Vendredi 27 octobre 2017

« L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle »
Emmanuel Todd Titre du chapitre 5 du livre « Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’Histoire Humaine »

Le protestantisme a joué un rôle majeur dans le monde occidental. Notamment parce qu’il a été la religion des pays les plus dynamiques de la révolution industrielle et économique : La Grande Bretagne, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et les pays nordiques Suède, Danemark, Norvège.

Emmanuel Todd s’est surtout fait connaître ces dernières années comme polémiste, polémiste sur des options douteuses, notamment après l’attentat contre Charlie-Hebdo.

Mais c’est aussi un démographe et un chercheur rigoureux qui réalise des études sérieuses.


Son dernier livre plonge dans son domaine de recherche privilégié : « l’analyse des structures familiales ».

Ce livre <Où en sommes-nous ?> publié le 31/08/2017 par les éditions du Seuil, évoque l’Allemagne et le protestantisme.

Emmanuel Todd, d’abord centré sur son domaine de recherche, insiste sur la structure familiale de l’Allemagne qui est la famille souche.

Wikipedia nous apprend que le concept de famille souche a été forgé par Frédéric Le Play au XIXe siècle pour décrire un mode de dévolution préciputaire (c’est-à-dire à héritier unique) des biens, matériels et éventuellement non matériels, les enfants exclus de l’héritage étant dédommagés par différents moyens (par exemple la dot). La famille souche qui est donc une famille inégalitaire et autoritaire, concentre le plus souvent plusieurs générations sous le même toit avec application d’un droit d’aînesse masculine.

Mais au-delà de focus mis sur la structure familiale Emmanuel Todd dans son chapitre 5 « L’Allemagne, le protestantisme et l’alphabétisation universelle » s’intéresse aux conséquences du protestantisme en Allemagne, puis en Europe.

La conséquence majeure est l’alphabétisation universelle :

« Avant la révolution politique, scientifique et industrielle anglaise, il y avait eu Réforme protestante et l’alphabétisation de masse, venues d’ailleurs. Crise religieuse et décollage éducatif ont trouvé leur origine en Allemagne, disons à partir de 1517 si nous retenons les 95 thèses de Luther comme point zéro de ces bouleversements. »

Bien sûr, comme cela avait été souligné dans les mots précédents, avant l’alphabétisation il a fallu l’invention de l’imprimerie et sa généralisation :

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, la moitié des paysans du monde germanique sont devenus protestants ; répondant à l’injonction de Luther, ils ont appris à lire. La famille-souche, avec son autoritarisme interne et son principe de continuité, peut contribuer à expliquer le caractère « total » de l’alphabétisation protestante. […] L’existence, au XVIème siècle, de l’imprimerie est de toute évidence le facteur principal du succès de la Réforme dans son œuvre d’alphabétisation.

[…]

L’imprimerie en caractères mobiles fut mise au point à Mayence sur le Rhin par Gutenberg vers 1454 ; La Réforme protestante fut lancée par Luther en 1517, lorsqu’il afficha ses 95 thèses […] Le lien entre ces deux évènements et l’alphabétisation de masse est une évidence historique. L’imprimerie a permis un abaissement radical du coût de la reproduction des textes. La Réforme d’emblée a voulu instaurer, pour chaque homme, un dialogue personnel avec Dieu, sans l’intermédiaire du prêtre, exigeant, comme le judaïsme un millénaire et demi plus tôt, l’accès direct des fidèles aux textes sacrés.

Citons Egil Johansson, pionnier suédois de l’étude historique de l’alphabétisation :

« Ce ne fut qu’au XVIIème siècle que la capacité de lire, but des réformateurs, a atteint progressivement les masses. Alors apparut une différence claire entre l’Europe protestante et l’Europe non protestante. Si peu de gens savaient lire dans le sud catholique et l’est orthodoxe de l’Europe – moins de 20 % – une augmentation drastique était intervenue dans le centre et le nord protestants de l’Europe. L’Italie du Nord et certaines parties de la France occupaient une position intermédiaire, grâce à une tradition d’usage de l’écriture remontant au moyen âge, du moins dans les villes […].

Dans l’Europe protestante, on peut estimer de 35 à 45% de la population savait lire vers 1700.

La Réforme a créé les protestants mais elle a aussi eu une conséquence sur les catholiques qui vont se lancer dans une réaction qu’on va appeler « la contre-réforme » et qui va se structurer dans le fameux <Concile de Trente>. Cette contre-réforme va aussi créer le corps des Jésuites qui va jouer un rôle majeur dans l’éducation des masses et sur l’alphabétisation. Emmanuel Todd insiste sur la concurrence, en Allemagne, entre catholiques et protestants sur ce terrain de l’alphabétisation.

Dans l’Allemagne protestante, les seuils d’alphabétisation de 50% ne furent franchis qu’au XVIIème siècle, mais des résultats déjà substantiels avaient été obtenus dès le XVIème siècle. […] Dans l’espace germanique, la compétition religieuse a conduit à une alphabétisation à peine plus lente des régions qui n’avaient pas adopté la Réforme et étaient restées catholiques.

Pourtant, en 1930, la carte que donne Todd montre que l’Europe européenne protestante reste davantage alphabétisée que l’Europe catholique :

Vers 1930, la carte des taux d’alphabétisation européens restait centrée sur son pôle allemand initial et, plus généralement, sur le monde luthérien, auquel on peut ajouter l’Ecosse calviniste. Mais le mécanisme de diffusion ne s’est pas arrêté en Europe. Les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada anglophone, issus de l’Angleterre des XVIIème et XIXème siècles, ont bénéficié dès leur fondation de ses taux d’alphabétisation élevés. L’Amérique latine a, pour ce qui la concerne, hérité du retard et des rythmes plus lents de l’Espagne et du Portugal. Mais, toujours, la colonisation s’est accompagnée d’une diffusion de l’alphabétisation qui, partout, a avancé à partir des points d’entrée ou de pression européens.

Luther en conceptualisant l’idée que la vérité théologique, ce qui a son époque constituait la quête majeure des homo sapiens, pouvait être trouvée sans la médiation d’un prêtre par l’accès direct au livre sacré du christianisme a entraîné plusieurs conséquences :

  • La première est ce besoin d’une alphabétisation générale ;
  • La seconde est le développement d’un esprit critique puisque chacun va pouvoir se faire sa propre opinion ;
  • La troisième est bien sûr que à travers l’alphabétisation et l’accès à la lecture et la culture, un formidable développement de l’innovation et du dynamisme économique va pouvoir s’épanouir

Concernant la deuxième conséquence, le développement de l’esprit critique, Luther va être confronté rapidement à un dilemme qu’il résoudra d’une manière qui nous apparaît aujourd’hui comme profondément condamnable. C’est ce que l’on va appeler « la guerre des paysans ».

Nous verrons cela au prochain mot du jour. Ce mot du jour ne sera pas publié lundi 30 octobre, parce que je prends une semaine de repos..

Au lundi 6 novembre donc.

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Jeudi 26 octobre 2017

« Les protestants »
Nom qui a été donné à ceux qui ont quitté l’église catholique pour suivre la Réforme.

Mais d’où vient le nom de protestant ? Pourquoi parle-t-on des protestants ?

Nous avons compris que Luther entendait réformer l’enseignement de L’Église catholique et que cette entreprise a mal tourné en raison de la réaction de la papauté et aussi un peu en raison  des intérêts des élites allemandes.

Il parait, dès lors, rationnel de parler de Réforme et de réformateurs. Ces termes sont utilisés, mais un autre s’est imposé davantage : « Les protestants ».

Dans ma ville natale, à Stiring-Wendel, comme dans la ville centre de l’agglomération Forbach il y a une église catholique et un temple protestant.

Les livres savants expliquent simplement que ce mot est apparu une première fois, lors de la Diète de Spire en 1529.

Le mot « Diète » a plusieurs significations et il peut désigner une assemblée politique. Il semblerait qu’une des plus anciennes assemblées ayant porté ce nom et ayant duré sur une longue période se soit trouvée en Suisse. La Diète du Canton de Valais a existé de 1301 jusqu’en 1848.

Et dans le Saint Empire Romain Germanique « La Diète d’Empire », officiellement Diaeta Imperii était une institution chargée de veiller sur les affaires générales et de trouver une solution aux différends qui pourraient s’élever entre les États confédérés.La Diète ne fut jamais un parlement dans le sens contemporain ; c’était plutôt l’assemblée des divers souverains que comptait l’Empire. Longtemps la Diète n’eut pas de siège fixe et ce sont 3 diètes qui se sont réunies successivement et ont traité du conflit qui était en train de naitre entre les partisans de Luther et les partisans du Pape dont faisait partie l’empereur Charles Quint.

Il y eut d’abord en 1521, la « Diète de Worms » qui traita de plusieurs sujets qui n’avait rien à voir avec les 95 thèses de Luther. Mais elle entendit aussi en audience les 17 et 18 avril Martin Luther qui avait déjà été condamné par les instances religieuses catholiques, mais qui selon un texte ratifié par Charles Quint, avait le droit de présenter sa défense devant la Diète avant d’être mis au ban de l’Empire. Luther resta ferme sur ses principes. Sa réponse à l’invitation que lui faisait Charles Quint d’abjurer est restée célèbre :

«À moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l’Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu’il est évident qu’ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l’Écriture que j’ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience.»

Un esprit fort droit dans ses bottes ! Dans ses sandales seraient probablement plus appropriées pour un moine.

Il remettait en cause l’autorité du Pape et réclamait le droit de juger par lui-même de ce qui convenait de faire et de penser à la seule lecture du texte biblique.

Bien sûr l’Église Catholique et son chef le Pape, comme l’Empereur son allié ne pouvait laisser cette rébellion en l’état et il y eut promulgation de l’édit de Worms qui condamna Luther et établit sa mise au ban de l’Empire. Mais son protecteur, le prince-électeur Frédéric III de Saxe, organisa l’exfiltration de Martin Luther pour le mettre en sécurité au château de la Wartbourg, à Eisenach, la ville qui vit naitre 164 années plus tard, le plus grand musicien de l’Histoire occidentale et fervent luthérien : Jean-Sébastien Bach.

Cette diète fut suivit par une autre en 1526, dans une autre ville : Spire (Speyer en allemand). Le mouvement réformateur ne s’était pas calmé après Worms, des princes continuaient à soutenir les idées de Luther et de nouveaux réformateurs vont se révéler, notamment Ulrich Zwingli et Thomas Müntzer qui va jouer un rôle important lors de la guerre des paysans sur laquelle nous reviendrons. Charles Quint ne participe pas à cette assemblée.

Et les grands princes de l’Empire décrètent une curieuse conception de la liberté religieuse pour nos esprits contemporains. Très simplement chaque Prince choisit la religion qui lui convient : la religion catholique ou les thèses réformatrices. Mais le Prince décide pour tout son Etat et toute sa population. Ainsi quand le Prince a décidé, tous ses sujets n’ont d’autres choix que d’adhérer à la même religion ou de quitter l’État du Prince.

Mais comme l’écrit Wikipedia :

L’historiographie considère que la Diète de Spire de 1526 constitue une ouverture non voulue par l’empereur Charles Quint dans la voie du libre choix des princes d’appliquer la religion de leur choix à leur territoire.

C’est pourquoi Charles Quint décida de réunir une seconde Diète à Spire en 1529 pour essayer de condamner les idées réformistes luthériennes, réinstaurer partout le culte catholique et la messe en latin et suspendre le compromis de la diète de 1526 et renforcer l’édit de Worms.

C’est cette prétention qui va entraîner le 19 avril 1529 la « protestation » de six princes et de quatorze villes.

Le 19 avril 1529 six princes : Jean de Saxe qui a succédé à Frédéric III le Sage décédé en 1525, Philippe de Hesse, Georges de Brandebourg-Ansbach, Wolfgang d’Anhalt-Köthen, Ernest de Brunswick-Lunebourg ainsi que 14 villes de l’empire (Strasbourg, Ulm, Nuremberg, Constance etc) déposent un acte de protestation devant l’empereur :

« Nous protestons devant Dieu, ainsi que devant tous les Hommes, que nous ne consentons ni n’adhérons au décret proposé dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte Parole, à notre bonne conscience, au salut de nos âmes »

L’empereur sera obligé de céder devant les Princes qui l’élisent.

Et c’est à la suite de cet acte de protestation que les réformés vont être appelés communément « Protestants ».

Mais on va tenter une explication plus savante en latin. Il sera alors expliqué que ce mot est la concaténation de deux mots latins pro (pour) et testare (témoigner) ce qui peut être décliné comme « professer sa foi »

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Mercredi 25 octobre 2017

« Ce n’est pas de Luther qu’il s’agit, c’est de nous tous ; le pape ne tire pas le glaive contre un seul, il nous attaque tous. Ecoutez-moi, souvenez-vous que vous êtes germains »
Ulrich von Hutten

<Ulrich von Hutten> était un chevalier et aussi un polémiste qui soutint Martin Luther dès le début de son aventure de la Réforme.

Il faut savoir que sans qu’il ne l’ait excommunié le Pape a publié, en 1520, une bulle «  Exsurge Domine » condamnant ses opinions, livrant au feu ses ouvrages et lui laissant 60 jours pour se soumettre.

Mais Luther n’est pas un moine isolé, il va obtenir des soutiens en Allemagne et notamment celui de ce Ulrich von Hutten.

Je tire ce discours de la page 102 de l’ouvrage de Lucien Febvre <Martin Luther, un destin> :

[Hutten] mène alors contre Rome une campagne enragée. En avril 1520 à Mayence […] paraissent des écrits violents contre les romanistes :
« Ce n’est pas de Luther qu’il s’agit, c’est de nous tous ; le pape ne tire pas le glaive contre un seul, il nous attaque tous. Ecoutez-moi, souvenez-vous que vous êtes germains »

Hutten est parmi les soutiens de Luther, un des plus virulents, des plus intransigeants, refusant tout compromis avec le Pape et Rome. Mais il exprime ici un point essentiel, la Réforme, le combat de Luther sont intimement lié à l’Allemagne, l’Allemagne désunie en nombreux États mais voulant se libérer de la tutelle romaine et aussi de l’Empereur du Saint Empire Germanique qui était le représentant temporel du Pape, dans les terres germaines.

Et dans la suite de cette campagne, Luther va rédiger et publier toujours à Wittenberg en 1520 un ouvrage qu’il va simplement appeler « À la noblesse chrétienne de la nation allemande », dans lequel il va attaquer le Pape, la curie, Rome et demander au peuple de soutenir les réformes notamment celle qui consiste à permettre à chacun de lire la bible et de s’en nourrir sans faire appel aux prêtres ;

Et je cite Lucien Febvre page 104 :

Ainsi ce petit livre, écrit en allemand à l’usage de tout un peuple, qu’il se soit enlevé chez les libraires avec une rapidité inouïe; qu’en 6 jours, on en ait débité quatre mille exemplaires, chiffre sans précédent : rien d’étonnant. Il visait tout le monde, tout le monde l’acheta.
Quand il vint en Allemagne publier la bulle [Le représentant du Pape] pu noter : « Les neuf dixièmes de l’Allemagne crient : Vive Luther ! et tout en ne le suivant pas, le reste fait chorus pour crier : Mort à Rome ! »

Et le 1er novembre 1521, dans une lettre Luther écrit : (Febvre page 137)

« Je suis né pour mes Allemands et je les veux servir. »

Et à partir de 1525 Febvre fait remarquer que Luther n’écrit plus qu’en allemand  (page 181)

« Il renonce au latin, langue universelle, langue de l’élite. Ce n’est pas à la chrétienté qu’il s’adresse : à l’Allemagne seule, même pas, à la Saxe luthérienne. »

Les relations avec Rome et le Pape vont empirer, il faut dire que Luther est très intransigeant. Il est mis au ban de l’empire ce qui signifie que n’importe qui peut le mettre à mort impunément. Mais son protecteur, l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage continue à le protéger. Et Aussitôt sa condamnation prononcée, l’électeur de Saxe Frédéric III le Sage, craignant qu’il ne lui arrive malheur ordonne à des hommes de confiance de l’enlever alors qu’il traverse la forêt de Thuringe le 4 mai 1521. Pour le mettre à l’abri dans le château de la Wartbourg.

Dans ce château, Luther demeure jusqu’au 6 mars 1522 sous le pseudonyme de chevalier Georges. Et c’est là qu’il va accomplir une autre tâche fondamentale le rattachant à l’Allemagne, il commence sa traduction de la Bible, en langue allemande.

On dit souvent que c’est la langue allemande qui a fait l’Allemagne. Mais cette langue n’était pas unique, de multiples patois coexistaient et c’est Luther qui va unifier cette langue, notamment par ce travail sur la bible il va créer une sorte de langue officielle. On parle désormais, pour désigner cette langue, de « la langue de Luther ».

La réforme de Luther est donc une réforme théologique.

Mais ce que nous apprenons ici, c’est qu’elle est aussi une révolte des allemands, sinon du peuple, au moins de l’élite et de la noblesse allemande contre l’hégémonie de Rome et de la papauté.

Et pendant ce temps, l’allié du Pape, l’empereur du Saint Empire Germanique, Charles Quint qui devrait rétablir l’ordre dans son empire et mettre à la raison Luther est paralysé. Il l’est parce qu’il est en guerre contre François 1er, le roi français, et qu’il ne dispose pas des ressources pour mener deux batailles à la fois. En outre, il soit ménager les nobles allemands qui soutiennent Luther et qui parallèlement sont ses électeurs.

La réforme va par la suite s’étendre rapidement à d’autres pays : la Suisse, les Pays bas et l’Angleterre qui dans sa réforme anglicane va se rapprocher du mouvement réformateur. Mais du point de vue de Luther elle est avant tout un combat du peuple allemand dont il se sent l’étendard.

A cela va s’ajouter, mais nous le verrons dans un autre mot du jour, un antisémitisme très virulent de Luther à la fin de sa vie.

Les nazis utiliseront dès lors la figure tutélaire de Luther pour cautionner leur système et leurs actes.

« Souvenez-vous que vous êtes germains » disait Ulrich von Hutten, le soutien de Luther.

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Mardi 24 octobre 2017

« Une dispute qui termine mal ? »
Didier Poton de Xaintrailles, titre d’une conférence à la Rochelle à propos des 95 thèses de Luther.

Trouver l’exergue qui introduit ce que je souhaite partager dans le mot du jour est parfois compliqué. Pour aujourd’hui, j’ai trouvé le titre d’une conférence qui a eu lieu le 17 octobre 2017, dans une ville qui a été longtemps une place forte du protestantisme en France : La Rochelle. C’était une conférence de de Didier Poton de Xaintrailles, professeur émérite à l’université de la Rochelle, président du musée rochelais d’histoire.

Le titre de cette conférence : « 31 octobre 1517 : une dispute qui tourne mal ? »

Je n’ai pas trouvé de compte rendu, ni de vidéo sur cette conférence. Je n’en connais donc pas le contenu. Mais le titre de cette conférence correspond exactement à la conclusion que j’ai tiré du livre de Febvre sur Luther et des différents articles ou émission que j’ai écoutés sur ce sujet.

J’ai vu une émission qui me semble particulièrement pertinente sur ce sujet, sur la chaine de télévision catholique KTO et qui explicite ce que je vais raconter ici.

<Emission de KTO qui fait dialoguer un catholique et un Luthérien>

Le 31 octobre 1517, Luther a donc publié ses « 95 thèses », il y a 500 ans. Et on fixe à ce moment fondateur le début du mouvement réformateur.

Rappelons de manière simplifiée la version officielle :

Luther est scandalisé par « les indulgences » qui sont utilisées par les ecclésiastiques catholiques pour financer leurs dépenses somptuaires. « Les indulgences » sont en terminologie contemporaine une taxe payée par les catholiques, surtout riches, pour racheter leurs fautes morales ou contre la religion. Le terme faute était remplacée par « péché ». A cette époque, les gens étaient saisis d’effroi de ce qui pourrait arriver après leur mort : l’enfer, le purgatoire et les tourments etc. Donc ils étaient très enclins à accepter de payer. Et les spécialistes marketing de l’Église de l’époque ont alors même imaginé de faire payer pour des péchés futurs. Donc Martin Luther, religieux austère et rigoureux part en guerre contre ces abus et va clouer sur les portes du château de Wittenberg en Saxe ses 95 thèses contre les indulgences, le 31 octobre 1517. La Papauté ne va apprécier, il va s’en suivre des conflits et une scission dans l’Église catholique romaine (Rappelons qu’il y a eu une précédente scission avec l’Église d’Orient, historiquement de Constantinople dont est issu l’Église orthodoxe) et la création des églises protestantes ou réformées.

Fernand Braudel disait qu’en Histoire les choses sont toujours vrai à peu près. Mais cette version est à peu près fausse.

D’abord les historiens d’aujourd’hui doutent beaucoup du fait que ce long texte aurait été placardé sur les portes du château de Wittenberg, le 31 octobre 1517.

Ce qui est certain c’est que ce texte a été écrit par Luther et imprimé. Ce qui est aussi certain c’est qu’il a été envoyé à certaines autorités ecclésiastiques et universitaires.

Ensuite la vision morale de l’Histoire qu’on nous a apprise est largement fausse.

Luther ne s’est pas élevé contre l’Église catholique parce que les mœurs de cette dernière étaient moralement condamnables. Cette version « L’église catholique est corrompue et en contradiction avec son message christique, il faut remettre de la morale et de l’ordre dans tout ça », nous convient bien, à nous autres hommes modernes, parce que nous la comprenons.

Il faut savoir par exemple que Le Prince Electeur de Saxe, Frédéric III dit le « sage », qui sera le protecteur de Luther tout au long de la controverse était lui-même un utilisateur des indulgences, parce qu’elles lui permettaient de financer des reliques très prisées à l’époque et dont il a été un grand collectionneur.

La vérité c’est que cette controverse est totalement incompréhensible à la plupart d’entre nous. Je vais quand même essayer de vous l’expliquer, j’en appelle à votre indulgence.

La controverse déclenchée par Luther est d’essence théologique. Il est bien question des indulgences, mais non pour une question de morale, pour une question théologique.

C’est incompréhensible aujourd’hui pour les européens que nous sommes, peut-être pas pour le reste de l’Humanité qui est encore largement influencé par la religion.

A cette époque on s’entretuait pour ces questions !

Des questions aussi extraordinaires que :

  • Est-ce que l’hostie que l’on vous donne à l’Eglise symbolise le corps du Christ ou est-ce vraiment physiquement le corps du Christ ?
  • Que signifie exactement la Trinité, est-ce un seul être ou 3, existe-t-il une hiérarchie entre eux ?

A cette époque,  selon votre réponse vous pouviez être un homme respecté ou un hérétique qui devait être torturé puis brulé. Et s’il existait suffisamment de personnes pour défendre des réponses antagonistes, ces groupes se faisaient la guerre, une guerre totale.

Nous autres européens sécularisés ne comprenons pas cela même si l’actualité et d’autres religions que la chrétienne devraient nous interpeller.

Les religions monothéistes ont apporté quelques bienfaits à l’humanité, notamment les moines qui ont beaucoup travaillé, asséché des marais et réalisé d’autres choses utiles. Mais le fondement du monothéisme qui entraine la confusion entre « une croyance » et « la vérité unique » a une fabuleuse capacité à crétiniser ceux qui se laissent happer par ces mythes.

Le plus simplement possible je dirai que Luther prétendait que l’enseignement de l’église catholique se trompait en prétendant que c’est le comportement, les actes (il disait les œuvres) des croyants, notamment les mortifications (les jeûnes, se donner la discipline ce qui signifiait se fouetter soi-même ou se faire fouetter ce qui n’était pas vue comme une manifestation de masochisme mais une preuve de foi) permettaient de « se faire bien voir » par Dieu, « d’obtenir la grâce » selon le vocabulaire d’époque.

Selon lui, pour plaire à Dieu il fallait simplement avoir la Foi, croire très fort et la grâce de Dieu faisait le reste.

Alors bien sûr, les indulgences cela n’allait pas du tout puisque cette manière d’agir laissait entendre qu’un acte de la part du croyant : « payer » pouvait conduire à ce que Dieu sois content !

Ce qui est vrai, c’est que Luther n’avait pas pour intention de créer une nouvelle église. Ses 95 thèses étaient l’expression de son désaccord avec l’enseignement de l’Université qui essentiellement consacrait son enseignement à la théologie. Il voulait déclencher un débat, à l’époque on parlait de « dispute », pour débattre avec d’autres de ce qu’il avançait.

Mon propos d’aujourd’hui se moque totalement du contenu des 95 thèses qui sont 95 affirmations d’une vingtaine de mots chacune. En revanche, je vais vous citer, in extenso, l’introduction de ce texte historique :

«Par amour pour la vérité et dans le désir de la mettre en lumière, nous débattrons à Wittenberg des 95 thèses ci-après sous la présidence du Père Martin Luther, Maître ès Lettres et Docteur en Théologie, Professeur ordinaire en ce lieu. Nous demandons à ceux qui ne peuvent être ici présent en ne pourront par conséquent pas prendre part oralement au débat, de le faire par écrit. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Amen.»

Il s’agit pour prendre des termes modernes, d’un débat intellectuel, de la confrontation d’idées dans l’espace universitaire.

Luther eut deux surprises :

  • La première c’est ce que ce débat n’a pas eu lieu ;
  • La seconde, c’est que son texte a eu un écho énorme, notamment en Allemagne et que pour différentes raisons dont certaines politiques, il avait enclenché un mouvement qui allait secouer l’Occident et mener à des guerres.

Ce que je vous ai raconté dans ce mot du jour est vrai à peu près, mais c’est très vrai à peu près. En tout cas beaucoup plus que la thèse officielle apprise dans nos livres d’Histoire et que j’ai rappelé ci-avant.

<Et je vous renvoie vers cette émission de KTO citée précédemment>

Vous conviendrez que l’exergue sous forme de question « Une dispute qui termine mal ? » est particulièrement adapté à ce que j’ai développé dans cet article.

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Lundi 23 octobre 2017

« La Réforme »
Mouvement religieux né en 1517 en Allemagne et conduisant à la création des églises protestantes

2017 est une année pleine d’anniversaires et de commémorations. Le mot du jour du 13 octobre en a rappelé certains.

J’avais omis de citer l’anniversaire qui a motivé notre jeune président improbable et cultivé à inviter pour notre fête nationale le vieux président improbable et inculte des Etats-Unis. Il n’y a que le caractère improbable de leurs élections respectives qui permet de trouver un point commun entre ces deux hommes. Il y a cent ans les Etats-Unis entraient en guerre au côté des anglais et des français contre les allemands et les empires centraux. Ce point de départ de l’hégémonie militaire et économique américaine a continué tout au long du XXème siècle pendant lequel les américains se sont occupés des affaires européennes, un peu pour préserver leurs intérêts, beaucoup parce que nous autres européens nous nous sommes très mal comportés et avons entraîné le monde dans des guerres mondiales apocalyptiques et des totalitarismes meurtriers qu’ont été le nazisme et le communisme bolchévique.

Et justement, un autre centenaire est à commémorer, les cents ans de la révolution russe d’abord celle de février qui renversa le Tsar, puis la vraie, la tragique celle qui allait permettre aux bolcheviks de prendre le pouvoir, d’essayer de mettre en place un système productiviste alternatif au capitalisme, de nier les libertés, et d’assassiner des millions de leurs concitoyens pour s’écraser dans la déroute économique : la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917. Cette révolution aura duré moins de 75 ans puisqu’elle s’acheva avec la fin de l’Union Soviétique le 25 décembre 1991.

Mais j’entends parler cette semaine non d’une révolution (quelqu’un saurait-il m’expliquer pourquoi on utilise ce mot qui signifie tourner autour d’un astre pour revenir au même point pour qualifier des bouleversements politiques, cela signifierait-il que forcément les révolutions tournent en rond ?) mais de la Réforme.

On oppose souvent la révolution et la réforme. Mais la Réforme fut un bouleversement religieux, politique et même économique selon Max Weber qui écrivit : «  L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme  »

Selon l’excellent outil du <CNTRL> du CNRS le verbe « Réformer » est lié à la racine « former » et signifie « ramener à sa forme primitive », ce sens existerait depuis la fin du XIIème siècle.

La Réforme a 500 ans et s’inscrit dans le temps long, plus long que la révolution bolchevique.

Les humains aiment dater le début d’une période, d’un phénomène de temps long.

Et on date le début de la Réforme au 31 octobre 1517. Ce jour-là, un moine augustin, professeur de théologie à l’université de Wittembourg en Thuringe sur les terres du Prince électeur de Saxe, Martin Luther a rendu public et envoyé à certains interlocuteurs un document qui a gardé pour nom dans l’Histoire : « Les 95 thèses » contre les indulgences et le fonctionnement de l’église en vue de provoquer un débat théologique, une bataille d’idées à l’intérieur de l’Eglise Catholique. Par un concours de circonstances, des malentendus mais aussi des postures politiques et nationalistes ce débat d’idées va s’abimer dans des guerres, des affrontements et une rupture au sein de la chrétienté occidentale. Nous y reviendrons pendant quelques jours pour éclairer ce moment de l’Histoire européenne et mondiale, car les Etats Unis sont imprégnés par cette révolution luthérienne qui va générer le mouvement protestant.

Pour ce premier mot de la série, je vais m’intéresser au Monde « européen » dans lequel ce document de controverse théologique allait mener à une explosion de rivalités, de haines et aussi de dynamisme intellectuel, politique et économique.

Nous disons donc 1517.

Tous les élèves ayant fréquenté des classes d’Histoire de l’école française ont au minimum une date gravée dans leur mémoire : « 1515 » donc 2 ans avant 1517.

<1515>  donc François 1er, donc Chambord, donc la Renaissance dans sa flamboyance.

Luther (1483-1546) et François 1er (1494-1547) sont des contemporains, Luther un peu plus âgé, 11 ans quand François 1er naît. Mais à partir des 95 thèses et pendant tout le reste de la vie de Luther, la France n’eut qu’un seul roi, un roi catholique mais qui par sa politique aida grandement la diffusion du protestantisme en Europe et notamment au sein des Etats du Saint Empire Romain germanique où régnait son ennemi principal l’empereur Charles Quint.

1515, donc <la bataille de Marignan> en Italie à 16 km au sud-est de Milan. Pour les plus savants la bataille eut lieu les 13 et 14 septembre 1515 et opposa le roi de France François Ier et ses alliés vénitiens aux mercenaires suisses qui défendaient le duché de Milan.

Donc l’Italie …au cœur des rivalités européennes, siège de la papauté et de rivalités internes fortes entre Venise, Gènes, Milan et Rome.

Et Florence… <Laurent de Médicis dit le Magnifique> (1449-1492), donc un aîné pour Luther qui avait 9 ans quand Laurent le Magnifique est mort. Mais en 1513, le Pape qui est élu à Rome a pour nom Léon X, ce fut le Pape qui dirigeait l’Eglise catholique en 1517. Qui est Léon X en réalité ?

<Léon X> eut pour nom de baptême Giovanni Médicis, c’est le second fils de Laurent de Médicis. Il fut Pape de 1513 à 1521.

Léon X, comme tous les souverains européens et particulièrement italiens fut un grand protecteur des arts. Il fit notamment travailler pour lui Raphaël (1483-1520) né la même année que Luther. Il peignit le portrait de Léon X, que l’on peut admirer de nos jours à la galerie des Offices de Florence.

Léon X succéda au pape Jules II, le pape de Michel Ange (1475-1564) qui naquit donc avant Luther et mourra après. Jules II fut aussi le Pape qui entreprit l’édification de la <basilique Saint Pierre> qui fut financée en partie par les <Indulgences> qui jouèrent un rôle certain mais toutefois limité dans le combat théologique de Luther.

Le successeur de Léon X, Adrien VI ne régna qu’un peu plus d’un an. Il était originaire d’Utrecht ville des futurs Pays-Bas. Il est surtout connu comme étant le dernier pape non italien avant Jean-Paul II !

Et après ce Pape de transition, il y eut Clément VII (1523-1534) en pleine expansion du protestantisme, il était en réalité le fils illégitime de Julien de Médicis, frère de Laurent le Magnifique.

Pour rester avec les Médicis et Florence, nous devons rappeler que les Médicis seront renversés par la conquête française en 1494. Un frère dominicain du nom de Savonarole va alors jouer un rôle essentiel dans la cité des Médicis. Il rencontre le roi de France Charles VIII, négocie les conditions de la paix et évite le sac de la ville. Les Florentins sont autorisés par le roi de France à choisir leur propre mode de gouvernement. Savonarole devient alors dirigeant de la cité. Il institue un régime qu’il décrit comme une « République chrétienne et religieuse ».

Homme intransigeant, voulant lutter contre toute corruption il va instituer un pouvoir totalitaire, dans le sens qu’il veut tout contrôler de la vie des florentins même la vie intime. Il finira très mal puisqu’il mourut pendu et brûlé à Florence le 23 mai 1498, Luther avait 15 ans. Certains citent Savonarole comme un précurseur de Luther car il voulait lutter contre la corruption et les abus de l’Eglise, mais nous verrons que ce ne fut pas le combat principal de Luther.

Savonarole fut donc l’allié du roi de France et l’ennemi du Duché de Milan qui était au main de la famille Sforza, ce qui était encore le cas lorsqu’en 1515, à Marignan, François 1er vainquit les troupes alliées au duché de Milan.

Un autre grand ennemi de Savonarole était le pape Alexandre VI, pape de 1492 à 1503, de la famille romaine des Borgia, père de Lucrèce Borgia et César Borgia (1475-1507). Ce dernier est mort 10 ans avant les 95 thèses, il avait 8 ans à la naissance de Luther.

Qui dit César Borgia, pense à Machiavel (1469-1527) un autre contemporain de Luther, même s’il est un peu son aîné. Je n’ai vu nulle part que Luther aurait lu Machiavel, d’ailleurs <Le Prince> est paru en 1532. Mais dans le monde européen de Luther existait la pensée de Machiavel sur le pouvoir.

Revenons à François 1er et l’Italie, dans ce cas un autre nom illustre d’entre les illustres nous revient en mémoire : <Léonard de Vinci> (1452-1519), il est mort 2 ans après 1517, il faisait partie du panthéon culturel de l’Europe de Luther.

François 1er eut pour principal ennemi Charles Quint, pour lutter contre lui il se chercha des alliés. Et dans un épisode fameux <Le camp du Drap d’or> qui est le nom donné à la rencontre diplomatique du 7 au 24 juin 1520, dans un lieu situé dans le Nord de la France, près de Calais il rencontra le roi Henri VIII d’Angleterre. Cette rencontre n’aboutit pas à l’alliance souhaitée.

Mais Henry VIII de la famille Tudor (1491-1547) qui fut roi d’Angleterre et d’Irlande de 1509 à sa mort, fut aussi un grand contemporain de Luther. Il devint roi alors que Luther avait 26 ans. Ce dernier ne connut à partir de cet instant aucun autre roi d’Angleterre jusqu’à sa mort.

<Henry VIII> avait épousé Catherine d’Aragon mais souhaitait l’annulation de ce mariage pour épouser une des dames de compagnie de la reine : <Anne Boleyn>. Mais pour ce faire il avait besoin de l’appui du Pape, et Clément VII dont nous avons déjà parlé a refusé obstinément de céder à l’injonction du roi. C’est pourquoi Henry VIII entreprit, à sa façon, une réforme pour donner naissance à l’église anglicane dont le chef est le souverain britannique. Sans le mouvement lancé par Luther en Allemagne, probablement qu’Henry VIII n’aurait pas eu cette initiative qui s’inscrit immédiatement dans la Réforme.

Wikipédia affirme à propos d’Anne Boleyn que :

« Sa réputation d’être favorable à la réforme religieuse se répand dans toute l’Europe, elle est adulée par l’élite protestante ; même Martin Luther voit d’un bon œil son accession au trône. »

Vous savez que cette pauvre Anne Boleyn fut décapitée sur ordre de Henry VIII mais que leur fille fut reine d’Angleterre et que cette reine fut la Grande <Elisabeth 1ère> (Reine de 1558-1603), début de l’âge d’or de la Grande Bretagne. Elle consolida l’Eglise anglicane et l’inscrivit dans le protestantisme. Fort de cet héritage l’Acte d’établissement de 1701 exclura de la succession des rois d’Angleterre, les catholiques. Ce qui explique l’avènement comme roi d’Angleterre, du Prince électeur de Hanovre sous le nom de Georges 1er (roi de 1714 à 1727). Car à la mort de la reine Anne de Grande-Bretagne, si plus de 50 nobles avaient des liens de parenté plus étroits avec la reine Anne que lui, ils étaient tous catholiques. George était donc le plus proche parent protestant d’Anne. C’est ainsi que la maison allemande des Hanovre s’empara de la couronne britannique.

La couronne britannique a toujours ses racines allemandes. La reine Victoria fut la dernière des souverains de la Maison de Hanovre. Mais ayant épousé, en outre, un allemand : le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, lorsque Édouard VII, fils de la reine Victoria, monte sur le trône, il portera le nom de son père et la maison royale prend dès lors le nom de Saxe-Cobourg-Gotha. Et c’est en pleine première guerre mondiale, il y a 100 ans, en 1917, que ce nom trop clairement lié à l’ennemi allemand fut changé. Ainsi, cette dynastie toujours au pouvoir pris le nom d’un château, situé dans le Berkshire à l’ouest de Londres : le château de Windsor.

Ceci nous éloigne de Luther mais il fallait bien expliquer les conséquences de la décision de Henry VIII de créer l’église anglicane pour épouser Anne Boleyn et le lien avec le protestantisme issu de la Réforme luthérienne

Mais venons maintenant au cœur de la réforme luthérienne. Luther est allemand. Il est professeur à l’université de Wittemberg, en Thuringe. Le souverain de ce lieu, est en 1517, le Prince électeur de Saxe : Frédéric le Sage. Il est électeur de l’Empereur du Saint Empire Germanique. Car l’Allemagne a un semblant d’unité représentée par l’Empereur.(Le premier Reich, le deuxième sera celui créé par Bismarck pour Guillaume 1er, le troisième est tristement célèbre) .

En 1517, l’Empereur est Maximilien 1er de la maison des Habsbourg. Il va mourir en 1519 ouvrant une nouvelle période électorale incertaine dans laquelle vont s’affronter François 1er qui veut devenir empereur et le futur Charles Quint de la maison des Habsbourg. On sait que ce fut <Charles Quint> qui l’emporta mais la rivalité entre la France et la maison Habsbourg ne gagna qu’en intensité. Le début de la réforme après 1517 émergea dans un empire affaibli par un jeune empereur non encore aguerri, des Etats allemands souhaitant de plus en plus d’indépendance par rapport à l’Empereur et la Papauté et un roi de France qui trouva dans cette fracture en train de naître entre catholiques et protestants un germe fécond de division de nature à affaiblir son ennemi, voire le vaincre. Cette division allait cependant s’emparer quelques années après de la France s’abimant dans les guerres de religion.

Luther et la Réforme auraient été anéantis aussi sûrement que les tentatives précédentes de réformer l’Eglise et la papauté de <Jan Hus>ou de <John Wyclif> s’il n’avait pas pu bénéficier du soutien sans faille même s’il fut ambigüe de Frédéric le Sage et de cette rivalité fondamentale entre François 1er et Charles Quint.

Mais cette description du Monde de Luther et de la Réforme ne serait pas complète, si on ne rappelait pas 3 dates :

  • 1453 : L’empire Ottoman s’empare de Constantinople et met fin à l’Empire romain d’Orient. Luther naîtra 30 ans après.
  • 1492 : Luther a 9 ans et Christophe Collomb découvre l’Amérique. Les 95 thèses sont publiées le 31 octobre 1517, ce même mois d’Octobre 1517, à Séville, Fernand de Magellan commence les préparatifs du premier tour du monde. <Magellan>, (1480-1521) est un autre contemporain immédiat de Luther.
  • Et probablement la plus importante pour la réforme : 1451 : Le premier livre européen est imprimé par Gutenberg avec des caractères mobiles « la grammaire latine de Donatus ». Puis la première édition latine de la Bible est celle dite de la « Bible à quarante-deux lignes » en 1453 par Gutenberg. Des presses s’installent rapidement dans les grandes villes d’Europe : Cologne (1464), Bâle (1466), Rome (1467), Venise (1469), Paris (1470), Lyon (1473), Bruges (1474), Genève (1478), Londres (1480), Anvers (1481) et des centaines d’autres. En 1500, on comptait plus de 200 ateliers d’imprimerie dans la seule Allemagne. Sans l’invention de l’imprimerie, Luther et les Réformés n’auraient jamais pu diffuser leurs idées avec une telle puissance et vitesse.

Il faut bien arrêter cet exercice d’érudition présentant le monde où Luther a agi et proclamé ses thèses réformatrices. Mais je ferais une impasse trop importante si je ne citais un autre immense penseur de la culture européenne, contemporain de Luther, d’abord son allié puis son adversaire, l’humaniste hollandais <Erasme> (1467-1536)

Luther est le contraire d’un penseur isolé dans un coin obscur de Thuringe. Il nait et prêche dans un monde en plein mouvement, en plein dynamisme avec de grands artistes, de grands penseurs et de grands découvreurs. Un dernier : 10 ans avant la naissance de Luther, naissait Nicolas Copernic (1473 – 1543) qui défendra la théorie de l’héliocentrisme.

<955>

Vendredi 20 octobre 2017

« Le Taj mahal doit être retiré des brochures touristiques indiennes parce qu’il est musulman »
Les responsables de l’Etat indien de l’Uttar Pradesh

Où s’arrêtera la bêtise de certains religieux ?

Je reste prudent et mesuré : tous les religieux et croyants ne sont pas des sectaires débiles.

Mais force est de constater qu’aucune religion n’est épargnée de la présence d’obscurantistes crétinisés.

Après les bouddhistes qui s’attaquent aux musulmans rohingyas, voici que des hindouistes s’attaquent au Taj Mahal parce qu’il est l’œuvre d’un musulman.

<Le Monde> nous apprend à propos du Taj Mahal que :

Les extrémistes hindous au pouvoir dans l’Etat indien de l’Uttar Pradesh l’ont sorti de leur brochure touristique. Le monument du XVIIe siècle avait le malheur de porter la signature d’un empereur moghol, Shâh Jahân, qui, selon la légende, l’a érigé en mémoire de son épouse défunte, Mumtaz Mahal. Dans la nouvelle Inde des extrémistes hindous, les monuments construits par les musulmans ne font pas partie du patrimoine national.

En juin, « Yogi » Adityanath, le prêtre hindou à la tête de l’Uttar Pradesh, s’en est pris à tous ceux qui avaient l’outrecuidance d’offrir aux hauts dignitaires étrangers des « répliques du Taj Mahal » ou « de minarets » qui ne sont pas en « consonance avec la culture indienne ». Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, les chefs d’État étrangers évitent d’ailleurs soigneusement de visiter le Taj Mahal, encore plus de se faire prendre en photo devant.

Avneesh Awasthi, le directeur du tourisme pour l’Uttar Pradesh, a voulu désamorcer les critiques en expliquant que le guide intitulé « Tourisme en Uttar Pradesh : son haut potentiel » ne comprenait que les projets du gouvernement dans le secteur touristique. Une défense qui n’a pas vraiment convaincu, puisque le Taj Mahal est justement l’un de ces monuments indiens au « potentiel » touristique important et qu’il souffre d’un manque d’investissements.

Le mausolée de marbre blanc attire 6 millions de visiteurs chaque année et fait travailler des dizaines de milliers d’Indiens. Après avoir décimé l’industrie de la viande et du cuir – en fermant les abattoirs soupçonnés de tuer des vaches –, le gouvernement de « Yogi » Adityanath n’est sans doute pas à quelques dizaines de milliers d’emplois près.

Quels sont les lieux touristiques que le gouvernement de l’Uttar Pradesh veut promouvoir à la place du Taj Mahal ? Des fonds ont été débloqués pour appâter les touristes dans le village natal de Deendayal Upadhyay, idéologue des extrémistes hindous, grand défenseur du système des castes et ennemi du sécularisme. Pas sûr que le personnage, et encore moins la maison où il est né, attirent les foules du monde entier.

Les autorités veulent aussi promouvoir des circuits touristiques « spirituels », autour de l’épopée mythologique du Râmâyana par exemple, ou du bouddhisme – bref, autour de toutes les traditions spirituelles ayant traversé le nord de l’Inde, sauf l’islam.

Les touristes pourront, sinon, visiter un ravissant petit temple qui se trouve à une bonne dizaine d’heures de route du Taj Mahal. Laxmi Narayan Chaudhary, le ministre de la culture de l’Uttar Pradesh, en a fait la promotion lui-même : « Le Taj Mahal a été sorti du guide touristique à juste titre et devrait être remplacé par le Guru Gorakhnath Peeth. »

Malgré sa structure en marbre blanc, ou plutôt grisâtre, ce temple ne présente aucun intérêt historique ni architectural. Mais il est géré par « Yogi » Adityanath, nouveau dirigeant de l’Uttar Pradesh, et mériterait à ce titre de devenir la septième merveille du monde.

Le Taj Mahal aurait une chance de figurer dans la brochure touristique si seulement il était déclaré comme un temple hindou. Le plus sérieusement du monde, quelques extrémistes ont saisi le tribunal d’Agra afin que le Taj Mahal soit considéré comme tel. Ils prétendent que le mausolée a été construit à l’emplacement du temple Tejo Mahalaya, dédié au dieu Shiva. La justice leur a donné tort, fin septembre.

Pour les touristes intéressés par la découverte de l’extrémisme hindou plutôt que par l’architecture moghole, l’Uttar Pradesh est devenu la destination idéale. »

Les « cons ça osent tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît. »

Ça c’est du Michel Audiard.

Mais même à Audiard on ne peut plus faire confiance, nous apprenons qu’il a écrit des choses ignobles dans les journaux collaborationnismes.

Alors contemplons la beauté du Taj Mahal

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Jeudi 19 Octobre 2017

« Dès que [Jacqueline Du Pré] commença de jouer, je fus comme hypnotisé. »
Placido Domingo

Cette chronique quotidienne est partage.

Je ne peux partager que ce que je comprends, ce qui m’interpelle, qui résonne en moi, qui m’émeut.

Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père, mon frère ainé en ont fait leur beau métier.

Le destin, les circonstances, mes envies ne m’ont pas conduit vers ce même chemin.

Mais la musique occupe une place essentielle dans ma vie, parce qu’elle me fait du bien, parce qu’elle me nourrit, parce qu’elle m’apaise, parce qu’elle me donne de la joie.

Et dans ce monde de la musique, je me suis construit un panthéon.

Une des plus belles places dans ce panthéon est occupée par la violoncelliste Jacqueline Du Pré.

Elle était lumineuse, passionnée, elle dégageait une émotion immédiatement perceptible.

Elle eut un destin tragique.

Elle nous a quittés il y a exactement 30 ans, le 19 octobre 1987. Elle avait 42 ans.

Mais en réalité, elle nous avait quittés bien avant. En 1971, elle avait 26 ans, ses capacités de jeu avaient entamé un déclin irréversible car l’artiste avait commencé à perdre la sensibilité et la mobilité de ses doigts. Elle a dû, alors très vite, arrêter sa carrière. Elle était atteinte de sclérose en plaques, maladie qui, par ses complications, a causé son décès.

Ce fut une comète, une musicienne extraordinairement précoce, pleine d’intensité comme si dès le début elle savait qu’elle aurait si peu de temps pour s’exprimer.

Le grand violoniste Yehudi Menuhin a dit :

« Lorsque je la regarde, lorsque je l’écoute, je me sens tout petit devant tant d’esprit, honteux de la moindre indulgence vis-à-vis de moi-même et particulièrement fier d’avoir, aussi peu que ce soit, fait de la musique avec elle. »

Et j’ai mis en exergue ce propos du chanteur Placido Domingo :

« Dès qu’elle commença de jouer, je fus comme hypnotisé. J’ai été immédiatement convaincu par sa maîtrise, sa concentration, qui faisait chanter son violoncelle comme je n’en ai entendu chanter aucun autre. »

Vous trouverez sur Youtube <Cette interprétation magistrale du Concerto d’Elgar>.

Et puis, réalisé par Christopher Nuppen un reportage et un concert extraordinaire où 5 jeunes artistes dont Jacqueline Du Pré interprètent la plus belle version du <quintette la Truite de Schubert>

Et si vous voulez des propositions de CD, j’en propose deux :



Et je finirai par une rose, car le nom de Jacqueline Du Pré a été donné à une rose :


<Vous trouverez plus de précisions derrière ce lien>

<953>

Mercredi 18 octobre 2017

«Notre rôle est encore plus important quand le système légal ne remplit pas sa mission auprès des vulnérables confrontés aux puissants. Souvent les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte. » Ronan Farrow
Ronan Farrow

Ronan Farrow est l’auteur de l’enquête de dix mois, publiée dans le New Yorker, qui a provoqué la chute du producteur de Hollywood : Harvey Weinstein.

Ronan Farrow est le fils de Woody Allen et Mia Farrow, ce qui explique sans doute pour partie, selon la correspondante du Monde à San Francisco, Corine Lesnes, la facilité avec laquelle les victimes se sont confiées à lui.

Dans l’Express on peut lire :

« [Ronan Farrow] n’est pas le premier à raconter l’envers fétide du rêve hollywoodien. Mais pour lui, c’est une affaire de famille. Celle d’un père prestigieux, Woody Allen, dont il ne cesse de dénoncer, de tweets en tribunes ou en plateaux télé, les dérapages sexuels, notamment commis selon lui aux dépens de sa soeur, Dylan Farrow. Et s’il voue une rancune particulière au milieu du cinéma, s’il l’observe avec une telle défiance et y a plongé ses antennes, c’est parce que le tout Hollywood a pris fait et cause pour son père au moment de son divorce d’avec sa mère, la non moins prestigieuse Mia Farrow.

[Rappel des faits] : en 1997, après 12 ans de mariage, Mia Farrow et Woody Allen se séparent, dans une ambiance électrique. Le réalisateur a quitté la mère pour épouser sa fille, Soon-Yi Previn, que Mia Farrow a adopté avec son mari précédent, le chef d’orchestre André Previn.

L’affaire déchire les Etats-Unis, les proches du couple et la famille elle-même. Les uns prennent parti pour Woody Allen, les autres pour l’épouse trahie et abandonnée. Parmi les premiers, une grande majorité des comédiens, metteurs en scènes et producteurs américains. Parmi les seconds, Ronan Farrow, qui ne leur pardonnera jamais, pas plus qu’il ne pardonnera à son père.

[…] Depuis le divorce, Ronan Farrow est le plus acharné détracteur de son père officiel. En 2012, pour la fête des pères, il poste sur twitter ce commentaire corrosif: “Bonne fête des pères. Ou, comme on dit dans ma famille, bonne fête des beaux-frères” – ce qu’est devenu Woody Allen pour lui en se mariant à sa demi-soeur.

Comme lorsque, avocat fraîchement émoulu de la Yale Law School, il défendait à l’Unicef les droits des femmes et des enfants au Darfour, puis auprès du couple Obama au Pakistan et en Afghanistan, c’est donc sans doute à son histoire familiale que Ronan Farrow doit son irrépressible besoin de dénoncer les abus de pouvoir des obsédés sexuels d’Hollywood.

Bizarrement, sa dernière croisade, comme journaliste de luxe pour la chaîne de télévision MSNBC ou le très chic magazine New Yorker, lui a causé plus de désagréments que tous ses engagements précédents réunis. En s’attaquant au “mogul” Weinstein, il a dû résister à la pression de la très efficace machine à dissimuler les scandales lancée contre lui par l’industrie cinématographique américaine. Celle-là même qui, jusqu’à très récemment, en les achetant ou en les menaçant, avait privé de parole les nombreuse victimes du baron pervers d’Hollywood. »

Une autre affaire de famille que ce mariage entre Woody Allen et sa fille adoptive qui constitue selon la morale commune un inceste, oppose Rian Farrow et son père.

Une autre fille adoptive de Woody Allen et Mia Farrow, Dylan Farrow accuse son père d’avoir pratiqué des attouchements sexuels à son encontre, à l’âge de 7 ans et de l’avoir violé.

Nous lisons dans le Figaro :

« Ces mêmes agissements qui dénoncent Dylan Farrow, sa sœur et l’autre fille adoptive du réalisateur. Celle-ci avait décrit dans Vanity Fair des scènes d’attouchements causées par son père lorsqu’elle avait sept ans.

En 2014, Ron joue d’ailleurs les trouble-fête lors de la cérémonie des Golden Globes, qui récompense alors son père pour l’ensemble de carrière. Il publie ce tweet cinglant: «J’ai raté l’hommage à Woody Allen. Ont-ils évoqué la fois où une femme a publiquement confirmé qu’il l’avait agressée à 7 ans avant ou après avoir cité Annie Hall?». L’affaire atteint son paroxysme avec la publication, un mois plus tard, d’une lettre ouverte de Dylan Farrow qui affirme publiquement avoir bel et bien été violée par son père.

Dans une tribune publiée dans le Hollywood Reporter en mai 2015, juste avant l’ouverture du festival de Cannes assurée par le cinéaste avec L’Homme irrationnel, Ronan Farrow dénonce la «culture du silence et de l’impunité qui entoure son père». Il s’attaque aussi aux médias, incapables selon lui de révéler la vérité au grand jour.

«Ce soir, écrit-il alors, le Festival de Cannes s’ouvre avec un nouveau film de Woody Allen. Il sera entouré de stars, mais ils peuvent tous être tranquilles et faire confiance à la presse pour ne pas leur poser de questions dérangeantes. Ce n’est pas le moment, ce n’est pas l’endroit, ça ne se fait pas.»

Il faut rester prudent, Woody Allen a toujours nié les faits de viol contre Dylan Farrow et il n’a pas été prouvé qu’il a réellement pratiqué ces actes. Il ne peut être définitivement écarté que ces accusations aient été « fabriquées » par le clan Mia Farrow après la première transgression de Woody Allen qui a épousé la fille adoptive de sa compagne.

Dans le monde cependant, Ronan Farrow estime que la presse ne saurait s’exonérer de l’écoute des victimes au motif qu’il n’y a pas de plainte.

« Notre rôle est encore plus important quand le système légal ne remplit pas sa mission auprès des vulnérables confrontés aux puissants, écrit-il. Souvent les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte. Le rôle d’un reporter est celui de porteur d’eau pour elles. »

Selon lui, une nouvelle génération de médias, « libérés des années de journalisme d’accès », commence à enquêter sur les agressions sexuelles commises par les « moguls » d’Hollywood ou d’ailleurs. « Les choses changent », assure-t-il.

Il y a peu, un échange avec mon ami Albert rappelait aussi les actes de viol de Roman Polanski à l’égard de femmes mineures. Ils continuent à jouir de la plus grande estime des milieux culturels français.

Il est essentiel de sortir de cette culture de l’impunité et de la culture du viol qui est resté longtemps une réalité tue et niée.

<952>

Mardi 17 octobre 2017

« Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue »
Pablo Neruda

Pablo Neruda est un des plus grands écrivains de l’histoire d’Amérique du sud. Il obtient le Prix Nobel de littérature le 21 octobre 1971. Homme de gauche, il soutint Salvador Allende et mourut le 23 septembre 1973, 12 jours après le coup d’état qui renversa le gouvernement légitime du Chili. Certains soutiennent la thèse qu’il a été assassiné par une injection létale pendant un séjour à l’hôpital pour soigner son cancer de la prostate.

C’est une référence dans le camp de celles et ceux qui se réclament de gauche ou du camp du progrès pour prendre une terminologie actuelle.

Il a écrit un livre autobiographique « J’avoue que j’ai vécu » qui est paru en 1974, à titre posthume.

Dans ce livre, « l’homme moyen », Pablo Neruda raconte un fait :

« Mon bungalow était situé à l’écart de toute vie urbaine. Le jour où je le louai j’essayai de savoir où se trouvaient les lieux d’aisances, que je ne voyais nulle part. En effet, ils se cachaient loin de la douche, vers le fond de la maison.

Je les examinai avec curiosité. Une caisse de bois percée d’un trou en son milieu les constituait, et je revis l’édicule de mon enfance paysanne, au Chili. Mais là-bas les planches surmontaient un puits profond ou un ruisseau. Ici la fosse se réduisait à un simple seau de métal sous le trou rond.

Chaque jour, par je ne savais quel mystère, je retrouvais le seau miraculeusement propre. Or un matin où je m’étais levé plus tôt qu’à l’accoutumée, le spectacle qui s’offrit à moi me confondit.

Par le fond de la maison et pareille à une noire statue en mouvement, je vis entrer la femme la plus belle que j’eusse aperçue jusqu’alors à Ceylan, une Tamoul de la caste des parias. Un sari rouge et or de toile grossière l’enveloppait. De lourds anneaux entouraient ses pieds nus. Sur chacune de ses narines brillaient de petits points rouges, verroteries ordinaires sans doute mais qui prenait sur elle des allures de rubis.

D’un pas solennel elle se dirigea vers les cabinets, sans me regarder ni même avoir l’air de remarquer mon existence, conservant sa démarche de déesse, s’éloigna et disparut avec sur la tête le sordide réceptacle.

Elle était si belle qu’oubliant son humble fonction, je me mis à penser à elle. Comme s’il se fût agi d’une bête sauvage, d’un animal venu de la jungle, elle appartenait à un autre monde, à un monde à part. Je l’appelais sans résultat. Plus tard, il arriva de lui laisser sur son chemin un petit cadeau, une soierie ou un fruit. Elle passait indifférente. Sa sombre beauté avait transformé ce trajet misérable en cérémonie obligatoire pour reine insensible.

Un matin, décidé à tout, je l’attrapais avec force par le poignet et la regardait droit dans les yeux. Je ne disposais d’aucune langue pour lui parler. Elle se laissa entraîner sans un sourire et fut bientôt nue sur mon lit. Sa taille mince, ces hanches pleines, les coupes débordantes de ses seins l’assimilaient aux sculptures millénaires du sud de l’Inde. Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue. Elle resta tout le temps les yeux ouverts, impassible. Elle avait raison de me mépriser. L’expérience ne se répéta pas. »
Pages 151 et 152 dans la collection Folio

Que raconte cet épisode ?

C’est un viol, c’est un crime !

Les deux dernières phrases semblent indiquer que Pablo Neruda n’est pas très fier de ce qu’il a fait.
Mais ce qu’il exprime, dans cette modeste contrition, pourrait se comprendre si voyant un gâteau particulièrement appétissant, il l’avait volé et mangé sans le payer.

Nous ne sommes pas ici, à ce niveau de « chapardage ».
Il raconte tranquillement son crime, il a violé cette pauvre femme qui n’a pas réagi devant cet homme blanc comme une esclave devant son maître.

Et Pablo Neruda ne se rend absolument pas compte de l’immensité de sa faute.

C’est cela la « culture du viol », il n’y a pas de juste appréciation de l’acte, un vague remord d’être allé un peu trop loin.

La rencontre d’un homme et d’une statue… d’un objet.

C’est cela aussi le viol, réduire dans son comportement la femme à un objet de plaisir.

Après avoir subi ce crime, qu’est devenue cette femme ?

Comment vit-on dans sa culture quand on est une femme et qu’on a été violée ?

<951>

Lundi 16 octobre 2017

« La zone grise du consentement et la culture du viol»
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII

Tous nos journaux sont pleins du scandale du producteur Harvey Weinstein qui était tout puissant à Hollywood et qui en profitait pour contraindre des actrices à des relations sexuelles dont elles ne voulaient pas.

Ce scandale éclabousse beaucoup de monde, Barack Obama qui a accepté le soutien financier du prédateur, la France qui lui a décerné la légion d’honneur.

Ces contraintes, ces actes non consentis sont des viols, le viol est un crime.

Mais certains introduisent la notion de « zone grise du consentement ». Je vous rappelle que concernant le viol de la jeune enfant de 11 ans que j’ai évoqué le mercredi 27 septembre, les policiers et le procureur n’ont pas voulu utiliser ce terme approprié parce que le refus de l’enfant n’était pas explicite, c’est au cœur de cette « zone grise ». Le producteur prédateur peut aussi tenter cette défense devant des femmes qui attendaient de lui d’obtenir le rôle qui les rendrait célèbre et n’osaient pas repousser cet homme si puissant.

Des journaux libèrent la parole pour mettre des mots derrière cette réalité que le male de l’espèce homo sapiens a un problème de comportement à l’égard de son alter ego féminin.

Le site Rue 89 publie un article très instructif : « J’ai fini par céder » > :

L’article décrit d’abord un évènement qui ne peut avoir d’autre qualification que « viol »

Mais, étant donné des siècles de culture et de culpabilisation de la femme, souvent les femmes ont du mal à définir le fait par les termes appropriés :

«  Pour elle, ce ne sont pas des viols, “plutôt des énormes malentendus” avec “des gens qui n’étaient pas violents, plutôt très axés sur eux et qui ne se posaient pas la question de mon consentement ».

Un problème de consentement ! Oui c’est tout à fait cela, mais en agissant ainsi l’agresseur renvoie la victime à un statut d’objet et cela est un crime !

Et la femme qui a été victime du viol cité ci-avant, racontait cette histoire en rigolant et avec une bonne dose de culpabilité :

« Ils devaient se dire ‘tant qu’elle est là dans mon lit c’est open bar’, et je n’ai pas bataillé beaucoup pour le convaincre de l’inverse. Parce que je me disais ‘ça va être chiant, il va gueuler’, etc. »

Les journalistes ont alors lancé un appel à témoignage et exploré le concept de « la zone grise du consentement ». Les journalistes expliquent très justement :

« Disons-le tout de suite. Ce terme nous pose un problème, car il sous-entend que le consentement est quelque chose de compliqué, alors que quand ce n’est pas oui, c’est non.  On a utilisé ce terme parce que si on avait sollicité des témoignages de viols, tous ces cas considérés comme limites, flous, auraient été passés sous silence. Plus de 200 histoires nous sont parvenues, écrites dans une écrasante majorité par des femmes, dans des relations hétéros. »

Et beaucoup des témoignages recueillis ont du mal à mettre le mot « viol » sur les faits racontés, elles inventent même un concept paradoxal : « viol consenti ».

L’article explique très justement :

« On ne le dit peut-être pas assez : un viol n’est pas qu’un acte sexuel imposé face auquel la victime a crié “non”. Il peut y avoir viol sans manifestation explicite d’un refus, parce que la victime est paralysée par ce qui lui arrive, inconsciente ou pas en état de donner un consentement éclairé (droguée, alcoolisée…). Ce qui compte pour la justice est le consentement au moment des faits (et pas deux heures avant).

Un viol n’est pas non plus ce qu’en dit l’imaginaire collectif (une ruelle sombre ou un parking souterrain, par un inconnu menaçant d’un couteau). 83% des femmes victimes de viol ou de tentative de viol connaissent leur agresseur. »

La zone grise du consentement est avant tout un leurre, une supercherie utilisée pour obtenir une sorte de « circonstance atténuante ».

La zone grise, en creux, nous amène à la méconnaissance qui entoure la définition du viol et de sa représentation.
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII qui travaille sur le consentement sexuel, parle d’une “zone de refuge pour les violeurs, qui s’abritent derrière une ambiguïté”.

Pour [lui], la véritable “zone grise”, ce flou du consentement concerne des “cas très rares”, “mais elle est considérablement étendue par ceux qui veulent empêcher les femmes de disposer de leur corps, et on la laisse exister en rendant par exemple très difficile le fait de porter plainte pour viol”. Car la “zone grise” profite à la “culture du viol”, et la nourrit.

“J’en ai tellement marre des zones grises”, lâche la réalisatrice féministe Lena Dunham, dans un génial épisode de la saison 6 de “Girls”, illustrant la culture du viol.

Nous sommes dans une mystification qui s’inscrit dans ce que ce chercheur appelle : « la culture du viol »

Pour illustrer la culture du viol, Jean-Raphaël Bourge parle des manuels d’éducation à la sexualité du XIXe siècle, où on conseillait aux femmes “de résister pour mieux céder”. Citons aussi le porno ou les scènes de film et de série où “la fille finit par céder sous les baisers de son agresseur… hum… séducteur”.

L’article est intéressant, détaillé et s’appuie sur de nombreux témoignages pour vider de sa substance cette zone grise du consentement pour en arriver à une conclusion qui me semble simple et pertinente :

« Qui ne dit mot ne consent pas !
Au moindre doute sur les envies de l’autre, ce n’est pas compliqué : il faut poser la question. »

Les journalistes qui ont écrit <cet article> sont Emilie Brouze et Alice Maruani

Et puis, il faut toujours revenir à la définition d’un homme donné par le père d’Albert Camus : «Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »

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