Lundi 11 décembre 2017

« Nos parents sont d’un naturel vraiment très optimistes.
Ils nous ont montré que les rêves pouvaient se réaliser,
et que ça valait le coup de tout donner pour les vivre. »
Alice Calvet en parlant des réussites de son frère François Gabart

La course en mer constitue une activité très éloignée de mes centres d’intérêt.

Toutefois, j’ai entendu parler de François Gabart à la revue de presse de France Inter de ce dimanche du 10 décembre et j’en tire une réflexion très féconde sur la confiance et la réussite.

Avant ce dimanche, je ne savais rien de François Gabart, qui est pourtant quelqu’un de très connu, je l’ai compris depuis, dans le sport et notamment dans la voile.

Il a 34 ans, il est charentais et dans son domaine il réussit tout ce qu’il entreprend. En ce moment il fait un tour du monde en solitaire.

Ce <Site> nous apprend que ce dimanche il a franchi l’équateur et qu’il est très en avance par rapport au record du monde qu’il entend battre.

Voici ce qu’en disait la revue de Presse de France Inter évoquée ci-dessus :

« Jusqu’ici, tout réussit à ce surdoué. » Phrase à lire dans LE JDD… Alors, qui donc est ce « surdoué » qui réussit à transformer tout ce qu’il touche « en or »  ? Eh bien c’est un navigateur de 34 ans, le Charentais François Gabart, qui, depuis plusieurs années, remporte toutes les courses auxquelles il participe : le Vendée Globe, la Route du Rhum, la Transat Jacques-Vabre, la Transat anglaise… Et il est actuellement en passe de battre le record du tour du monde en solitaire… Un record détenu par Thomas Coville – c’était il y a exactement un an, il l’on imaginait alors qu’il serait ancré pour longtemps, ce record… Thomas Coville avait mis un petit peu plus de 49 jours… Le tour du monde en 49 jours.

Or s’il poursuit au rythme auquel il s’est lancé, au tout début du mois dernier, François Gabart pourrait donc bien terminer son périple avec quatre à six jours d’avance… Il le raconte, son périple, dans LE JOURNAL DU DIMANCHE… La lutte contre la fatigue et le manque de sommeil, la peur et les souffrances physiques : « En baver, c’est ce que je recherche… Tout donner et puis terminer sur la ligne d’arrivée à bout de force. » Mais, dans LE PARISIEN, qui le présente comme « le petit Mozart de la voile », il dit aussi ses émotions : des instants où les larmes peuvent lui monter aux yeux… Un coucher de soleil ou quand la mer est belle… Des sensations très fortes, quatre ou cinq fois par jours. Et puis, ce qu’il aime surtout, c’est la vitesse… Tant pis si, par moments, par gros temps, des eaux agitées, il risque de casser son bateau… Il prend le risque, il aime le risque, parce qu’il a confiance… Une confiance qui, si l’on en croit sa sœur Alice, lui vient de son enfance – déjà, à l’époque, il se rêvait skippeur. « Nos parents, confie-t-elle, sont d’un naturel vraiment très optimistes. Ils nous ont montré que les rêves pouvaient se réaliser, et que ça valait le coup de tout donner pour les vivre. »

Comme une leçon de vie.

Confiance et optimisme… sur un trimaran. »

Je retiens de tout cela que la force qui anime ce jeune homme vient de la confiance et de l’optimisme que lui ont insufflés ses parents.

Cela n’enlève rien à ses mérites et certainement à une grande part de travail, d’entrainement et de volonté.

Mais au départ il y a la confiance.

La confiance qu’on possède, la confiance qu’on donne, la confiance qu’on reçoit.

J’ai trouvé aussi cette vidéo : <Alice parle de son frère et de son tour du monde>

Un des premiers mots du jour citait Eleanor Roosevelt, épouse du Président Franklin D. Roosevelt «L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves. »

<985>

Vendredi 8 décembre 2017

« On a les héros qu’on mérite !»
Didier Raoult

Didier Raoult est né le 13 mars 1952 à Dakar au Sénégal. C’est un chercheur biologiste et professeur de microbiologie français, médecin de formation, spécialisé en maladies infectieuses. Il a découvert avec son équipe plus de soixante nouveaux virus dont les mimivirus (ou virus géants). Vous pouvez lire sa biographie dans Wikipedia

Il tient une rubrique santé dans l’hebdomadaire <Le Point>.

Le 22/06/2015 il avait écrit un article qui ne s’inscrivait pas vraiment dans le domaine de la santé : « D’Aristote à Zidane, on a les héros qu’on mérite ! »

Allez savoir pourquoi, j’ai eu envie de partager cet article aujourd’hui, 30 mois après sa parution :

« Chaque époque a ses héros, l’histoire classique qui est, hélas, menacée, nous éclaire sur notre époque. Chez les Grecs anciens, le héros qu’il faut imiter est un guerrier, celui de L’Iliade, que le théâtre grec ne cessera de conter.

Les héros mineurs sont les sportifs des Jeux olympiques. Les écrivains (Xénophon), les philosophes (Platon, Socrate, Aristote entre autres) sont aussi célèbres et deviennent parfois conseillers. Politiques (comme Platon fut celui de Denys, Tyran de Syracuse) ou éducateurs de princes (comme Aristote fut celui d’Alexandre), les historiens (Hérodote, Thucydide) sont aussi célèbres.

À Rome, les héros de la République sont les consuls, à la fois dirigeants et généraux, qui bâtissent la nation romaine par leur courage et brillent par leur austérité. Il ne viendrait à aucun d’entre eux l’idée de se déguiser en acteur, en chanteur ou en sportif. La première décadence de l’Empire est incarnée par Néron qui, chez Suétone, est décrit comme poursuivant les honneurs dus aux acteurs et aux chanteurs. Son prédécesseur Caligula en était encore à jouer au général. Néron signera la fin du premier règne des empereurs (les Julio-Claudiens). La deuxième décadence (selon Gibbon) est incarnée par l’empereur Commode, le fils de Marc Aurèle, caricaturé dans les films La Chute de l’empire romain et dans Gladiator, qui descend dans l’arène, pour y acquérir la gloire des gladiateurs, les héros de son temps.

Aujourd’hui, les vedettes, les stars, les plus célèbres et les mieux payées de nos contemporains, qui sont aussi les personnalités préférées des Français (selon le JDD) sont des chanteurs, des acteurs, des footballeurs, tous héros éphémères d’une époque consacrée aux loisirs. Il y a dix ans, c’était encore Cousteau et l’abbé Pierre. L’un héros de la découverte des fonds marins et de l’écologie, l’autre de l’œuvre au service des plus malheureux. Au début du XXe siècle en France, les places, les rues, les lycées portaient des noms de savants (Marie Curie, Pasteur…) ou d’écrivains auteurs d’œuvres durables (Hugo, Balzac…).

Un de mes proches amis tente de me rassurer en constatant que les graffitis de Pompéi, du premier siècle après Jésus-Christ, honorent surtout les gladiateurs. C’est vrai, mais c’est juste avant la première décadence de l’Empire. Dans l’histoire, lorsque le peuple et les dirigeants ont comme modèle les héros éphémères et l’art vivant, il n’est pas sûr que ce soit un bon signe, comme en témoigne l’histoire romaine, qui a vu suivre les règnes de Néron puis de Commode, de guerres civiles. »

<984>

Jeudi 7 décembre 2017

« Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire : ils n’ont pas de fond du tout. »
David Plotz

Déjà nos vacances avaient été occupées par les médias qui nous racontaient par le détail la naissance d’un bébé panda au zoo de Beauval.

Voilà qu’il y a deux jours, nous avons eu droit à un nouvel épisode où l’épouse de notre Président de la République, Brigitte Macron, est allée solennellement baptiser le bébé panda du zoo de Beauval prêté par la Chine.

Si vous voulez en savoir davantage, il faut lire cet article <du Figaro> qui décrit cette visite avec précision et montre même la rencontre entre Madame Macron et le panda Yuan Meng, en français «la réalisation d’un rêve» en vidéo. Vous verrez ainsi Brigitte Macron un peu décontenancé par l’agressivité de ce petit animal si mignon. Elle était accompagnée et encouragée par Jean-Pierre Raffarin.

Le panda !

Est-ce vraiment un animal si mignon ? Gentil ? Bref la version vivante de la peluche, le doudou de notre enfance ?

<A la naissance de Yuan Meng, Slate avait publié une ancienne tribune> parue en 1999 dans laquelle David Plotz, journaliste puis rédacteur en chef de Slate.com, avait commis une nécrologie de Hsing-Hsing, panda géant offert aux États-Unis par le gouvernement chinois.

Je livre ce témoignage :

« Hsing-Hsing et moi, nous avons grandi ensemble. Je suis arrivé à Washington fin 1970, j’étais un bébé de six mois. Il a fait son entrée au Parc zoologique national un an plus tard. Enfant, avec ma famille, j’ai rendu visite à Hsing-Hsing et Ling-Ling, sa compagne de cellule, plus souvent qu’à mon tour. Ces six dernières années, j’ai été son voisin et une semaine s’est rarement écoulée sans que j’aille courir ou me promener dans les environs du zoo. D’ourson, j’ai vu Hsing-Hsing mûrir et devenir un panda géant et j’ai suivi, avec toute l’attention du monde, ses tribulations reproductives avec Ling-Ling.

Je connaissais ce panda. C’est donc du fond de mon cœur que je peux dire: bon débarras, sale demi-ours.

Ce qui fait de moi un cas isolé. D’ordinaire, Hsing-Hsing et Ling-Ling, morte en 1992, étaient du genre à faire hurler d’amour. Au moment de sa disparition, Hsing-Hsing était l’un des animaux les plus célèbres au monde. Plus de 60 millions de personnes lui avaient rendu visite durant sa détention à perpétuité au zoo de Washington. Une pandaphilie qui allait même transformer le Washington Post en organe de propagande. Selon les nécrologies, Hsing-Hsing «enchantait» et «captivait» les visiteurs. Il était un merveilleux «diplomate» entre la Chine et les États-Unis. Il était le plus «gentil», le plus adorable, le plus «câlin» de tous les animaux. «Il n’y aura jamais trop de peluches dans le monde», se lamenta le quotidien dans son hommage.

Pour George Schaller, éminent biologiste spécialiste de ces créatures, les pandas géants sont les animaux symboliques parfaits. Avec leur belle fourrure, leur démarche pataude et leur tête d’abruti, ils semblent incarner l’innocence, l’infantilité et la fragilité. Et c’est aussi l’image que les militants de la protection des espèces menacées leur ont soigneusement cultivée. Reste que sous ces abords affables se cache un ennui mortel. Tant qu’à anthropomorphiser ces bestioles, autant faire preuve de réalisme. L’idée que les pandas seraient mignons et géniaux est absolument ridicule.

Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire: ils n’ont pas de fond du tout. Ce sont les animaux les plus emmerdants que vous puissiez imaginer. Ils sont profondément antisociaux et détestent les interactions, que ce soit avec des humains ou leurs congénères. Toutes les fois où j’ai pu me rendre dans leurs quartiers ou devant leurs cellules, jamais je ne les ai vus faire preuve d’espièglerie, d’affection, d’énergie ou même de violence. Par rapport à n’importe quel animal de zoo –les singes, les félins, les phoques, les chiens de prairie ou les serpents–, les pandas sont plus chiants que la pluie. Leur existence n’est qu’une longue et pénible plage de neurasthénie. Ce sont des mollusques à poils. Ils sont atrocement paresseux, tellement qu’ils rechignent à grimper aux arbres par peur de se fatiguer. Toute leur vie, ils ne font que dormir et manger du bambou. […]

En outre, Hsing-Hsing et Ling-Ling ne se contentaient pas d’être insipides, ils étaient mal-aimables. Le confinement déprime les animaux de zoo, et les pandas n’ont pas fait exception. Ils étaient plus proches du psychopathe que du doudou. Un jour, sans la moindre provocation, Ling-Ling a sauté sur un de ses soigneurs et l’a mordu à la cheville.

Et si les tentatives coïtales du couple ont été présentées comme un opéra-comique, elles relevaient davantage du film d’horreur. Au départ, Hsing-Hsing n’avait pas réussi à féconder Ling-Ling parce qu’il avait voulu pénétrer son bras et son oreille. (Une gaucherie peut-être due au fait qu’il n’avait jamais appris à copuler dans son espace naturel). Ensuite, le zoo de Washington était allé chercher à Londres un nouveau compagnon pour Ling-Ling. Il l’avait tabassée (trop bien, l’amabilité des pandas).

Après dix ans d’efforts, Hsing-Hsing allait enfin réussir à trouver le bon trou et, entre 1983 et 1989, Ling-Ling donna naissance à cinq petits, qui moururent tous en quelques jours. Pour l’un, parce que Ling-Ling s’était assise dessus. Un autre a visiblement succombé à une infection urinaire transmise par Ling-Ling. Selon les soigneurs, Ling-Ling s’était elle-même infectée en s’introduisant des carottes et des tiges de bambou dans l’urètre. Un comportement pas du tout névrotique.

[…] le zoo projette d’empailler Hsing-Hsing. C’est parfait. Qu’ils lui mettent des bambous dans les pattes et le collent dans son ancienne cage en disant qu’il s’agit d’un nouveau panda. Personne ne verra la différence. »

<Vous pouvez encore lire cet article qui donne 5 raisons de mépriser le panda>

On apprend dans cet article que la libido du panda est une véritable catastrophe. Non seulement plus de la moitié d’entre eux ne montre aucun intérêt pour le sexe, mais si l’envie de flirter leur vient, encore faut-il tomber au bon moment pour la femelle. Cette dernière n’est en effet sensible au charme du sexe opposé que deux jours, trois maximums, par an.

On apprend également qu’un Panda a failli tuer le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing qui avait voulu tester le caractère convivial de la bestiole.

J’ai aussi trouvé cette vidéo où on voit la manière avec laquelle cet animal paresseux devient brusquement hyperactif lorsqu’il s’agit d’embêter le personnel qui s’occupe de lui.

Bref un animal qui ne mérite pas sa réputation.

<983>

Mercredi 6 décembre 2017

« Amazon Go »
Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon

Récemment, en allant acheter chez mon boucher (Oui j’avoue je ne suis toujours pas végétarien et encore moins végan) j’ai eu un échange avec la jeune caissière qui me vantait l’intérêt de l’utilisation de la fonction sans contact de la carte bancaire, en disant « quand il y a une amélioration technique, il faut l’utiliser et y aller ».

Ce qui pourrait se traduire en langue française soutenue « Quand il y a une invention technologique, il faut l’embrasser ! »

Avec mon esprit plein de doutes, j’ai répondu : « Peut-être avez-vous raison, mais vous rendez vous compte que le « sans contact » n’est plus que la dernière étape avant le « sans humain » ? »

Et cet échange m’a conduit à revenir vers cette expérience d’Amazon qui a pour nom « Amazon Go ».

Jeff Bezos et Amazon sont des innovateurs hors pairs qui trouvent à chaque étape de leur développement des solutions disruptives. Mais le Monde que nous prépare Amazon m’inquiète.

Prenons le Black Friday, encore une invention américaine qui nous réduit à notre seule dimension de consommateur.

Pour le black Friday, 24 novembre 2017, Amazon a capté 40% des ventes sur Internet, nous annonce ce <site>.

C’est au mois de décembre 2016 qu’Amazon présentait son concept de magasins sans caisses baptisé «Amazon Go ».

Attention, il ne s’agit pas d’un magasin avec des caisses automatiques, il s’agit d’un magasin sans caisse. Vous avez un compte chez Amazon, avec un moyen de paiement, cela va de soi.

Vous faites le tour du magasin, vous prenez tout ce dont vous avez besoin et vous sortez du magasin et…. Amazon sait tout ce que vous avez acheté, donc sait vous facturer et prélever votre compte, cela va de soi…

Ce prototype, Amazon l’a Installé à Seattle et l’a réservé dans un premier temps aux employés Amazon. C’est à l’aide de technologies de pointe, de l’intelligence artificielle, des caméras et autres capteurs que le client pouvait quitter les lieux sans avoir à passer par la case du paiement en caisse.

Les nouvelles étaient bonnes jusque-là !

Un article du Point d’avril 2017 annonçait <Les déboires d’Amazon go>

Grâce à cet article, on apprenait :

«  Mais ça ne fonctionne pas vraiment comme prévu. « Pas de file d’attente, pas de règlement, pas de caisse », promettait pourtant Amazon à propos de son magasin automatisé. Dans ce supermarché du futur, baptisé Amazon Go, le client est reconnu grâce à un smartphone, tracé par des caméras sans fil, avant de recevoir la facture à la maison.

Présenté en 2016 et expérimenté depuis à Seattle, Amazon Go devait être ouvert au grand public au début de l’année 2017. Pourtant, la firme américaine a confirmé les informations du Wall Street Journal et de Bloomberg annonçant un report sine die. En cause : l’impossibilité de faire fonctionner ce système en cas de fortes affluences.

Rapidement, les limites du concept avaient en effet été entrevues à Seattle. C’est là, dans le nord-ouest des États-Unis, qu’a été testé le « magasin » Amazon. Dans un local de taille modeste (177 mètres carrés), il était réservé, pour le besoin de l’expérimentation, aux salariés du groupe. Sauf que, dès qu’il y a plus de vingt clients dans le magasin, le système ne fonctionne plus. Et le dispositif est vite dépassé quand des enfants se servent dans les rayons !

L’objectif d’Amazon de figurer parmi les cinq plus gros distributeurs alimentaires aux États-Unis a donc du plomb dans l’aile. D’après Bloomberg, la supérette à la mode Amazon aurait un ratio de perte double en comparaison avec la moyenne des supermarchés ordinaires ! Dès la présentation de ce concept, la firme avait été fortement critiquée pour les conséquences négatives d’Amazon Go sur l’emploi. Mais, pour l’instant, Amazon ne semble pas prêt à supporter technologiquement la vie d’une supérette. »

J’en étais resté là, soulagé en me disant que ce monde cauchemardesque sans humain avec uniquement des consommateurs, des produits et des machines, (peut-être êtes-vous d’un autre avis et trouvez-vous ces perspectives réjouissantes) était retardé de quelques années.

Le soulagement fut de courte durée puisque plusieurs articles dont <celui-ci> du 15 novembre semblent indiquer, qu’hélas Amazon est sur le bon chemin.

Il reste des difficultés, mais il semble que l’ouverture de tels magasins aux Etats-Unis soit envisagée à court terme.

J’ai trouvé cet article sur le site spécialisé « News Informatique » particulièrement pertinent et visionnaire :

« Le succès d’Amazon réside dans sa capacité à faire appel à nos instincts primaires – ce qu’ont oublié des distributeurs comme Carrefour.

Nous aimons tous consommer, le plus facilement et le plus rapidement possible, sans prendre de risque. Amazon l’a compris est allé jusqu’au bout de la logique avec la commande « Zéro Clic », que ce soit dans ses magasins sans caisse Amazon GO, via son haut-parleur intelligent Echo/Alexa ou demain avec sa livraison d’office, dont les prémisses se trouvent dans Amazon WARDROBE.

Car l’objectif de Jeff Bezos est simple : nous libérer de la phase de choix pour les achats du quotidien en nous proposant le produit que nous souhaitons avant que nous y ayons pensé.

Avec l’Intelligence Artificielle, la plus grande offre au monde, une logistique sans faille et la marque de distribution à laquelle les consommateurs font le plus confiance, Amazon a su aller bien au-delà de ce que les autres distributeurs étaient prêts à faire pour leurs clients. […]

Cette capacité à faire appel à nos instincts primaires n’a été possible que par la capacité de storytelling hors pair de Jeff Bezos. Avec une vision gigantesque, Bezos a reconfiguré les relations entre les entreprises et leurs actionnaires. Amazon a levé 2,2 Mds $ avant d’être à peu près à l’équilibre. Amazon peut rater le lancement de n’importe quel produit (un smartphone par exemple), sans que son cours baisse. Dans une situation similaire Microsoft ou IBM verraient leur cours perdre 20% en une journée… Jeff Bezos a su remplacer la promesse de retour sur investissement par celle d’un storytelling porté par une vision et de la croissance. L’histoire : le magasin le plus grand au monde. Une stratégie : d’énormes investissements dans des bénéfices clients qui résistent au temps – coûts plus bas, plus grands choix, livraison plus rapide.

Ainsi, la valorisation d’Amazon est de 40 fois ses bénéfices alors que celle de ses concurrents est de 8 fois et la marque au sourire peut emprunter au même taux que la Chine.

[…]

D’ailleurs l’épicerie et les produits frais sont mûrs pour se faire Amazonner

Amazon teste depuis de nombreuses années la distribution physique car il sait que le client est canal-agnostique et il sait également qu’il doit faire baisser le coût du dernier kilomètre, aller et retour. Son avenir est bien sûr en multi-canal, tout comme les autres distributeurs. Mais arrimer des magasins physiques sur un site de e-commerce et bien plus aisé que l’inverse. Voyez les difficultés de Wall-Mart qui, à terme, ne pourra résister à Amazon.

Le « meilleur » de la distribution physique se trouve dans l’épicerie et les produits frais. Ce sont nos consommations de tous les jours, les plus massives et qui nous ennuient le plus, nous, consommateurs.

La technologie vocale d’Amazon, Echo/Alexa va faire trembler la terre sous les distributeurs et les marques. Bien des universitaires et des professionnels pensent que la construction d’une marque est toujours une stratégie gagnante. Ils ont tort. Directeurs Artistiques en Agence de Com’ et Brand Managers dans les entreprises vont pouvoir « décider de passer plus de temps avec leurs familles ». Le soleil se couche sur l’ère des marques. Car les attributs des marques, qui ont mis des générations et des milliards à se construire, disparaissent avec l’interface vocale. Amazon a décidé de privilégier ce canal pour y vendre ses marques en propre.

Avec le levier du Big Data et une connaissance sans pareille des schémas d’achat des consommateurs, Amazon va bientôt répondre à nos besoins de consommation sans la friction de la décision et de la commande. Vous n’aurez qu’à ajuster de temps à autre vos réceptions – moins de marchandise quand vous allez en vacances, plus de bière quand les copains viennent pour le barbecue et tout le reste se fera tout seul.

Des magasins sans caisses, des entrepôts peuplés de robots (c’est pour cela qu’il y a si peu de photos d’entrepôts Amazon, cela ferait peur), c’est le futur promis par Amazon et qu’il tente d’imposer à son secteur d’activité. Nous sommes les témoins du Jour du Jugement pour la Distribution.

Tout comme nous avons vu le pourcentage de la population agricole baisser de 50% à 4% au XXème siècle, nous verrons une chute similaire dans la distribution au cours des 30 prochaines années. En France cela concerne près d’1 million d’emplois. Bezos est arrivé à la conclusion qu’il n’y aura aucun moyen pour que l’économie soit capable de recréer suffisamment d’emploi pour remplacer ceux qui sont détruits. C’est pourquoi il milite activement pour le salaire minimum universel. Payé avec les impôts auxquels il fait tout pour se soustraire. »

Ce qui est techniquement possible, n’est pas toujours humainement souhaitable.

<982>

Mardi 5 décembre 2017

« L’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale. Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie »
Emmanuel Faber Discours pour la remise des diplômes à HEC, juin 2016

Emmanuel Faber est devenu, le 1er décembre 2017, le PDG de Danone, remplaçant Franck Riboud, qui avait succédé à son père à la tête du géant français de l’agroalimentaire. Danone c’est aussi Evian, Danette et Blédina.

Emmanuel Faber est âgé de 53 ans, il était directeur général de Danone depuis trois ans.

Je voudrais revenir sur un discours qui avait fait beaucoup de bruit et que j’avais évoqué de manière un peu étonnante au moment où il avait été prononcé en juin 2016.

J’avais, avant de partir en congé d’été en 2016 et en m’inspirant de la tradition de Charlie Hebdo : «Les unes auxquelles vous avez échappé » fait la liste des mots du jour que je n’avais pas écrit, mais pour lesquels j’avais préparé un brouillon. Il y en avait 20 et j’ai ajouté un 21ème qui était ce discours.

Mais aujourd’hui je voudrais revenir plus longuement sur ce discours, au moment où cet homme prend la tête de l’entreprise Danone.

Rappelons le contexte. Ancien élève d’HEC, Emmanuel Faber est invité, comme parrain de la promotion et comme cela se fait dans toutes Grandes Ecoles, à prononcer, lors de la cérémonie de remise des diplômes, un discours pour partager son expérience avec les étudiants qui viennent de finir leur cursus.

<Ce discours vous le trouverez en vidéo derrière ce lien>

Le début du discours est en français et commence par cette introduction :

«Si vous attendez un discours de référence intellectuelle, vous allez être déçus»

Puis il parle de son parcours personnel, de son frère malade, schizophrène, décédé depuis 5 ans au moment du discours. Et il va dire ce que son frère lui a appris de la vie, de la différence, de la beauté de l’altérité et «que l’on peut vivre avec très peu de choses et être heureux». Il révèle :

«Qu’est-ce qui m’a le plus marqué pendant mes trois ans ici [à HEC] ? C’est ce coup de fil que je n’aurais jamais voulu recevoir, à 21 heures (…) et où j’ai appris que mon frère venait d’être interné pour la première fois en hôpital psychiatrique, diagnostiqué avec une schizophrénie lourde. Ma vie a basculé»

Et puis, il va parler d’Economie, du monde futur qu’attend les brillants étudiants diplômés d’HEC.

«Après toutes ces décennies de croissance, l’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale. Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie […]
Les riches, nous, les privilégiés, nous pourrons monter des murs de plus en plus haut (…) mais rien n’arrêtera ceux qui ont besoin de partager avec nous.
Il n’y aura pas non plus de justice climatique sans justice sociale»

Puis il y a la deuxième partie du discours prononcé en anglais dont voici la traduction :

« Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela ?
Parce qu’aujourd’hui vous êtes diplômés, vous vous tournez vers l’avenir. Je voudrais féliciter chacun d’entre vous. Vous avez désormais un outil très puissant dans vos mains.

La question est : qu’allez-vous en faire ? Pourquoi voulez-vous vous spécialiser en finance, en marketing, devenir avocat, entrepreneur social ou chef d’entreprise  ?
Comment allez-vous prendre vos décisions dans ces domaines ?

J’en suis convaincu, après 25 ans d’expérience, que cette main invisible dont on vous a parlé n’existe pas.

Et s’il y en a une, elle est encore plus handicapée que mon frère. Elle est brisée.

En somme, nous avons seulement vos mains – mes mains –, toutes nos mains, pour changer les choses et les rendre meilleures.

Et vous avez beaucoup à faire pour cela. Vous allez devoir surmonter les trois principales épreuves qui arrivent facilement avec le statut que vous avez obtenu par votre diplôme, mes amis : la puissance, l’argent et la gloire.

Oubliez la gloire, c’est une course qui n’en finit jamais et qui ne mène nulle part. La liste de toutes les personnes renommées existe juste pour qu’elles regardent leur propre nom. Elles ne s’intéressent pas à ceux des autres.

L’argent : j’ai rencontré tant de personnes, quand j’étais banquier d’investissement dans la finance, quand j’ai voyagé dans le monde – j’en rencontre encore – qui sont prisonniers de l’argent qu’ils ont gagné. Ne devenez jamais esclaves de l’argent. Restez libres ! Peu importe la raison pour laquelle vous gagnez de l’argent, peu importe ce que vous en faites, restez libres !

Et la puissance : je pense que vous pouvez regarder autour de vous, il y a tant de personnes qui sont puissantes et qui ne font rien, juste pour garder cette puissance, pour qu’elle dure un jour encore. La puissance n’a de sens que dans le service rendu aux autres. Et c’est ce service qui vous fera devenir qui vous êtes en vérité. Le meilleur de vous-même, dont vous n’avez même pas conscience.

J’ai donc une question à vous poser, avec laquelle je vous laisserai, chacun d’entre vous : qui est votre frère ?

Qui est ce petit frère, cette petite sœur, qui habite en vous et qui vous connaît mieux que vous-même et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même ? C’est cette petite voix, qui parle de vous étant plus grand encore que vous ne pensez l’être.

Qui sont-elles ?
Elles vous apporteront cette voix, cette musique interne, cette mélodie qui est véritablement la vôtre.
Votre mélodie transformera la symphonie du monde qui vous entoure, qu’elle soit grande ou petite, elle le changera !
Le monde en a besoin et vous méritez cela.

Trouvez votre frère, trouvez votre petite sœur et quand vous les rencontrerez dites-leur bonjour de ma part, nous sommes amis !
Portez-vous bien. »

J’entends, pendant que j’écris, certains d’entre vous s’écrier mais enfin c’est un discours absolument démagogique. C’est le patron de Danone, s’il croit ce qu’il dit, il ne peut rester à la tête d’une multinationale qui doit contenter ses actionnaires cupides et avides.

Je ne crois pas. Je pense qu’il a compris quelque chose de fondamental : Le creusement des inégalités dans le monde est une voie sans issue qui se retournera tôt ou tard contre ceux qui accaparent les richesses. « Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie », cette phrase n’est pas une réflexion dogmatique ou une croyance gauchisante, mais l’aboutissement d’une réflexion rationnelle.

Je ne le crois pas non plus parce qu’Emmanuel Faber est un esprit particulier que vous pourrez découvrir dans cet article de «La Croix ».

La découverte de la pensée phénoménologique, notamment grâce à un essai de George Steiner sur Martin Heidegger, lui fait entrevoir la possibilité d’un « passage » vers « l’humanité du réel » en quittant « la prison rassurante de la rationalité toute puissante ». Il parviendra progressivement à « faire une place à cette échappée » dans sa vie professionnelle en rejoignant Danone. Ironie de l’histoire, c’est un peu pour sa « part d’ombre », c’est-à-dire sa dureté en affaires, en tout cas sa réputation de redoutable négociateur, que le groupe fait appel à lui en 1997 comme directeur financier. Mais, en même temps, il pressent que, dans cette maison un peu différente des autres, il va pouvoir « essayer des trucs », expérimenter d’autres « réglages » du fonctionnement des entreprises.

Dès 1972, dans un discours resté célèbre, le bâtisseur du groupe Danone, Antoine Riboud, affirmait qu’il n’y a pas de richesse économique sans développement humain. Fidèles à cet héritage, son fils Franck (qui lui a succédé comme PDG), Emmanuel Faber et les équipes de Danone vont mettre au point plusieurs outils, développer des formes différentes d’activité économique. La plus célèbre est la filiale commune créée au Bangladesh avec la Grameen Bank de Muhammad Yunus, l’inventeur du microcrédit. Cette usine prototype produit des yaourts hautement nutritifs à très bas prix. Le lait est fourni par des éleveurs locaux, les produits sont commercialisés par des colporteuses travaillant à leur compte.

Emmanuel Faber le dit clairement : la rencontre avec le prix Nobel de la paix 2006 a été décisive : « Yunus nous a donné confiance. Il a été le déclic qui nous a fait dire : on va dans cette direction. » D’autres projets de cette nature, relevant de l’entrepreneuriat social, ont été lancés depuis, en partie financés par une sicav solidaire dénommée « danone.communities », auquel le groupe a souscrit ainsi qu’un tiers de ses salariés français. En 2009, les actionnaires ont aussi accepté de prélever 100 millions d’euros sur les bénéfices afin de créer un fonds soutenant « l’écosystème » de Danone, c’est-à-dire les petites entreprises qui fournissent le groupe. Ce qui a permis, en deux ans, de consolider environ 15 000 emplois dans le monde. Ainsi, selon l’expression d’Emmanuel Faber, se développe une « zone démilitarisée » qui montre qu’« un autre monde est possible ». Le manager ne craint pas de reprendre ce célèbre slogan, lui qui a participé au Forum social de Belém en 2009, tandis que Franck Riboud intervenait au Forum de Davos.

Alors, il ne s’agit pas d’être naïf et de croire que nous sommes sur le bon chemin.

Mais de se rassurer qu’il y a, peut-être de manière maladroite ou étonnante, des prises de conscience que la cupidité et la seule compétition ne pourront que nous mener au désastre, qu’il faut le plus vite possible songer à la coopération et aux possibilités d’aller vers plus de justice sociale.

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Lundi 4 décembre 2017

« Une parole purement humaine qui fait du bien dans ce temps que nous traversons »
Ahmed Madani,auteur du spectacle « F(l)ammes » lors de l’émission de France Culture du 2 décembre 2017

La vie est jalonnée de rencontres.
Mais pour que la rencontre soit féconde, il faut bien sûr être mis en présence et surtout être disponible et ouvert à la consistance de l’échange.
Cela est vrai pour les rencontres entre humains pour lesquelles il faut avoir la sagesse de comprendre qu’elles ne peuvent pas avoir toujours la même intensité.
Cela est vrai pour les rencontres avec les œuvres d’art ou de l’esprit.

Plusieurs fois, mon butinage a croisé le chemin d’un spectacle : « F(l)ammes », mais je ne m’étais jamais arrêté pour ouvrir mon esprit à ce que ce spectacle avait à nous dire.
Et ce samedi matin, sur France Culture la rencontre d’éveil a eu lieu pour moi : Ahmed Madani était l’invité de Caroline Broué.

Ahmed Madani est metteur en scène et aussi auteur. C’est lui qui a conçu la pièce, F(l)ammes, qui met en scène des récits de vie de jeunes femmes issues de l’immigration. Sur scène elles sont dix jeunes femmes qui viennent raconter un bout de leur vie, faire part d’une petite brimade, d’une inégalité qui leur a été faite en raison de leur origine, de leur nature de cheveu, de leur couleur de peau ou de leur sexe.

Au début de l’émission Ahmed Madani se présente et décrit le spectacle de la manière suivante :

« Je suis un auteur de mon temps.
J’ai commencé en 2012 avec « Illuminations », avec rien que des garçons. J’ai posé la question des classes populaires du point de vue des hommes. Et puis j’ai engagé la réflexion pour savoir ce qui se passe du côté des femmes. Qui pour la plupart du temps sont silencieuses, ne prennent pas la parole.

Elles ne sont pas souvent dans les espaces publics, mais qui en même temps ont beaucoup de choses à dire, pour qu’on prenne le temps de les écouter et de faire apparaître au grand jour cette parole. […] »

Ahmed Madani est né en 1952 en Algérie, il est psychothérapeute de formation. Wikipedia le présente ainsi :

Il réalise un théâtre dont la pierre angulaire est le rapport au sociétal et écrit aussi bien en direction de la jeunesse que des adultes. Il engage une recherche sur de nouvelles formes de création en milieu urbain en prenant en compte les diversités des composantes de la société française. Il s’adresse à tous les publics et prend en compte de façon significative la jeunesse. Dans cette démarche d’ouverture à tous les publics il inscrit ses réalisations dans les théâtres aussi bien que dans des lieux improbables : entrepôts, magasins inoccupés, immeubles abandonnés, haras. Son écriture se nourrit souvent de faits de société : le rapport à la terre, à la transmission, à la mémoire.

On apprend aussi que s’il travaille avec des acteurs professionnels, il réalise également des œuvres avec des non professionnels et même avec des enfants et des adolescents. Ce qui est le cas pour cette pièce : F(l)ammes. Dans un article de Telerama il fait remarquer que le titre met « l » ou « Elle » entre parenthèses. Il dit avoir choisi de « mettre le “l” entre parenthèses pour les désigner “elles” et leurs “ailes”. Car F(l)ammes, dit-il, c’est le feu de la vie ».

Dans l’émission de France Culture, il explique comment les actrices ont été choisies et le spectacle a débuté :

« J’ai passé deux années à organiser des petits ateliers de rencontre dans plusieurs villes et où je laissais entendre qu’il y avait une proposition de spectacle qui pourrait avoir lieu deux ou trois ans plus tard. Et le principe était de venir à ma rencontre en toute simplicité, sans avoir d’expérience théâtrale. Sans avoir de désir particulier d’être une artiste, mais simplement d’avoir envie de prendre la parole. J’ai envie de partager mon histoire avec d’autres. »

Cependant, pour choisir ces femmes il a dit lui-même qu’il a fait volontairement une discrimination. Il n’a choisi que des femmes qui vivent dans des quartiers périphériques et qui ont des parents qui sont venus d’ailleurs.

« On se rencontrait en petits groupes. Et souvent je me mettais presque en retrait. Je lançais des sujets et puis j’écoutais. Nous avons eu des moments d’échange d’une grande puissance qui aurait pu faire des spectacles à eux seuls.

Donc on parle, on parle on parle et puis de temps en temps on va sur le plateau et on va raconter une histoire à quelqu’un d’autre, on va imiter son père, imiter sa mère.

Je passe comme ça de groupe en groupe, ça dure deux ans. Et à un moment donné, il est temps de s’avancer pour lancer l’aventure proprement dite sur la scène. Et là je reviens vers un » trentaine d’entre elles (il avait auditionné plus d’une centaine) à qui j’écris, j’ai d’ailleurs écrit à toutes, une correspondance et nous avons échangé. Puis il en est resté d’abord quinze puis les dix qui font le spectacle. »

Le spectacle a été créé, en novembre 2016, à Sevran, ville sans théâtre et où le spectacle a été produit à la salle des fêtes avec des moyens précaires. Ville sans théâtre mais avec une vie associative magnifique dit Ahmed Madani. Elles ont créé ce spectacle dans cette ville pauvre avec le soutien du maire et du conseil municipal qui se déclaraient certains que la culture était une arme pour s’élever et s’en sortir.

Par la suite ce spectacle a été joué dans des salles parisiennes (Maison des Métallos) et dans toute la France, et en juillet 2017 au Festival d’Avignon. Et cela continue.

Dans l’émission de France Culture, Caroline Broué lui demande quels ont été les moments les plus marquants de cette expérience pendant l’année de tournée :

« Dans de nombreuses salles, il y a eu une volonté de prise de paroles et d’échange après la représentation. Par exemple, parfois, on se retrouve dans un théâtre où on a l’impression que le spectacle ne passe pas. Il n’y a aucune réaction dans la salle. Les filles donnent leur représentation et elles sont un peu inquiètes. Et à la fin du spectacle il y a une rencontre et là, les ¾ de la salle restent, et le débat s’engage et c’est très puissant ce qui se passe. Parce que dans cette représentation-là, il y avait plutôt une écoute, une attention où les paroles de chacune d’entre elles étaient bues par le public.

Et puis dans d’autres endroits, c’est une sorte de puissance à la fin de la représentation, la salle se dresse pour un standing ovation.

On a joué une série de représentations au « Grand T » à Nantes où on a répété le spectacle. C’était incroyable. C’est une ville extrêmement ouverte et au fur et à mesure qu’on donnait le spectacle, le bouche à oreille a fonctionné. De sorte que lors des dernières représentations, la salle savait ce qui se disait à la fin du spectacle et [réagissait par anticipation].

Ce qu’il y a d’extraordinaire avec les spectateurs, qu’ils soient jeunes, qu’ils soient vieux, qu’ils soient hommes, qu’ils soient femmes, qu’ils vivent dans les quartiers populaires ou au contraire qu’ils soient « bobos », on a l’impression qu’il y a une parole qui s’échange au-delà de la condition sociale, de la condition historique de ces jeunes femmes et qui est une parole purement humaine qui fait du bien dans ce temps que nous traversons. Ce temps qui est un temps trouble, difficile, qui est brumeux qui laisse penser qu’il n’y a pas beaucoup d’espérance. Or le spectacle est une ode à l’espérance, c’est une ode à la joie de vivre, c’est une ode à la capacité des femmes de pouvoir entreprendre, de pouvoir participer à la construction d’un nouveau monde.

Je pense que cela est vraiment perçu, par ceux qui viennent voir le spectacle. Et donc, le bouche à oreille est très fort.

Il nous est arrivé de jouer dans un théâtre où on fait un premier spectacle et où on nous dit que pour le lendemain peu de places ont été vendues, cela n’a pas marché. On joue la première représentation et le lendemain, la salle est archi-comble, parce que très vite l’information se transmet et qu’on a envie de participer à ce moment-là qui est au-delà d’un moment de théâtre. C’est vraiment, un moment de vie, un moment de partage et un moment où en tant que spectateur on a envie d’être là, de dire qu’on existe aussi à travers les récits qui sont dits sur le plateau. »

Caroline Broué exprime l’avis suivant :

«  Ces dix femmes ne sont pas des actrices, elles ne sont pas des professionnelles, vous en avez fait des actrices. […] Elles ont une puissance volcanique et solaire absolument impressionnant. Le spectacle repose sur les textes, sur les récits, sur la mise en scène que vous faites et beaucoup sur ces dix femmes. »

Depuis qu’il existe, ce spectacle a fait l’objet des critiques les plus élogieuses : <Le Parisien> :

« F(l)ammes est un spectacle poignant et subtil, émouvant et drôle, devant lequel on ne cesse d’osciller entre allégresse et bouleversement. »

Le spectacle a aussi été donné à Genève :

« En ces temps particulièrement houleux, où les discours populistes se développent et où les replis identitaires, les peurs archaïques refont surface, la parole de ces « f(l)ammes », trop souvent confisquée, nous éclaire, nous embrase. »

Actuellement, le spectacle joue à la Cartoucherie de Vincennes, au théâtre de la Tempête jusqu’au 17 décembre puis repartira en tournée.

Annie et moi avons pris deux places à l’Espace Camus de Bron où le spectacle viendra en février 2018.

<Vous trouverez ici une page de France Culture plus ancienne avec des extraits du spectacle>

Un livre regroupant les textes est paru également à <Actes Sud>

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Vendredi 1 décembre 2017

«A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains [mais un] mécanisme d’oubli progressif commence assez tôt avant l’âge d’un an»
Lionel Naccache, « Le cerveau bilingue » 32ème émission de la série « Parlez-vous cerveau ? »

Même ma mère, qui avait arrêté l’école à 14 ans, le disait : « Un enfant apprend mieux une langue étrangère qu’un adulte ». Elle le savait, mais elle ignorait pourquoi.

Lionel Naccache va nous l’expliquer :

« Parler une langue, requière déjà de reconnaître ses phonèmes, les unités de son élémentaire que composent ses mots parlés. Les linguistes ont dénombré plusieurs centaines de phonèmes distincts, à travers les milliers de langues parlées par l’homme.

Premier scoop : chaque langue n’utilise en général que quelques dizaines de phonèmes. 36 précisément en français.
C’est pourquoi un locuteur japonais adulte sera sourd à la différence des phonèmes « re » et « le » qui sont différenciés en français mais pas en japonais. »

Et Lionel Naccache de s’amuser en s’écriant : « palfaitement ».

« Inversement nous sommes sourds à des phonèmes distingués en japonais et non en français. »

Second scoop : merveilleux argument en faveur de l’universalité de l’espèce humaine : A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains.

Comment le sait-on ?

Par exemple en comptant le taux de succions d’une tétine par un bébé de trois mois, alors qu’on lui fait écouter des phonèmes. Ce taux de succion augmente, lorsque le phonème change. Ce qui permet donc de vérifier si le cerveau du bébé a fait la différence entre des sons que nous adultes sommes incapables de distinguer, avec ou sans tétine.

Moralité : l’apprentissage d’une langue repose sur un mécanisme de renforcement des sons utiles, mais également un mécanisme d’oubli des sons inutilisés. Ce mécanisme d’oubli progressif commence assez tôt avant l’âge d’un an.

C’est pourquoi notamment l’apprentissage d’une seconde langue sera d’autant plus efficace, qu’il surviendra tôt dans la vie.

Après 25 ans, par exemple, aucun espoir de la parler avec un accent parfait et ceci quelle que soit votre intelligence. »

En 1988, j’avais assisté au mariage d’un ami en Allemagne avec sa compagne allemande. Un moment, la mère de la mariée est venue me voir et m’a posé la question (en allemand bien sûr) : êtes-vous vraiment français ? Je lui ai répondu : Oui pourquoi ? Mais vous n’avez aucun accent ! Quand j’étais bébé, mes deux grands-mères ne parlaient qu’allemand et ce sont donc régulièrement adressées à moi dans cette langue. Je suis assez mauvais en grammaire allemande, j’écris avec pas mal de fautes, mais je parle sans accent. J’ai entendu un discours de Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre de la France, lui est agrégé en allemand il connait beaucoup mieux cette langue que moi. Mais quand il parle, il n’y a aucun doute, il n’est pas allemand.

Ce constat : «A la naissance, un bébé humain distingue l’ensemble des phonèmes humains. » est très révélateur. Il signifie qu’un bébé humain ne naît pas français, allemand, espagnol, chinois, sénégalais, israélien, syrien, il le devient.

Lionel Naccache invite bien sûr l’éducation nationale à tirer toutes les conséquences de cette connaissance des neuro sciences :

« La plasticité cérébrale des réseaux impliqués dans la prononciation et la perception des phonèmes présentent donc des périodes critiques. Périodes critiques dont il faudrait s’inspirer pour élaborer les programmes d’apprentissage linguistique à l’école.

Il semble d’ailleurs que l’exposition précoce et la maîtrise de deux langues différentes soit à l’origine d’une meilleure flexibilité mentale. Comme si la gymnastique permanente de savoir jongler entre deux ou trois langues bénéficiait à notre agilité cognitive en général. »

Vous trouverez l’émission de Lionel Naccache derrière ce lien : <Le cerveau bilingue>

J’arrête ici, la série de mots du jour consacré aux 35 émissions de « Parlez-vous cerveau », mais il y en a beaucoup qui sont tout aussi passionnants.

Je citerai particulièrement avec entre parenthèse le numéro de l’émission

  • La prise de conscience (24)
  • La conscience de soi (25)
  • La créativité (26)
  • La société comme un cerveau (28)
  • Le système de récompense (29)
  • La matrice de la douleur (30)
  • Les neurones miroirs (31)
  • Le cerveau de demain (35)

Dans la société comme un cerveau, Lionel Naccache ose une analogie hardie entre la mondialisation et le cerveau humain :

« L’une des facettes de la mondialisation tient au contraste d’une part d’une accélération inédite des moyens de voyager et d’autre part une atténuation sans cesse croissante de l’expérience de dépaysement.

J’ai bougé sans difficulté et en même temps je n’ai pas vraiment bougé, à cause de l’uniformisation du monde.

Cet oxymore du voyage immobile peut être éprouvé à plusieurs échelles spatiales : entre les différents quartiers d’une même ville, entre les différentes villes d’un même pays, ou entre différents endroits du monde. Son illustration, la plus parfaite est <le mall>, le centre commercial identique à Los Angeles, à Paris et à Tokyo.

Ce voyage immobile associe donc l’uniformisation et l’appauvrissement des lieux avec l’augmentation massive de communication entre eux.

Une analogie s’imposa à moi.

Il existe dans le cerveau une situation de voyage immobile marquée par ces 3 propriétés : Excès de communication entre lieux cérébraux, uniformisation et appauvrissement de ces lieux, c’est une crise d’épilepsie.

Ce qui reviendrait donc à traduire en langue du cerveau, l’expression «méfaits de la mondialisation» par crise d’épilepsie.
Une crise d’épilepsie du monde.

Or, dès qu’une crise d’épilepsie s’étend dans notre cerveau et gagne le réseau cérébral de la conscience, que se passe t’il ?
Le patient demeure éveillé, il continue à agir de manière automatique, mais il perd conscience.

Si nous rebasculons du côté du macrocosme social, un nouveau concept apparaît alors :
Celui d’une perte de conscience épileptique d’une société. »

Il pousse l’analogie un peu loin, vous ne trouvez pas ?

En tout cas tout cela est passionnant vous trouverez les 35 émissions derrière ce lien

<J’ai trouvé aussi ce site qui a pour vocation de comprendre le cerveau et son fonctionnement>

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