Vendredi 16 juin 2017

«Il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu.»
Éloi Laurent

La troisième et dernière partie du livre d’Éloi Laurent que nous examinons cette semaine concerne la mythologie écolo-sceptique. Il exprime d’abord la constatation du recul de l’écologie politique en Europe et en France. Il ne pense pas que ce recul s’explique parce que tout le monde serait devenu écologiste. Il inscrit plutôt ce repli dans une régression sous l’effet de la crise sociale qui n’en finit plus et d’une idéologie du dénigrement dans laquelle les mythologies économiques jouent un grand rôle.

Il parle d’une échelle graduée de mauvaise foi.

« On commence généralement par prétendre que les crises écologiques sont exagérées à des fins idéologiques, puis on affirme que, quand bien même leur gravité seraient avérées, elles trouveront leur résolution naturelle au moyen des marchés et par la grâce de la croissance, avant de soutenir que, si tel n’était pas le cas, le coût économique et politique de leur atténuation serait de toute façon prohibitif.

Cette stratégie rhétorique n’est pas sans rappeler la parabole du chaudron percé imaginé par Freud dans « le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » : soit un individu qui a emprunté à un autre un chaudron et le restitue percé d’un grand trou qui rend l’objet hors d’usage. L’emprunteur se défend par ces arguments successifs :

  1. « je n’ai jamais emprunté de chaudron » (les crises écologiques n’existent pas) ;
  2. « j’ai rendu le chaudron intact » (elles existent, mais la croissance et le marché nous en préserveront) ;
  3. « le chaudron était déjà percé lorsque je l’ai emprunté » (les deux mensonges précédents sont dévoilés, mais dissimulés derrière un troisième : les crises écologiques sont bien réelles, le marché et la croissance ne suffiront pas à les atténuer, mais aller au-delà affaiblirait notre économie, voire notre démocratie).

[…]

Résultat : nous perdons un temps précieux à remonter le temps des arguments dépassés, sans jamais pouvoir poser les bonnes questions pour l’avenir, comme celle des causes et des conséquences sociales des crises écologiques. C’est précisément le but de la mythologie écolo sceptique : retarder par tous les moyens l’heure des choix, qui a pourtant bel et bien sonné.

Il démonte dans cette troisième partie deux autre croyances : « les marchés la croissance sont les véritables solutions à l’urgence écologique » et « l’écologie est l’ennemi de l’innovation et de l’emploi » .

Je finirai ce cinquième mot du jour consacré à l’ouvrage d’Éloi Laurent par son épilogue :

« Dans ses mythologies, Roland Barthes montre comment certains objets de consommation se nourrissent des grands mythes humains qui peuvent ainsi être instrumentalisés à des fins marchandes. Le pouvoir économique, depuis l’avènement de la société industrielle et aujourd’hui encore, utilise la mythologie comme sésame pour pénétrer et coloniser les imaginaires. Mais, nouveauté fondamentale, il peuple désormais les esprits de ses propres mythes.

Barthes s’attache aussi, en conclusion de son ouvrage, a dévoilé les fonctions du mythe, et il parvient à une conclusion particulièrement éclairante : « le mythe est une parole dépolitisée ». Les mythes forment ensemble de « fausses évidences » qui se présentent comme naturelles et organisent un monde « sans contradiction parce que sans profondeur ». La fonction du mythe est autant de mettre en lumière que de passer sous silence.

C’est précisément ce que l’on voit à l’aune des 15 illustrations proposées dans ce livre : les mythes économiques contemporains, qui ont colonisé les esprits, ont pour fonction principale de détourner l’attention des citoyens des véritables enjeux dont ils devraient se soucier et débattre. Nos mythologies économiques sont des mystifications politiques. On ne pourra donc pas les dissiper seulement en les démentant, ce que cet ouvrage a tenté de faire. De même qu’une théorie n’est pas démentie par des faits, mais par une autre théorie, il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu. […].

C’est pourquoi il est indispensable de s’atteler à la construction de nouveaux récits communs positifs, dans l’esprit de la mythologie grecque, où la raison et le rêve, sur un pied d’égalité, se nourrissent mutuellement pour donner sens à l’existence humaine. Vaste et beau programme. »

Quand on parle de politique, on veut dire qu’il est possible par des actes de gouvernement d’avoir une influence sur le cours des choses.

Mais pour qu’une pensée politique nouvelle puisse émerger, il faut créer de nouveaux récits, de nouveaux mythes.

Pour que tout cela puisse fonctionner, il faut aussi parvenir à investir (pacifiquement bien évidemment) un territoire sur lequel la Politique est en capacité de maîtriser les pulsions cupides de l’homo economicus et de parler d’égal à égal avec les forces économiques. Le territoire de la France est insuffisant à cette tâche.

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Jeudi 15 juin 2017

« Le grand remplacement »
Mythologie inventée par Renaud Camus

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, Renaud Camus, né en 1946 est un écrivain et un militant politique français. Il a été un moment, dans les années 1970-1980, membre du Parti socialiste. Son cheminement politique l’a ensuite amené à l’extrême droite. Il crée en 2002 le parti de l’Innocence et publie en 2010 un livre dont le titre est « L’abécédaire de l’in-nocence » et dans lequel il introduit le concept du « grand remplacement ».

Dans ce concept, il théorise l’idée qu’à la faveur de l’immigration et des différentiels de fécondité, « des immigrés ou des Français administratifs issus de l’immigration », ou des peuples venus de l’Afrique et notamment du Maghreb, tendent à devenir majoritaires sur des portions en expansion constante du territoire français métropolitain, et que ce processus doit conduire à une substitution de population au terme de laquelle la France cessera d’être une nation essentiellement européenne. Il prétend même que ce phénomène doit s’effectuer en quelques décennies.

Qu’un penseur illuminé défende ce type de fantasme ne présente pas d’intérêt, mais cette pensée irrigue de plus en plus la pensée d’extrême droite et aussi toute une partie des républicains, celle qui est proche de la pensée identitaire.

C’est une des mythologies social-xénophobe qu’Éloi Laurent tente de démonter dans son livre « Nos mythologies économiques ». Il appelle ainsi l’évolution du discours xénophobe des extrêmes droites parce qu’elles ont ajouté à leurs fantasmes d’identité nationale le fait que l’immigration menacerait l’attachement des Européens à leur modèle social.

Il définit cette mythologie de la manière suivante : « les flux migratoires actuels sont incontrôlables et conduiront sous peu au « grand remplacement » de la population française. »

Il écrit :

« Le mythe peut être le mieux ancré dans le discours social-xénophobe veut que la mondialisation actuelle se distingue de toutes les périodes d’intégration économique antérieures par des flux migratoires considérables et incontrôlables. Disons-le d’emblée sans détour, c’est le contraire qui est vrai : alors que la période dite de « première mondialisation » (1870–1914) a connu des mouvements de populations massifs, notamment de l’Europe vers les États-Unis, les migrants ne représentent dans notre mondialisation qu’environ 3 % de la population mondiale (230 millions de migrants pour 7 milliards d’habitants sur la terre). Cela signifie que 97 % des habitants de la planète demeurent où ils sont nés (cette proportion étant stable depuis 25 ans). Les humains sont donc aujourd’hui infiniment plus sédentaires que nomades, ce qui ne fut pas toujours vrai. En revanche, bien entendu, la population de la planète a considérablement augmenté au cours du XXe siècle (d’un facteur quatre), d’où une progression des migrations en volume. Mais elles ont bien diminué en proportion.

Pour ce qui est de la France, par comparaison avec la période de forte émigration des années 1960, les flux ont régressé non seulement en proportion mais également en volume. Contrairement à la vulgate véhiculée par l’extrême droite et qui a contaminé une bonne partie des esprits conservateurs, et parfois même progressistes, les flux migratoires sont à un point historiquement bas : de l’ordre de 280 000 personnes par an, dont 80 000 d’origine européenne et 60 000 étudiants (dont un tiers environ ne restera pas en France). Ramenée à la population française, la proportion terrifiante de ces envahisseurs sur le sol national atteint 0,4 %.

Je vous épargne toute une autre série de chiffres que l’économiste donne à l’appui de sa démonstration à la page 59 de son ouvrage pour en arriver à sa conclusion qui ne nie pas les difficultés, mais pointe le véritable problème de la France dans ce domaine :

« Comme souvent, le discours mythologique est un écran de fumée toxique : la vraie question nationale n’est pas l’insoutenabilité de l’immigration actuelle, mais la défaillance de l’intégration sociale des immigrés d’hier et de leurs enfants. Quelle chance la République a-t-elle données et donne-t-elle aux quelques 12 millions de Français immigrés ou nés en France d’un parent immigré ? Comment la France cultive-t-elle la richesse d’une population devenu tranquillement diverse au cours du XXe siècle ? »

Cette question a été étudiée (d’ailleurs Éloi Laurent renvoie vers cet auteur) par François Héran qui a publié notamment : « Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française » (Seuil, « La république des idées », 2007).

Post scriptum :<Après la publication de ce mot : Alain Finkelkraut a invité, le 24 juin dans son émission “Répliques”, Renaud Camus et l’a confronté à Hervé le Bras>. Le sujet de cette émission était bien le Grand Remplacement.

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Mercredi 14 juin 2017

«La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité»
Arthur Okun

Arthur Okun (1928-1980) était un économiste américain qui fut conseiller économique du président Kennedy. Il est surtout connu pour la loi qui porte son nom, la loi d’Okun, qui prétend qu’il existe une relation linéaire entre les taux de variation du chômage et du PIB. Le résumé simple qu’en donne Wikipedia est le suivant : « En dessous d’un certain seuil de croissance, le chômage augmente ; au-dessus de ce seuil, il diminue »

Éloi Laurent le cite pour une autre raison : le livre qu’il a écrit : < Egalité versus efficacité. Comment trouver l’équilibre?> dont il conteste la thèse centrale à savoir que la poursuite de l’efficacité ne peut que se réaliser par un creusement des inégalités.

Mais avant d’aborder ce sujet qu’il développe dans sa partie consacrée à la mythologie néolibérale : « Il faut produire des richesses avant de les redistribuer », Éloi Laurent pose une question :

« Ce modèle économique pose une question encore plus fondamentale : la privatisation des biens publics est-elle légitime quand elle s’accompagne de sécession fiscale ? »

Et puis il argumente à partir de la page 30 contre la thèse d’Okun :

« Une vision faussement naïve de notre système économique s’est répandue qui veut que la société civile et les entrepreneurs créent une richesse que l’État redistribue selon son bon vouloir aux « assistés » sociaux.

Ce discours à la fois élitiste et condescendant fait commodément abstraction des conditions sociales de la création de richesse. Les entrepreneurs ne viennent pas à la vie dans un monde économique qu’ils inventent en même temps que leurs produits et services. Ils bénéficient d’infrastructures de toute sorte financées par la collectivité sans lesquelles l’innovation resterait à jamais au stade de l’imagination : systèmes de formation, routes, ponts, institutions juridiques, mécanismes de financement, confiance sociale, etc., forment ce que l’on pourrait appeler l’écosystème de la création de valeur économique.

Comme ces biens communs ont un coût, le système de financement fiscal et social constitue la condition et le soubassement de toute activité entrepreneuriale. Ici aussi, la question est de savoir si les entreprises et leurs dirigeants paient leur juste part d’un effort collectif dont ils tirent à l’évidence un avantage considérable, ou s’ils se contentent de privatiser le patrimoine commun à leur profit sans contribuer à son entretien ni à son renouvellement. […]

Ne pas payer ses impôts et ne pas rémunérer le travail sont deux « modèles économiques» particulièrement prisés du capitalisme de passager clandestin.

Au-delà même de ces conditions sociales de la création de valeur, il faut s’interroger sur la primauté donnée, dans l’économie mythologique, à la production sur la répartition.

Et si la crise contemporaine des inégalités finissait par anéantir le dynamisme économique ?

Et si en d’autres termes, il fallait complètement renverser la logique de l’argumentation mythologique pour montrer que c’est la répartition des richesses qui conditionne les possibilités du développement économique ?

Pour des générations d’économistes, le « grand dilemme » entre efficacité et égalité postulé par Arthur Okun demeure la référence intellectuelle consciente ou inconsciente.

Le schéma de pensée qui émergea de son ouvrage de 1975 veut que les inégalités soient un mal nécessaire pour atteindre l’efficacité économique : « La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité. »

Comme c’est parfois le cas la traduction de cet ouvrage a conduit à une perte de sens : le mot trade-off (dilemme, arbitrage) est devenue dans l’édition française « équilibre ». Or le point-clé de l’analyse est la séparation et la hiérarchisation des enjeux d’efficacité et d’égalité. Okun est en cela fidèle à l’analyse néoclassique la plus conventionnelle […] : une politique économique doit d’abord viser l’efficacité économique, dont découlera naturellement, dans le cas idéal, la redistribution. […]

La recherche économique de ce début de XXIe siècle, par de très nombreux travaux empiriques, remet complètement en cause cette idéologie de l’efficacité naturellement juste : les inégalités sont non seulement injustes, mais elles sont tout autant inefficaces. Elles provoquent des crises financières. Elles substituent la rente à l’innovation. Elles empêchent l’essor de la santé et de l’éducation. Elles figent les positions sociales. Elles paralysent la démocratie. Elle aggravent les dégradations environnementales et nourrissent les crises écologiques.

Et Éloi Laurent illustre son propos par plusieurs exemples : Okun a proposé une image du « seau percé. Chaque politique de redistribution, comme l’impôt sur les revenus en France, serait comme un trou percé qui laisserait s’échapper un peu de dynamisme économique : au final, selon Okun, le seau parvient vide à la population, l’équité ayant tué l’efficacité. Mais Éloi Laurent inverse cette démonstration :

« Les inégalités sont autant de trous percés dans le seau de l’efficacité ; dès lors il ne sert à rien de remplir celui-ci, car son contenu ne parvient plus jusqu’aux citoyens. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, aux États-Unis, 2 % de croissance du PIB se traduisent dans les faits par une décroissance du revenu de 90 % de la population : Entre l’accroissement du PIB et les revenus effectivement distribués à la très grande majorité des américains s’interposent les « fuites » du pouvoir de la finance, de l’inégalité salaire-profit et de l’accaparement des richesses par les individus parvenus, à l’aide de moyens largement publics, au sommet de l’échelle des revenus

Dans le cas français, on sait désormais que c’est l’ampleur des inégalités scolaires qui expliquent la faible performance d’ensemble des élèves aux tests internationaux. Les inégalités plombent l’efficacité de l’école française. »

Cette problématique de l’inefficacité de l’inégalité avait déjà été évoquée lors du mot du jour du Jeudi 16 mai 2013 : « Les perspectives de croissance économique stable et durable seraient bien meilleures, si nous ne vivions pas dans un monde où 0, 5 % des plus riches accaparent 35 % des avoirs de la planète » et cette affirmation était de Christine Lagarde Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI)

<Le caractère improductif des inégalités sur la croissance a fait l’objet de plusieurs études, voici une fiche de l’OCDE>

<J’ai trouvé aussi cet ouvrage publié à la Documentation Française : “Inégalités : quels effets sur la croissance ?”>

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Mardi 13 juin 2017

« Qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ? »
Éloi Laurent « Nos mythologies économiques » page 18

Cette question qu’on ne met que rarement au-devant de la scène : Qui assume les risques ? me semble fondamentale.

Daniel Cohen avait mis en lumière cette question dans un entretien à Challenges en 2006 : <La rémunération et la protection du risque sont aberrantes>, en soulignant la supercherie actuelle : « Pendant longtemps, être salarié c’était justement profiter de la sécurité de la condition salariale, le risque étant laissé aux entrepreneurs qui avait en contrepartie la possibilité de s’enrichir. Le capitalisme contemporain a inversé cette équation. C’est désormais le salarié qui est exposé aux risques industriels et c’est l’entrepreneur, l’actionnaire, qui en est protégé. C’est un des éléments de la rupture du contrat implicite qui liait auparavant les salariés aux entreprises. »

Éloi Laurent place cette question dans une perspective plus large. Dans l’ouvrage « Nos mythologies économiques », cette problématique est explicitée dans la partie appelée « la mythologie néolibérale » et le point particulier qui a pour titre : « une économie de marché dynamique repose sur une concurrence libre et non faussée ».

« Le néolibéralisme connaît deux modalités fondamentales : il met alternativement en scène une économie asphyxiée par les régulations publiques et un État submergé par des marchés tout-puissants. Ces deux visions, en apparence contradictoires, sont aussi mythologiques l’une que l’autre : le marché n’existe que parce qu’il est régulé, et l’État en tire précisément sa puissance. […]

La vraie question, occultée par l’écran de fumée mythologique, est ailleurs : qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ? »

« […] L’union européenne est aujourd’hui simultanément la région du monde où le commerce est le plus régulé et celle où il est le plus développé (le marché unique européen représente à lui seul un tiers de ce que l’on nomme la « mondialisation »). Plus la régulation publique est forte, plus les marchés sont dynamiques. On voit bien ce paradoxe à l’œuvre dans les négociations actuelles, complexes et opaques, sur les traités commerciaux transatlantiques et transpacifiques : pour libéraliser, il faut réguler.

[…] La régulation publique du marché prend deux formes : l’intervention et la non-intervention, cette dernière étant souvent le pouvoir le plus puissant, à défaut d’être le plus visible. La fiscalité est certes un instrument majeur d’intervention publique, mais l’absence de fiscalité oriente tout autant, sinon davantage des comportements individuels. En France, le travail est lourdement taxé (pour financer les services publics et sociaux souhaités par les Français), ce qui peut décourager certaines décisions économiques, mais cette ingérence n’est rien face à l’encouragement des pollutions de toutes sortes qui résultent de la très faible fiscalité pesant sur l’usage des ressources naturelles. Si ces pollutions n’étaient pas subventionnées comme elles le sont, les consommateurs devraient en acquitter le véritable prix, et notamment payer le coût réel de l’extraction des ressources naturelles (dont le dommage environnemental se fait sentir en France et encore plus à l’étranger) ainsi que leur usage souvent dommageable pour la santé. Ce coût prohibitif, s’il n’était pas amorti par la puissance publique, aurait tôt fait de stimuler puissamment des comportements écologiquement responsables et la recherche d’alternatives économiques. La puissance publique peut certes encourager l’innovation, mais beaucoup plus sûrement encore la décourager. »

Cela nous amène à un point essentiel : les promoteurs du prétendu « libre » marché ne réclament absolument pas la fin de l’intervention publique dans l’économie, ils demandent simplement que celle-ci soit détournée en leur faveur ! En France, le MEDEF est parvenu ces dernières années à convaincre le gouvernement à la fois du caractère insupportable de l’intervention publique et de la nécessité absolue d’un transfert historique de cotisations sociales de 40 milliards d’euros des entreprises vers les ménages. Aux États-Unis, les milliardaires les moins scrupuleux (comme les frères Koch, qui possèdent aujourd’hui un véritable empire industriel) se sont faits un devoir de propager par tous les moyens le mythe de la libre concurrence tout en bénéficiant pour leur plus grand profit de centaines de millions de dollars d’exonérations d’impôts qui ne sont rien d’autre que des subventions publiques payées par les contribuables aux propriétaires du capital. Le « modèle économique » de ces « entrepreneurs » consiste à se spécialiser dans la captation des subventions publiques. […]»

Ces développements me font songer à cette réflexion de Henry Morgenthau, le secrétaire au Trésor américain de Franklin Roosevelt : «  «Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée, trop de citoyens veulent la civilisation au rabais» et que j’avais évoquée lors du mot du jour du Jeudi 21 mars 2013.

Éloi Laurent conteste le fait que l’État soit impuissant devant les marchés financiers. Il parle de fable. Il insiste sur le rôle central qui a été joué par la puissance publique dans la libéralisation financière des dernières décennies et le gain considérable qu’elle en retire au quotidien.

Il écrit :

« Le cas français est particulièrement éloquent. C’est la puissance publique en l’occurrence d’obédience socialiste, qui a organisé dans les années 1980 la libéralisation des marchés financiers, sur le territoire français et, par contrecoup, sur le continent européen, dans le but de financer sa dette publique sur les marchés ainsi rendus plus profonds. La mystification est complète lorsque, 30 ans plus tard, l’État français, à nouveau d’obédience socialiste, entend réduire sa dette publique et sabrer dans les dépenses sociales au nom d’impératifs qui lui seraient imposés par les marchés financiers !

S’il y a impuissance publique, elle est volontaire et réversible à tout moment. […]

De la même manière, la « crise » n’est en rien une illustration de l’impuissance de l’État, mais au contraire une saisissante révélation de sa toute-puissance : comme on l’a vu à l’automne 2008, notre système économique, sans la signature de l’État et sa garantie publique, se serait effondré en quelques semaines. La véritable question, ici comme ailleurs, est celle de la répartition des coûts : qui paye pour cette garantie apportée par l’État aux acteurs de l’économie, en priorité financiers, en période de récession ? Et pourquoi cette garantie ne bénéficie-t-elle pas ou plus aux autres acteurs du système économique, à commencer par les salariés ?

Derrière la question des coûts se cache donc celle des risques, et il semble bien que nous soyons passés en la matière, tandis que la mythologie économique faisait écran, d’une assurance sociale apportée aux travailleurs par la puissance publique (emploi, salaires, conditions de travail), de l’après-guerre jusqu’aux années 1980, à une garantie financière apportée aux banques et aux investisseurs depuis lors. La puissance économique de l’État est parfaitement intacte, elle a simplement été mise au service d’une autre cause que le progrès social. »

La puissance publique a été mise au service d’une autre cause que le progrès social !

C’est un peu brutal.

Dire que la puissance publique a accepté de reculer est exacte, mais il ne reste pas moins que la Politique a pour lieu d’expression des frontières nationales, alors que l’économie transcende ces frontières. Il apparait très compliqué de faire la révolution dans un seul pays, c’est-à-dire faire une politique qui remettrait en cause les positions acquises par les puissances financières et économiques au profit du plus grand nombre.

Il n’en reste pas moins que les questions initiales : Qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ?, sont fondamentales. Elles constituent une prise de conscience.

La solution doit être politique, mais elle est transnationale et doit se situer sur un territoire d’une dimension telle que la Politique puisse réellement discuter à armes égales avec l’Economie.

Dans l’idéal il faudrait que ce territoire soit le Monde, mais l’Union européenne constituerait une étape crédible.

Mais disposer, à ce niveau, d’un vrai consensus politique semble encore totalement hors de portée.

Il n’en reste pas moins qu’avant d’espérer arriver à ce stade, il faut être en capacité de déconstruire les mythologies qui sont à l’œuvre et les remplacer par d’autres plus orientées vers l’Humanisme et la préservation de notre mère nourricière : notre planète.

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Lundi 12 juin 2017

« Nos mythologies économiques »
Éloi Laurent

<C’est en écoutant l’émission la Grande Table, il y a déjà plusieurs mois que j’ai eu connaissance du livre d’Eloi Laurent : nos mythologies économiques>

J’ai trouvé cet économiste tellement intéressant que, cette fois, j’ai acheté le livre dont il assurait la promotion lors de cette émission de France Culture du 16 novembre 2016 qui avait pour titre pertinent : « Comment sortir l’économie de la croyance ? ». Car c’est bien le centre de la question, l’économie se donne les apparences d’une science dure, d’une science du chiffre, de la rationalité, mais elle est avant toute chose une science sociale.

L’inoubliable, Bernard Maris disait : [l’économie] « C’est du jargon, c’est de la rhétorique, ce n’est pas de la science, c’est un peu de statistiques, c’est beaucoup de psychologie et pas mal de bavardages».
J’avais relaté ce propos dans le mot du jour du mardi 13 janvier 2015, quelques jours après son assassinat lors du carnage de Charlie Hebdo.

<En mars 2016, Eloi Laurent avait été l’invité de Patrick Cohen à France Inter pour le même ouvrage>

Éloi Laurent, né en 1974 enseigne à Sciences Po. Il est aussi professeur invité à l’université Stanford ainsi qu’à Harvard. Il participe aussi à l’OFCE : Observatoire français des conjonctures économiques. Il possède donc des références sérieuses et sa parole peut être prise en considération même si elle peut et même doit être, bien sûr, contestée.

Dans le prologue de son livre « Nos mythologies économiques » il écrit notamment :

« L’économie est devenue la grammaire de la politique. […] Le politique parle de nos jours sous réserve d’une validation économique, et on le rappelle promptement à l’ordre dès que son verbe prétend s’affranchir de la tutelle du chiffre. Or cette grammaire économique n’est ni une science ni un art, mais bien plutôt une mythologie, une croyance commune en un ensemble de représentations collectives fondatrices et régulatrices jugées dignes de foi, aussi puissante que contestable.

Quelle est donc l’utilité de la mythologie économique ?

Qu’espère le politique en se soumettant à son empire?

Il croit vraisemblablement en tirer l’autorité qui, de plus en plus, lui file entre les droits. […]

Ce livre ne prétend pas rétablir la raison économique contre l’économie mythologique : il n’y a pas de vérité en économie. Il n’y a que des hypothèses en amont et des choix en aval, et, entre les deux, dans le meilleur des cas, une méthode et des instruments robustes. En revanche, il veut redonner aux lecteurs le goût du questionnement économique, dont la disparition progressive est lourde de menaces pour notre débat démocratique. »

Prologue (page 9 à 14 du livre)

Ce petit livre d’une centaine de pages, publié en février 2016, par l’éditeur : « les liens qui libèrent » est divisée en trois parties :

  • 1 – mythologie néolibérale
  • 2 – la mythologie sociale xénophobe
  • 3 – la mythologie écolo sceptique

Chacune de ces parties est encore divisée en sous chapitres. Ainsi, la « mythologie néolibérale » comprend cinq points :

  • une économie de marché dynamique repose sur une concurrence libre et non faussée
  • Il faut produire des richesses avant de les redistribuer
  • l’État doit être géré comme un ménage, l’État doit être géré comme une entreprise
  • les régimes sociaux sont financièrement insoutenables
  • les réformes structurelles visant à augmenter la compétitivité sont la clé de notre prospérité

Je développerai certains de ces points dans les prochains mots du jour.

Comme chaque fois, ces réflexions ne constituent pas la vérité, mais une vérité, un éclairage intéressant pour comprendre le monde et remettre en question le discours dominant qui prétend constituer une évidence, un consensus pour tous les gens raisonnables. Ce qu’Alain Minc a appelé « le cercle de la raison ». Ce qui aurait pour signification que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec ce consensus sont forcément déraisonnables. Je ne conteste pas que certains discours, certains programmes politiques sont certainement déraisonnables. Mais tout ce qui remet en cause les pseudo évidences qui sont répétées à satiété par des économistes et des politiques qui prétendent à un discours de raison et d’intelligence, ne sont pas systématiquement en dehors du raisonnable et de la compréhension des forces d’intérêts qui sont à l’œuvre dans le monde aujourd’hui.

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Vendredi 9 juin 2017

« Retour sur les mots du jour du 801ème au 900ème (3 et fin)»
Rétrospective

Souvent le mot du mot du jour aborde des sujets économiques. Quelquefois des sujets de fond comme celui évoqué par Louis Chauvel dans « La spirale du déclassement » ( jeudi 22 décembre 2016). Je reconnais que parfois ces mots et aussi les articles auxquels ils renvoient sont un peu longs. Après l’envoi de cet article mon ami Jean-François de Dijon m’a fait un reproche dans ce sens : « C’est pas gentil de m’envoyer des articles passionnants qui me détourne pendant 45 mn de mon travail…. ».

Souvent les réflexions que je mets en avant sont une contestation de la vision orthodoxe des économistes ou de la pensée dominante. Ainsi la contestation de la théorie du ruissellement qui prétend que pour que les gens modestes se portent mieux il faut permettre aux riches d’être de plus en plus riches. Il faut être honnête, il y eut un temps où cela n’était pas faux, mais la globalisation, l’automatisation et la financiarisation de l’économie ont rendu cette croyance vaine : « Trickle down Economic » ( mercredi 25 janvier 2017)

Beaucoup nous vante l’économie allemande mais Catherine Chatignoux nous explique qu’« Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire, contre un sur dix en France » ( mercredi 1 février 2017).

Les orthodoxes continuent à « croire » à une vision Shumpeterienne de l’économie et à son concept de « destruction créatrice » mais de plus en plus d’économistes comme Christian Chavagneux ont des doutes : « Innovation Automatisation et emplois, et si cette fois c’était différent ? » ( jeudi 6 avril 2017)

Ces contestataires peuvent mettre en avant certains nouveaux emplois créés par le numérique et qui sont des « bullshit jobs » qu’on traduit en bon français par « boulots de merde » :«clickworkers ou les travailleurs du clic » ( vendredi 24 février 2017)

J’ai aussi, après avoir lu un article de l’hebdomadaire « Le Point », évoqué le concept de « La guerre civile globale » ( mercredi 22 février 2017) extrait de « Age of Anger » qui est un livre d’un romancier d’origine indienne, Mishra Pankaj qui serait l’essai le plus commenté, en début d’année 2017, dans le monde anglo-saxon et qui décrit comment l’économie crée des antagonismes au sein des sociétés et une grande colère de ceux qui estiment être les perdants de la compétition. Mishra Pankaj était l’invité des matins de France Culture, ce jour lors de l’émission réalisé à Londres, le lendemain des élections législatives britanniques https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-2eme-partie/pankaj-mishra-de-la-montee-des-populismes-la-guerre-civile .

Est évoqué de plus en plus souvent l’analyse de la fin de la rente de civilisation dont bénéficiait l’Occident au XIXème et XXème siècle et qui profitait à ses classes moyennes et populaires. Zaki Laïdi l’explique : «La mondialisation c’est la fin de la rente que l’Occident avait sur le monde depuis la révolution industrielle.» ( mardi 21 février 2017). Et Peter Sloterdijk dans l’article « [Cette élection] : voilà bien la preuve que la France possède encore un esprit ouvert à la surprise. » ( jeudi 11 mai 2017) explique la même chose.

Mais il n’y a pas que l’économie, l’Histoire est aussi inspirante. Nous sommes encore dans le centenaire de la première guerre mondiale et les cents ans de la bataille du chemin des dames ont conduit à rappeler «La Chanson de Craonne » ( mardi 18 avril 2017). Le cinéma fait aussi l’Histoire Thierry Frémaux a réalisé un documentaire sur le début du cinéma et a expliqué que « Le cinéma de Lumière avait pour fonction de dire qui nous sommes et ce qu’est le monde : c’est la même chose aujourd’hui » ( jeudi 16 février 2017)

Le billet quotidien peut aussi évoquer un récit, une personne ainsi de cette médecin qui avait vécu l’enfer dans son enfance à cause d’un père fou d’ambition et d’esprit de compétition : Céline Raphael «La Démesure» ( mercredi 21 décembre 2016) ou cette jeune artiste qui a brusquement été stoppée dans son ascension par un cancer : Marine de Nicola. « Le baiser de l’ouragan » ( vendredi 21 avril 2017) et qui évoque sa maladie comme un cadeau mal emballé qui lui a permis de murir et de grandir.

Depuis longtemps je portais l’idée de faire un mot sur « Le divertissement Pascalien » ( mercredi 17 mai 2017). Je l’ai réalisé au milieu de deux mots évoquant des émissions et un livre de Christophe André sur «La méditation en pleine conscience » ( lundi 15 mai 2017). J’ai particulièrement apprécié l’émission consacré à « Rien que » ( mardi 16 mai 2017)

Il est important de se rappeler aussi que les choses vont plutôt bien et qu’il y a des raisons d’espérer comme l’explique Johan Norberg «Ten Reasons to Look Forward to the Future Progrès : dix raisons de se réjouir de l’avenir» ( lundi 19 décembre 2016)

Lundi prochain, nous reprendrons le fil de nouveaux mots du jour.

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Jeudi 8 juin 2017

« Retour sur les mots du jour du 801ème au 900ème (2)»
Rétrospective

Comme d’habitude, dans cette série de mots du jour, plusieurs thèmes ont regroupé plusieurs articles. En général, ces thèmes durent une semaine.

Parfois comme pour les articles consacrés au « Sapiens » d’Hariri, c’est beaucoup plus long.

Ainsi, lors de cette série, un long moment a été consacré à Michel Serres et à plusieurs de ses ouvrages, principalement à « Darwin, Bonaparte et le samaritain ». Ces articles ont été envoyés entre le lundi 27 février 2017 et le vendredi 17 mars 2017.

Au cœur de ce livre qui distingue 3 âges, d’abord celui de l’apparition de la vie dans notre univers, le deuxième l’âge de la guerre et le troisième notre temps depuis la dernière guerre mondiale, se trouve ce constat de Michel Serres : « Le premier âge est plus long qu’on ne le croit ; Le deuxième pire qu’on ne le pense ; Le dernier meilleur qu’on ne le dit. » (mardi 7 mars 2017)

Cette fréquentation de l’œuvre et de la philosophie de Michel Serres m’a conduit aussi à deux digressions : la première pour évoquer le livre de Pascal Richet « L’âge du monde » (vendredi 3 mars 2017) qui relate la perception de l’âge de l’univers aux différentes étapes du développement des humains, et la seconde pour revenir sur le décryptage de « La parabole du bon samaritain » par Françoise Dolto (mercredi 8 mars 2017).

L’Histoire du Monde racontée par Michel Serres et qu’il appelle «Le Grand Récit » constitue une leçon d’intelligence. (jeudi 2 mars 2017)

Comme les deux pensées philosophiques finales : « Il n’y a pas qu’une vérité. Il y a des milliards de vérité» et « C’est le chemin le plus important.» mots des jeudi 16 mars 2017 et vendredi 17 mars 2017

La première semaine de mots du jour de 2017 fut consacrée au thème de la Paix.

En commençant par un ouvrage de Jean-Claude Carrière « La paix » (lundi 9 janvier 2017) pour finir par le livre de Belinda Cannone «S’émerveiller » (vendredi 13 janvier 2017)

Entre temps, j’avais évoqué le sombre destin de cet extraordinaire médecin obstétricien hongrois qui œuvra pour l’hygiène dans un grand climat d’hostilité (1818-1865) « Ignace Philippe Semmelweis » (mercredi 11 janvier 2017) et un article de la grande préhistorienne Marylène Patou-Mathis « Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre » (jeudi 12 janvier 2017)

La semaine suivante, chaque mot du jour de la semaine était consacré à une photo réalisée en 2016 du lundi 16 janvier 2017 au vendredi 20 janvier 2017. La plus poétique étant celle du jeudi : « Homo sapiens d’hier et d’aujourd’hui : Solar Impulse survole les pyramides»

Et puis, sans être une thématique structurée et inscrit dans une semaine précise, beaucoup de mots du jour de cette série ont été consacrés à la présidentielle française dont le déroulement comme le résultat furent inattendus.

Si le plus souvent le mot du jour cite surtout des auteurs et leurs réflexions assorties de quelques commentaires de ma part, il m’arrive aussi de rédiger certains articles de manière plus personnelle. Il en fut ainsi d’un premier consacré à la « La cinquième République » (mercredi 8 février 2017) dans son ensemble. Puis un second consacré à « L’article 16 de la constitution » en particulier (mercredi 19 avril 2017).

Mais la présidentielle française conduisit les journalistes étrangers à poser des questions sur la France, questions dont Robert Zaretsky journaliste du Foreign Policy a fait la synthèse : « Why Is France So Corrupt ? » «Pourquoi la France est-elle si corrompue ?» (lundi 6 février 2017)

Cette présidentielle a montré que le clivage droite/gauche n’était plus aussi efficient que ce soit en France comme dans les autres pays occidentaux

C’est pourquoi l’article de Thomas Friedman dans le New York times « Web people vs wall people – Le peuple du web contre le peuple du mur», qui montrait qu’une partie des occidentaux est particulièrement à l’aise avec la mondialisation alors qu’une autre en a peur et veut s’en protéger, m’a paru particulièrement pertinent. (vendredi 14 avril 2017)

Cette présidentielle m’a conduit aussi à aller voir et à vous parler d’un documentaire que Régis Sauder a consacré à ma ville natale, particulièrement sensible aux sirènes du Front National : « Retour à Forbach » (jeudi 27 avril 2017).

Plusieurs fois j’ai fait appel, pendant cette période, à Edgar Morin qui fustige ces partis qui en appellent à la régression et à la xénophobie mais qui a des mots tout aussi durs pour le monde de l’argent roi et du libéralisme financier omnipotent : « Partout, deux barbaries se conjuguent, la vieille barbarie de la haine, du mépris, de la cruauté, et la barbarie glacée du calcul qui veut contrôler tout ce qui est humain. » (mardi 2 mai 2017)

Et je ne peux passer sous silence, cette intervention pleine d’énergie et de de passion de Fatou Diome lors de l’émission du Gros Journal de Canal + du 22 mars 2017 « Je crois à une France lumineuse qui se battra toujours pour ses valeurs. » (vendredi 5 mai 2017)

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Mercredi 7 juin 2017

« Retour sur les mots du jour du 801ème au 900ème (1)»
Rétrospective

J’avais débuté cette dernière série de 100 mots par une réflexion personnelle « Ce n’est qu’en tournant autour du pot qu’on peut en voir tous ses aspects !» qui a suscité des réactions étonnées et même réprobatrices.

L’existence du blog permet désormais de renvoyer systématiquement au mot concerné par un lien qui vous permet de le relire intégralement. C’était le mot du jeudi 8 décembre 2016

Donc surprise et réprobation, car dans le langage courant cette expression signifie la difficulté ou même la lâcheté de ne pas oser dire les choses clairement ou encore constitue une apologie de l’indécision. Mais ce n’est pas ce sens primaire que j’entendais donner à cette formule, mais bien la capacité de nuancer : tourner autour du pot permet d’observer le même pot sous différents éclairages.

Un jour, peut- être, j’essayerai de tourner autour du pot de la « dette » si présente dans le langage politique et économique contemporain.

Vous pouvez analyser la dette sous le regard de l’économiste classique : la dette est la conséquence d’un emprunt qui permet de différer le paiement d’un bien ou d’un service dont vous pouvez disposer immédiatement.

Et puis vous pouvez analyser la dette avec le regard du peuple allemand, ce peuple qui utilise dans sa langue le même mot pour dire « faute » et pour dire « dette », un mot du jour a été consacré à ce substantif germain : « Die Schuld » (lundi 4 novembre 2013). Pour les allemands, le prêt est avant tout une question de confiance, le prêteur prête parce qu’il a confiance en celui à qui il prête. Dès lors, envisager ne pas rembourser une dette constitue une trahison de cette confiance, une faute morale.

Et puis, vous pouvez suivre le regard de Paul Jorion qui vous expliquera que la dette c’est le fait que quelqu’un, qui dispose d’argent dont il n’a pas besoin, a prêté une somme d’argent à une autre personne qui en avait besoin et qui ne l’avait pas. La dette s’analyse de ce point de vue comme une mauvaise allocation des ressources dans le monde.

Vous pouvez aussi entendre l’analyse de David Graeber qui vous dira que l’expérience de l’Histoire montre que les très grosses dettes des Etats ne sont jamais remboursées. Soit la dette est annulée, soit l’inflation la réduit en peau de chagrin soit d’autres procédés sont mis en œuvre pour l’annihiler.

Le pot de la dette n’est pas simple à analyser, il ne peut se résumer à la seule vision allemande, ni à la seule vision « égalitaire » de Paul Jorion. Mais ces deux éclairages se fécondent et rendent davantage justice à la complexité du monde.

Notre Président a rendu populaire une expression qui exprime à peu près cette même nuance : « En même temps… »

Mais je m’égare, ce message avait pour objet de faire une rétrospective sur les 100 derniers mots du jour.

J’ai rapidement mise en œuvre cette faculté de tourner autour du pot en évoquant Fidel Castro qui venait de mourir.

D’abord en laissant Noam Chomsky expliquer que beaucoup de ce qui était arrivé à Cuba provenait de l’hostilité des Etats-Unis : «Imaginez ce que serait la situation aux États-Unis si, dans la foulée de son indépendance, une superpuissance avait infligé pareil traitement : jamais des institutions démocratiques n’auraient pu y prospérer. » (mercredi 14 décembre 2016)

Puis en rappelant un épisode rapporté par Jean Daniel, dans lequel Fidel Castro, après la crise des missiles, voulait exprimer un message de paix à John Kennedy et aux Etats-Unis : «Puisque vous allez revoir Kennedy, soyez un messager de paix. » (jeudi 15 décembre 2016. Hélas, cette invitation a été suivie quelques heures après par l’assassinat du Président Kennedy à Dallas, rendant cette proposition obsolète.

Mais j’ai aussi évoqué le cri de colère et de détresse d’Ileana de la Guardia, fille d’un des plus proches collaborateurs de Fidel Castro que ce dernier a fait exécuter pour de sombres manœuvres politiques, montrant ainsi la face sombre de ce régime : «On ne lui a même pas accordé un nom sur une tombe dans le cimetière de La Havane. Il est gommé de l’Histoire. Oublié, jeté dans la fosse commune. Comme les hérétiques du Moyen Âge. […] Aujourd’hui, je clame son nom, pour que jamais on ne l’oublie : Tony de la Guardia, mon père bien-aimé.» (vendredi 16 décembre 2016)

C’est encore dans cette recherche de la nuance que j’ai écrit l’article «« Des chiffres et des hommes » (lundi 30 janvier 2017) dans lequel j’essayais de montrer que si les chiffres sont indispensables pour décrire certaines réalités, la place qu’on leur donne aujourd’hui est exagérée et surtout perverse. Je concluais par cette phrase détournée de la Préface de La Dame aux Camélias (1848), d’Alexandre Dumas fils : « N’estime le chiffre ni plus ni moins qu’il ne vaut : c’est un bon serviteur et un mauvais maître ».

Cette mise au point était nécessaire après plusieurs mots consacrés à parler uniquement de l’aspect obscur du chiffre, notamment:

  • Le concept du sociologue américain Pitirim Sorokin (1889-1968) «La quantophrénie» (jeudi 6 octobre 2016)
  • Ou le thème développé par Alain Supiot : «La Gouvernance par les nombres» (vendredi 3 juillet 2015)

Et je conclurai la première partie de cette rétrospective par cette pensée d’une grande sagesse de Rachid Benzine : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes.» (mardi 24 janvier 2017)

Cette réflexion, qui se situe dans un échange entre un père et sa fille partie faire le djihad et qui est le sujet du roman de Rachid Benzine <Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?>, peut s’inscrire dans un contexte beaucoup plus large d’une compréhension du monde.

<article sans numéro>

Mardi 6 juin 2017

«Savoir, Savoir-faire, Faire savoir»
Pierre Ferrari, Mon professeur de droit administratif à la faculté de droit de Metz (années 1982-1983)

Pierre Ferrari était un excellent professeur de droit public. Je me souviens encore de ce conseil qu’il nous avait donné un jour au milieu de son cours : « «Savoir, Savoir-faire, Faire savoir»

Il faut d’abord acquérir le savoir et les connaissances. C’est le début, le commencement.

Nous sommes à l’heure des gens pressés et nous côtoyons souvent des personnes impatientes de « faire savoir » sans avoir pris le temps d’approfondir la première étape : le savoir qui est apprentissage, maturation et aussi expérience.

Mais le savoir ne suffit pas, il faut aussi le savoir-faire. Autrement dit la pratique. J’ai beaucoup aimé cette réflexion, un jour glané sur les réseaux sociaux : « Un jour j’irai vivre dans le monde de la théorie, dans ce monde tout se passe toujours bien ». Mettre en œuvre, voici la seconde étape.

Et puis on peut accéder à la 3ème étape : faire savoir.

Je vous l’avais écrit lors du précédent mot, vous lisez aujourd’hui le 900ème mot du jour. Vous êtes désormais plus d’une centaine de destinataires, encore tout récemment quelques esprits bienveillants se sont rajoutés à la liste.

Plusieurs m’ont conseillé de faire un blog qui semble un outil plus moderne pour diffuser quotidiennement ce billet qui essaye d’allier butinage, réflexion et pédagogie.

Je m’y suis refusé longtemps car j’aimais ce lien unique qui au-delà de la technique de diffusion revenait à écrire une petite lettre (quelquefois longue pourtant) qu’un nombre circonscrits de personnes que je connais et que j’apprécie reçoivent dans leur boite aux lettres virtuel, le matin avant de commencer leur journée.

Il faut être exact, de manière très limitée j’ai accepté qu’entre dans la liste des destinataires des personnes que je ne connaissais pas mais qui m’ont été recommandées par un abonné que je connaissais.

Certains m’ont dit qu’ils avaient institué une sorte de rituel de lire à leur réveil, à leur arrivée au travail ou en chemin dans les transports en commun le fruit de mon exercice quotidien.

Récemment notre ami commun, Google, nous a collectivement joué des tours en n’acheminant pas le message du matin ou avec beaucoup de retard. Sans aucune certitude je soupçonne notre ami de surveiller avec suspicion le nombre de destinataires de ces courriels. Vous savez que Google « offre » énormément de services gratuits aux particuliers. Il les offre parce que dans la relation commerciale subtile qu’il a créée. le particulier n’est pas un client, mais un produit. C’est nous, les particuliers, que Google vend à des professionnels.

Quand il soupçonne un particulier d’agir comme un professionnel, il va lui demander de passer à des services payants d’une manière plus ou moins explicite. Ceci m’a beaucoup contrarié. Mon fils Alexis me voyant dans l’embarras a alors pris les choses en mains.

Bien que la création de blog ne fasse pas partie de ses compétences et qu’il a la sagesse de savoir arrêter de faire de l’informatique après ses heures de travail, toutes entières consacrées à cette matière binaire, il a par affection accepté d’offrir de son temps et de son ingéniosité pour créer un blog dédié à mon mot du jour.

Et c’est le 6 juin, jour anniversaire du débarquement …d’Alexis dans la vie que je peux vous en annoncer la création.

Le domaine « lemotdujour.fr » avait été négligemment délaissé, j’ai donc pu l’acheter.

Désormais, chaque matin où un mot aura été écrit, l’article sera publié sur ce blog.

Grâce au travail d’Alexis tous les mots du jour déjà écrits sont présents sur cet espace. Tout n’est pas encore finalisé, car certains complétements manuels des articles doivent être réalisés. Mais ils sont tous accessibles.

Je continuerai à envoyer le mot par courriel, mais je n’ajouterai plus de destinataires à ma liste.

Celles et ceux qui considèrent que l’existence du blog rend inutile le message quotidien, voudront bien m’en informer, je les retirerais de la liste.

Et si vous vous attendiez à recevoir un message que vous ne recevez pas, il suffira alors d’aller sur la page d’accueil du blog.

Ce blog est public mais les commentaires sont modérés.

Vous êtes évidemment libre de donner l’adresse du blog à qui vous le souhaitez.

Mon souhait reste cependant que ce partage continue à se faire avec des personnes qui ne sont évidemment pas d’accord sur tout, heureusement, mais qui accepte le débat d’idées dans la bienveillance, le respect et l’argumentation.

Voici l’adresse : https://lemotdujour.fr

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