est enfant, on attend de devenir grand.

Avant l’enfant, il faut la naissance c’est encore une attente, qui est calibrée, il faut neuf mois à quelques jours près.

On attend une rencontre, un rendez-vous, sa première expérience sexuelle, son premier job et tant d’autres choses.

Ce site attribue à Jules Renard la citation suivante :

« Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d’attente. »

Car le mot « attente » peut aussi avoir le sens de l’espérance ou de l’espoir. C’est le cas dans les expressions suivantes :

  • Cet enfant a répondu à l’attente qu’on avait de lui.
  • Il a rempli notre attente.

Pendant ses années d’études on attend, aussi notamment les résultats des examens. Dans ce cas l’attente est en effet espérance.

Et puis, il en est d’autres examens dont on attend les résultats.

Je me souviens avoir vu ce très beau film : « Cléo de 5 à 7 » d’Agnès Varda avec dans le rôle principal Corinne Marchand.

L’action se déroule à Paris, près de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Cléo, une jeune et belle chanteuse plutôt frivole, craint d’être atteinte d’un cancer. Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de ses examens médicaux dans 2 heures. Pour tromper sa peur, elle cherche un soutien dans son entourage. Elle va se heurter à l’incrédulité voire à l’indifférence et mesurer la vacuité de son existence. Elle va finalement trouver le réconfort auprès d’un inconnu à l’issue de son errance angoissée dans Paris. Le film est constitué par ce temps de deux heures d’attentes

Télérama écrit :

«  La jolie chanteuse (métier de Cléo) égocentrée et narcissique des premières scènes cède peu à peu la place à une autre femme, non plus objet mais sujet, qui regarde, qui écoute, qui se laisse enfin atteindre par les autres. C’est l’histoire inoubliable d’une transfiguration. »

Un film à voir et à revoir.

Je me trouvais dans la salle d’attente de la médecine nucléaire de Villeurbanne qui dispose d’un équipement très performant pour ausculter le corps humain.

Une femme très agitée est entrée. Elle avait mon âge.

Nous avons échangé des paroles, j’ai compris qu’elle était là non pour elle, mais parce qu’elle attendait sa fille de 25 ans.

Son attente n’était pas espérance, mais inquiétude

Nous avons échangé peu de paroles, mais l’échange se fait aussi par le regard, par l’attitude corporelle, par le silence.

Car le silence peut être habité, la solitude peut percevoir l’empathie.

Et l’empathie fait du bien à celui qui accepte de la recevoir.

Mais l’empathie fait aussi du bien à celui qui donne.

Et le don de l’empathie est probablement plus fort encore quand celui qui le donne se trouve lui-même dans la solitude et le silence.

L’exergue est extrait de ce poème qui se trouve dans «L’autre visage» publié aux Éditions Lettres Vives en 1991, aux pages 52 et 53 :

Celui qui attend

Celui qui attend est comme un arbre
avec ses deux oiseaux, Solitude et Silence.
Il ne commande pas à son attente.
Il bouge au gré du vent,
docile à ce qui s’approche,
souriant à ce qui s’éloigne.
Celui qui attend,
nous l’appelons le “tout comblé”
car dans l’attente,
le commencement est comme la fin,
la fleur est comme le fruit,
le temps comme l’éternel.

Christian Bobin

Un site que j’aime beaucoup, https://www.espritsnomades.net, parce qu’on y trouve de belles pages sur la musique classique et la littérature, a consacré une page à Christian Bobin : <Christian Bobin, notre part manquante>

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