Mercredi 10 mai 2017

« Le choc des légitimités »
Autres réflexions et regards sur cette présidentielle qui vient de s’achever

Mon neveu Grégory qui a répondu au mot du jour d’hier avec cette constatation étonnée : « le président est plus jeune que moi ! » avait eu cette belle formule, il y a 5 ans à propos de François Hollande : « Il faut laisser sa chance au produit »

Cinq ans plus tard, la chance est passée…

Nous repartons donc avec un nouveau produit pour 5 ans !

Je vais tenter une analyse froide, neutre de ce qui me semble être la problématique de fond de ce qui va suivre dans notre vie politique nationale.

Emmanuel Macron avait émis deux critiques sur la manière dont François Hollande avait conduit la réforme du code du travail dite « Loi El Khomri » : La première critique était qu’elle arrivait trop tard dans le quinquennat et la seconde qu’elle n’avait pas été annoncée lors de la campagne présidentielle. Et il expliquait que les électeurs de François Hollande pouvaient se sentir trahis parce qu’on ne leur avait rien dit et que dans leur esprit ils ne l’avaient pas élu pour ça.

Sur le fond Emmanuel Macron considère qu’il faut aller beaucoup plus loin dans la dérégulation du droit du travail en permettant de très larges marges de manœuvre au niveau de la négociation dans l’entreprise.

Mais en pleine cohérence avec sa critique de François Hollande, il a, dans sa campagne, annoncé très rapidement qu’il voulait faire évoluer le code du travail dans le sens qu’il souhaitait. En outre, pour aller plus vite il prévoyait de réaliser cette loi par voie d’ordonnances.

Ce qui signifie que l’assemblée nationale donne l’autorisation au gouvernement dans un domaine précis et dans un cadre défini d’écrire la Loi dans le détail, ce qui est normalement du seul ressort du pouvoir législatif. Une fois la loi écrite, le Parlement doit vérifier si le domaine et le cadre ont été respectés et ratifier les ordonnances. Il y a donc bien intervention du parlement, mais le travail de fond et bien sûr les débats qui sont la raison d’être du Parlement lui ont totalement échappé.

Emmanuel Macron considère que le problème principal de la France est le chômage de masse et que l’assouplissement des contraintes du droit de travail constitue une solution essentielle à ce problème.

Il n’a jamais varié sur ce point.

Les Français l’ont élu. Ils ne pouvaient ignorer qu’au centre de son projet il y avait cette réforme à réaliser en toute urgence. Il a voulu être élu pour faire cela, il n’a trompé personne. Devant les demandes explicites de Jean-Luc Mélenchon de renoncer à cette réforme ou au moins de renoncer de la faire par la procédure des ordonnances comme prix ou compromis pour qu’il appelle à voter pour lui, le futur Président a encore répondu négativement.

Il est donc totalement légitime de mettre en œuvre cette réforme puisqu’il a été élu.

Mais face à cette légitimité, celles et ceux qui refusent cette réforme en opposent une autre en expliquant qu’au premier tour Emmanuel Macron n’a obtenu que 24% des voix et qu’une grande partie de ces électeurs n’ont pas fait un vote d’adhésion mais un vote d’évitement : éviter que face à la candidate d’extrême droite se trouve un candidat dont il voulait encore moins que Macron.

Le second tour étant quant à lui un véritable vote de rejet de l’autre candidate et d’aucune manière une approbation du programme proposé par notre jeune Président.

Il y a donc choc des légitimités.

Mais comment reprocher à Emmanuel Macron de vouloir appliquer le programme qu’il a annoncé et qui selon lui règle une grande part du problème qui est posé à la France à savoir le chômage de masse.

Comment sort-on d’une telle contradiction ?

Très simplement en allant voter aux élections législatives et non pas en s’abstenant comme cela s’est toujours passé lors des épisodes précédents de ce feuilleton qui n’existe qu’en France où il faut voter 4 fois avant d’avoir un pouvoir exécutif et législatif en capacité de fonctionner. Ce feuilleton auquel s’ajoutent 2 autres tours si on participe à des primaires.

Donc il faut voter aux législatives :

Si vous voulez qu’Emmanuel Macron puisse mettre en œuvre le programme auquel il croit, il faut voter pour la ou le candidat qui soutient le Président.

Si vous voulez le contraire, il faut voter pour la ou le candidat qui veut le contraire.

Et après cet exercice démocratique, le choix des français s’imposera dans un sens ou dans l’autre.


 

Mardi 9 mai 2017

« Tu te sens très vieux le jour où tu t’aperçois que le président de la République a 20 ans de moins que toi »
Réflexions personnelles après l’élection de dimanche

La première fois que j’ai eu conscience de la politique c’était en 1969, j’étais un très jeune enfant, et les français avaient élu Georges Pompidou qui évidemment m’apparaissait très vieux.

En 1974, j’avais 16 ans et je n’avais pas le droit de vote mais je me suis très intéressé à cette bataille électorale.

A partir de 1974, jusqu’en 2007, c’est-à-dire 33 ans, donc pour l’instant plus de la moitié de ma vie, la Présidence de la République a été accaparée par 3 hommes Giscard d’Estaing né en 1926, Mitterrand né en 1916 et Chirac né en 1932.

Même si Giscard est arrivé au pouvoir jeune, à 48 ans, il était beaucoup plus vieux que moi. Le plus jeune des 3 avait 26 ans de plus que moi.

Mitterrand et Chirac, lors des grandes cérémonies mondiales étaient souvent les vieux de ces aréopages.

En 2007 et 2012, les élus devenaient davantage mes contemporains, Sarkozy était né 3 ans avant moi et Hollande 4 ans.

Tout ceci était fort raisonnable, je ne m’attendais donc pas en 2017 à une telle rupture générationnelle.

D’ailleurs Emmanuel Macron, sera le benjamin lors du prochain G20.

Les politiques français ne m’avaient pas préparé à un tel choc, et le monde n’était pas habitué que la France puisse apparaître aussi jeune.

Jusqu’à présent c’était eux qui se moquaient de notre incapacité à renouveler notre personnel politique.

Mais maintenant avec un Président de 39 ans, c’est la France qui fait rayonner sa jeunesse.

Tony Blair est devenu premier ministre anglais à 44 ans, comme David Cameron.

Comme José Zapatero, premier ministre espagnol à 44 ans, battu par son prédécesseur José Maria Aznar 43 ans.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau l’est devenu à 44 ans aussi.

Et c’est finalement en Italie qu’on trouve Matteo Renzi qui était devenu premier ministre à 39 ans.

Mais maintenant la France peut dire, nous avons élu un président de 39 ans.

Sa jeunesse est un atout, il peut certainement mieux comprendre le monde du XXIème siècle que ceux qui sont restés dans leurs schémas du XXème siècle !

Saura t’il pour autant trouver les voies pour réconcilier les français et faire évoluer l’Europe dans le sens de la protection de ses habitants ?

Ce sont des défis énormes, il faut bien l’enthousiasme et l’énergie d’un jeune homme brillant et cultivé de 39 ans pour espérer s’approcher de ces objectifs.

Vendredi 5 mai 2017

Vendredi 5 mai 2017
« Je crois à une France lumineuse qui se battra toujours pour ses valeurs. »
Fatou Diome lors de l’émission du Gros Journal de Canal + du 22 mars 2017
Mon ami Philippe a mis en lien sur facebook cet extrait du Gros Journal de Canal+ où le journaliste Mouloud Achour reçoit l’écrivaine et universitaire franco-sénégalaise Fatou Diome et lui pose la question : « Vous avez peur de Marine Le Pen ou pas ? »
Et qu’elle répond : « Je n’ai peur d’elle, c’est elle qui a peur de moi ! »
Cette réponse déclenche un fou rire chez le journaliste. Quand le journaliste arrive enfin à se calmer et demande à Fatou Diome d’expliquer, cette dernière se lance dans un plaidoyer remarquable, prononcé d’une seule traite, qui conduit le journaliste à rester en suspens et puis effacer une larme à l’œil.
Fatou Diome, c’est cette femme noire qui a été découverte par la France entière alors qu’elle était invitée par Frédéric Taddei à l’émission de France 2, le 24 avril 2015, après un nouveau naufrage à Lampedusa de migrants cherchant refuge en Europe : http://www.dailymotion.com/video/x2o4viv
Dans cette émission elle se lance aussi dans une harangue qui cloue le bec à ses contradicteurs et elle dit notamment :
«  Ces gens-là qui meurent sur les plages, et je mesure mes mots, si c’était des blancs, la terre entière serait en train de trembler ! Mais là, ce sont des noirs et des arabes (…) Si on voulait sauver les gens, on le ferait, mais on attend qu’ils meurent d’abord ! Et on nous dit que c’est dissuasif, mais ça ne dissuade personne, car celui qui part pour sa survie, considère que sa vie (qu’il peut perdre lors du voyage) ne vaut rien, celui-là n’a pas peur de la mort !”
A la réponse d’un invité sur l’importance de fermer les frontières pour éviter l’arrivée massive de migrants, Fatou Diome a présenté l’homme “blanc” comme un poisson rouge : « Monsieur, vous ne resterez pas comme des poissons rouges dans la forteresse Européenne ! A l’heure d’aujourd’hui, l’Europe ne sera plus jamais épargnée, tant qu’il y aura des conflits ailleurs dans le monde (…) Alors il faut arrêter l’hypocrisie, on sera riche ensemble ou on se noiera tous ensemble !  »
Vous trouverez un article de l’Humanité où elle répond à un entretien après cette émission
Mais revenons à sa réponse à Mouloud Achour où elle explique qu’elle n’a pas peur de Marine Le Pen :
« Non je n’ai pas peur d’elle !
Vous savez le rejet a toujours peur de l’amour.
Moi je suis une fille, je suis venu en France par amour. Donc rien, aucune haine, aucun rejet ne me fera rejeter la France.
Et quand vous dites cela, vous faites peur aux sectaires, vous faites peur aux populistes.
Parce que moi, quand je dis cela, je m’accroche aux lumières européennes.
Quand je dis cela, je dis vos idées ténébreuses ne peuvent pas enterrer Montesquieu.
Vos idées ténébreuses ne feront pas enterrer Marianne.
Vos idées ténébreuses n’empêchent pas que cette République a mis Marie-Antoinette au trou et Victor Hugo au Panthéon, il y a des raisons à cela.
L’amour est plus fort que la haine.
Et la culture est toujours plus forte que l’ignorance.
Je crois à une France lumineuse qui se battra toujours pour ses valeurs.
C’est pour cela que je la respecte.
Et je la somme de me donner une preuve que tout ce qu’elle m’a enseigné est absolument véridique.
Je la somme de me montrer qu’elle est à la hauteur de son histoire lumineuse et humaniste.
[…]
Je veux que la France de Victor Hugo me dise que le simple rejet des misérables d’aujourd’hui ne justifie pas le racisme
La liberté gagné à la guerre, cette liberté-là n’est pas que pour que les enfants blancs de Marianne.
Cette liberté là c’est pour tous les enfants de Marianne et tous ceux qui sont morts au front pour la défendre et pour la léguer à leurs enfants.
Je suis une de ces enfants »
Le journal l’Humanité, déjà cité, raconte son histoire :
Fatou Diome est une enfant de l’amour et du scandale. Ses parents avaient (?) 18 ans, ils s’aimaient et n’étaient pas mariés. Elle naît en 1968 à Niodior, (?) une île de pêcheurs du Sénégal. Élevée par sa grand-mère, Aminata, sa référence, elle fréquente l’école en cachette et devra se débrouiller pour aller au collège.
Commencent les petits boulots, elle n’a pas encore 14 ans.
Fatou veut être professeur de français. Elle va à l’université de Dakar. En 1994, elle arrive en France, suivant l’homme qu’elle aime et a épousé. Rejetée par sa belle-famille, elle divorce et poursuit ses études à l’université de Strasbourg. À nouveau les galères: ménages, gardes, cours … pour payer son agrégation ? de français et sa thèse de lettres.
En 2001, Fatou publie un recueil de nouvelles, « la Préférence nationale».
Elle connaît la consécration, dès 2003, avec son premier roman, « le Ventre de l’Atlantique », traduit dans plus de 20 langues. « Je n’étais pas une femme de ménage devenue écrivain, j’étais une étudiante qui faisait des petits boulots », répond-elle à ceux qui veulent faire de son parcours un conte de fées.
Si vous voulez voir l’émission du Gros journal de Canal dans son intégralité : http://www.dailymotion.com/video/x5fpitw_le-gros-journal-avec-fatou-diome-l-integrale-du-22-03-canal_tv
Elle vient de publier un nouveau livre dont parle l’émission de Canal + : <Marianne porte plainte !>, il est paru en mars 2017
Voilà ce que j’avais envie d’écrire comme mot du jour avant le vote du 7 mai 2017.

Jeudi 4 mai 2017

«Et un sourire»
Paul Eluard
Pour mot du jour d’aujourd’hui, un poème d’Eluard.

«La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.»

Et un sourire
Paul ÉLUARD
Recueil : “Le Phénix”

Ce fut le poème que Jean-Luc Melenchon déclama à la fin de son dernier meeting avant le premier tour des présidentielles 2017.
C’est ce poème qui me vient à l’esprit après le chaos (1) du débat d’hier soir​.

(1) Il s’agit du débat d’entre deux tours entre Emmanuel Macron et la représentante de l’extrême droite qui a donné à ce moment une teneur très médiocre.
<886>

Mercredi 3 mai 2017

Mercredi 3 mai 2017
« C’est […] en Emmanuel Macron que s’expriment le mieux les affres d’une époque mourante mais qui ne veut pas mourir. »
Frédéric Lordon
Hier, j’ai fait appel à un vieux sage, Edgar Morin, pour parler de cette élection qui fait l’objet de toutes les conversations du moment.
Aujourd’hui, je vous livre les réflexions d’un plus jeune philosophe, moins apaisé qu’Edgar Morin mais déployant aussi une réflexion riche et assez loin de la pensée dominante des technocrates : Frédéric Lordon.
Ce n’est pas la première fois que je le cite.

 

Frédéric Lordon sur son blog du Monde diplomatique a écrit le 12 avril une chronique : <Macron, le spasme du système>
Le grand mot d’ordre de cette élection est d’être contre le « système ».
Ils se présentent d’ailleurs tous contre le système.
Je commence par une anecdote : j’ai vu lors d’une émission de télévision Rachida Dati répondre simplement à la question, Connaissez-vous Emmanuel Macron ?, « Oui nous avons un ami commun : Jean-Pierre Jouyet. »
Jean-Pierre Jouyet est né à Montreuil en 1954, il a fait l’ENA dans la fameuse promotion Voltaire : Hollande, Royal, Villepin et quelques autres.
Il est un ami de François Hollande et il est maintenant son principal collaborateur comme secrétaire général de la présidence de la République.
Avant cela, il fut Secrétaire d’État aux Affaires européennes du gouvernement de François Fillon entre 2007 et 2008, puis président de l’Autorité des marchés financiers de 2008 à 2012. Il a occupé ensuite les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et de président de la banque publique d’investissement (BPI) entre 2012 et 2014.
J’en avais fait le sujet principal du mot du jour du 9 octobre 2014 « La Bourgeoisie d’Etat » à la suite de la lecture d’un article du Monde de de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin consacré au couple Jouyet : Jean-Pierre Jouyet et son épouse Brigitte Taittinger issue de la famille champenoise célèbre dans le monde entier. Je remets, une seconde fois, en pièce jointe, cet article.
Lors de ce mot du jour j’écrivais : « Cet article qui rapporte des faits et des comportements, des amitiés et des connivences, des trahisons et des réconciliations, provoque chez le citoyen de base que je suis comme un malaise. Le fait que l’élite, quel que soit son bord politique, discute entre elle peut paraître plutôt positif. « Chez les Jouyet, les soirs d’élections, que la gauche ou la droite l’emporte, on trouve toujours une moitié de convives pour fêter la victoire au champagne rosé… Taittinger. »
Mais il y a autre chose qui se dégage, un entre soi, un groupe homogène qui vit comme en autarcie.
Ils n’ont pas l’air méchant, plutôt affable et sympathique. Mais vivent-ils ou ont-ils le sentiment de vivre un destin commun avec les français que nous sommes ? Ou vivent-ils ailleurs ? »
Je fais cette incise pour vous rappeler ou vous apprendre qu’Emmanuel Macron avait intégré en 2004, à l’issue de ses études à l’ENA, le corps de l’Inspection générale des Finances (IGF). Et…
Celui qui dirigeait cette honorable maison était M Jean-Pierre Jouyet.
Wikipedia nous apprend qu’il va devenir le protégé de cet homme affable à l’aise avec les femmes et hommes du système de droite et les femmes et hommes du système de gauche et aussi du centre…Il sera son vrai mentor.
Et c’est probablement grâce à Jean-Pierre Jouyet, alors dans le gouvernement de Fillon/Sarkozy qu’il est nommé, en août 2007, rapporteur adjoint de la fameuse Commission pour la libération de la croissance française dite « commission Attali ». Attali deviendra aussi un de ses principaux soutiens.
<Jacques Attali qui avait prophétisé, dans l’Express le 17/09/2015 : le prochain président sera un inconnu>. En septembre 2015, Macron n’était ministre de l’économie que depuis 1 an.
Existe-t’il une meilleure institution que l’Inspection des Finances qui puisse symboliser le fameux « Système français » ?
En 2004 Ghislaine Ottenheimer leur avait consacré un livre : « Les Intouchables » : grandeur et décadence d’une caste : l’Inspection des Finances, Albin Michel, 2004
Mais revenons à Frédéric Lordon, la chronique dans son entier est longue et touffue (comme d’habitude). Elle se trouve <ICI> :
Je vais essayer d’en picorer quelques extraits particulièrement incisifs :
 ««Je vais être très clair »… Probablement ignorant des logiques élémentaires du symptôme, Emmanuel Macron semble ne pas voir combien cette manière répétitive de commencer chacune de ses réponses trahit le désir profond de recouvrement qui anime toute sa campagne. « Entre le flou et le rien, continuez de baigner », voilà ce qu’il faut entendre en fait à chacune de ses promesses de clarté.
[…] la plupart des candidats finissent par s’accommoder de ce long et mauvais moment à passer, et que le mensonge de campagne est un genre bien établi qui ne devrait plus rien avoir pour surprendre quiconque. Le problème pour Emmanuel Macron prend cependant des proportions inédites car il ne s’agit plus simplement de faire passer en douce une ou deux énormités, fussent-elles du calibre de « la finance, mon ennemie » : c’est sa campagne dans son intégralité, et jusqu’à sa personne même comme candidat, qui constituent une entreprise essentiellement frauduleuse. […]
C’est pourtant en Emmanuel Macron que s’expriment le mieux les affres d’une époque mourante mais qui ne veut pas mourir. Il était certain en effet qu’un monde pourtant condamné mais encore bien décidé à ne rien abandonner finirait par se trouver le porte-voix idoine, l’individu capable de toutes les ambivalences requises par la situation spéciale : parler et ne rien dire, ne rien dire mais sans cesser d’« y » penser, être à la fois parfaitement vide et dangereusement plein. […]
 […]  il fallait en effet impérativement un candidat du vide, un candidat qui ne dise rien car ce qu’il y aurait à dire vraiment serait d’une obscénité imprésentable : les riches veulent rester riches et les puissants puissants. C’est le seul projet de cette classe, et c’est la seule raison d’être de son Macron. En ce sens, il est le spasme d’un système qui repousse son trépas, sa dernière solution, l’unique moyen de déguiser une continuité devenue intolérable au reste de la société sous les apparences de la discontinuité la plus factice, enrobée de modernité compétitive à l’usage des éditorialistes demeurés. […]
De là ce paradoxe, qui n’en est un que pour cette dernière catégorie : Macron, auto-proclamé « anti-système » est le point de ralliement où se précipitent, indifférenciés, tous les rebuts du système, tous les disqualifiés qui se voyaient sur le point d’être lessivés et n’en reviennent pas d’une telle faveur de la providence : la possibilité d’un tour supplémentaire de manège. […]
Il faudra bien en effet toute cette entreprise de falsification à grande échelle sous stéroïdes médiatiques pour recouvrir comme il faut l’énormité de ce qu’il y a à faire passer en douce : politiquement le pur service de la classe, « techniquement » l’intensification de tout ce qui a échoué depuis trois décennies. Ironie caractéristique de l’hégémonie au sens de Gramsci, le parti de ceux qui se gargarisent du « réalisme » se reconnaît précisément à ceci que son rapport avec la réalité s’est presque totalement rompu, alors même qu’il parvient encore invoquer la « réalité » comme son meilleur argument.
À l’époque du néolibéralisme, « réalisme » nomme la transfiguration continuée de l’échec patent en succès toujours incessamment à venir. Ce que la réalité condamne sans appel depuis belle lurette, le « réalisme » commande non seulement de le poursuivre mais de l’approfondir, donnant pour explication de ses déconvenues qu’elles ne sont que « transitoires », qu’on « n’est pas allé assez loin », qu’on s’est contenté de « demi-mesures » et que la « vraie rupture » est toujours encore à faire – et ça fait trente ans que ça dure. La parfaite identité argumentative dans ce registre entre Fillon et Macron devrait suffire à indiquer où le second se situe réellement et, de son « de droite / de gauche », quel est le terme surnuméraire. […]
Ainsi les traités de libre-échange, européens et internationaux, s’ils détruisent la base industrielle et disloquent des régions entières, ont-ils surtout l’insurpassable avantage de tenir le salariat en respect par la pression concurrentielle et la menace permanente de la délocalisation. L’eurozone fait montre des mêmes excellentes propriétés disciplinaires quoique par des voies différentes, il importe donc de n’y surtout pas toucher : la fermeture organisée de tous les degrés de liberté des politiques économiques ne laisse plus que l’instrument de « la dévaluation interne », c’est-à-dire de l’ajustement salarial par le sous-emploi, pour tenter de survivre dans le jeu idiot de la compétitivité (et en fait d’y périr presque tous) — mais c’est cela même qui la rend désirable. Le « réalisme » étant affranchi depuis longtemps de toute réalité, il tient pour rien le désastre social qui s’en suit, mais n’omet pas au passage d’encaisser, sur les gravats, les bénéfices réellement poursuivis — que de variations possibles autour du « réel »… —, à savoir la mise au pas des salariés.
La facticité générale commande cependant de feindre le mouvement. On ira donc donner un entretien à Libération pour expliquer qu’en Europe la meilleure stratégie du changement, c’est de ne rien changer : « la France ne peut entraîner l’Allemagne que si elle a une crédibilité sur le plan économique et financier». Comprenons : pour obtenir de l’Allemagne l’autorisation de faire autre chose, il faut d’abord lui montrer que nous sommes décidés à ne rien modifier. Laurent Joffrin, entièrement séduit par « l’originalité » de la méthode Macron qui consiste à perfectionner deux décennies à se rouler par terre en s’aplatissant davantage encore, commente : « Commençons par donner des gages de bonne gestion et de sages réformes, alors nous pourrons demander des concessions». Oui, commençons par ramper, c’est ainsi que nous apprendrons la liberté — bonheur parfait de la rencontre d’une complexion et d’une idéologie. »
Si vous voulez tout lire, je vous redonne le lien : <Macron, le spasme du système>
Je mesure bien que les destinataires de ce mot, électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour, sont convaincus par cette lecture.
Que celles et ceux qui au contraire se méfient de Mélenchon ou même l’abhorrent, sont scandalisés.
Mais qui peut prétendre que l’analyse de Frédéric Lordon ne rencontre pas une grande part de la réalité du monde ?
Il y a cependant un point qui ne me convainc pas dans cette analyse, car Lordon ne parle que de la responsabilité de l’élite oligarchique, alors que nous sommes aussi grandement responsables.
Nous aimons tellement consommer des objets technologiques, des voyages, des loisirs et toutes ces choses que le système nous vend  que nous ne pouvons-nous exonérer trop rapidement du système.
Personne n’a contraint des milliards de terriens d’acheter des smartphones pour le plus grand bénéfice d’Apple, de Samsung, de Foxconn.
Ce n’est pas non plus suite à un complot ou un pistolet sur la tempe que des millions de gens modestes, pour la plus grande part, payent cher pour aller au stade voir jouer des millionnaires qui courent après une balle de foot ou s’abonnent à des chaines télés payantes ou encore achètent à des prix fous des maillots ou d’autres colifichets de leurs idoles de cette nouvelle religion des temps modernes. Ce n’est que parce qu’il y a des consommateurs qui achètent tout cela qu’il existe des footballeurs millionnaires et des agents de joueurs qui le sont aussi.
Je me souviens d’avoir lu Raymond Aron dans les années 80 qui disait à peu près : tout se passe comme si nous étions dans un véhicule qui va de plus en plus vite vers quelque chose qui nous effraie mais que nous ne savons arrêter.
Lordon n’exprime pas la vérité, il donne une part de vérité. Nous avons à l’entendre aussi pour approcher la complexité de la réalité du monde.

Mardi 2 mai 2017

Mardi 2 mai 2017
« Partout, deux barbaries se conjuguent,
la vieille barbarie de la haine, du mépris, de la cruauté,
et la barbarie glacée du calcul qui veut contrôler tout ce qui est humain. »
Edgar Morin
Edgar Morin est un de nos plus grands penseurs contemporains.
Il est né le 8 juillet 1921, vous pouvez calculer il a 95 ans, presque 96.
Wikipédia le définit d’abord comme le penseur de la complexité.
Il fut un grand résistant. C’est à cette époque qu’il a pris le nom de Morin, car son nom de naissance est Nahoum, il est d’origine juive séfarade, descendant d’un père commerçant juif de Thessalonique.
Le journal Le Monde  vient de publier un entretien avec cet homme qui m’inspire beaucoup : « Cette élection est un saut dans l’inconnu » que vous trouverez en pièce jointe.
Il ne fait aucun doute que cet homme profondément humaniste, votera sans ambigüité pour Macron.
je trouve particulièrement intéressant la deuxième partie de cet entretien, lorsqu’il répond à la question du journaliste : « Quels sont les grands problèmes et les grands thèmes absents de cette campagne ?  »
« Le premier grand absent est le monde qui nous enveloppe et nous emporte dans des conflits et des régressions qui s’aggravent. Les Etats-Unis et la Russie accroissent leur arsenal nucléaire. Trump et Kim ne sont pas Kennedy et Khrouchtchev, qui avaient évité le conflit nucléaire. L’organisation Etat islamique prépare des attentats partout, y compris chez nous.
Partout, deux barbaries se conjuguent, la vieille barbarie de la haine, du mépris, de la cruauté, et la barbarie glacée du calcul qui veut contrôler tout ce qui est humain.
Partout, y compris en Europe, la régression politique a fait naître des postdémocraties autoritaires, que le mot « populisme » qualifie très mal, et nous sommes nous-mêmes ici menacés en ce moment historique.
Les politiques sont somnambules comme l’ont été les politiques de 1933 à 1940. La France ne devrait-elle pas prendre des initiatives pour la paix ? Beaucoup attendent le retour d’une diplomatie française dans le monde telle que l’avait exprimée Dominique de Villepin dans son célèbre discours à l’ONU. La France ne devrait-elle pas chercher une nouvelle voie pour résister aux régressions qui nous envahissent ?
Pour vraiment « barrer la route au FN », il faudrait prendre une autre route. La politique de Macron a d’autant plus besoin d’une pensée sur ce monde qu’elle se veut d’ouverture ; la politique de fermeture sur soi de Marine Le Pen n’a pas besoin de penser le monde car pour elle l’extérieur est une menace (mondialisation, Europe, étranger, immigré) et la solution est la fermeture sur soi. »
Et à cette autre question : « Les débats sont-ils à la hauteur de ces enjeux historiques et de cette dépression politique ? », il répond :
« Le mythe de l’Europe est faible. Le mythe de la mondialisation heureuse est à zéro. Le mythe euphorique du transhumanisme n’est présent que chez des technocrates.
Nous sommes dans un creux historique d’incertitudes et d’angoisses, qui provoquent les régressions de repli. Seule la conception d’une voie salutaire pourrait ressusciter une espérance qui ne soit pas illusion.
Macron devrait à mon sens mettre en question les cadres classiques dans lesquels il semble se situer naturellement : la subordination de la politique à l’économie, la réduction de l’économie à l’école néolibérale, l’excroissance du pouvoir de l’argent.
Une des causes profondes du mal contemporain est l’hégémonie de la finance et des lobbies économiques non seulement sur la société, mais aussi sur la politique.
Une nouvelle voie économique est possible qui ferait reculer progressivement l’omnipotence du profit, du calcul, de la standardisation, et nous conduirait vers un mieux-être : la menace écologique a ouvert la perspective de la généralisation des énergies propres, de la dépollution des villes (développement des voitures électriques, piétonisation, parkings aux portes de villes), de la dépollution de notre consommation alimentaire par la régression de l’agriculture et de l’élevage industrialisés et le redéploiement des exploitations fermières et agroécologiques.
Le développement de la conscience des consommateurs urbains, qui a commencé, favoriserait l’alimentation saine et savoureuse. Du coup, les progrès de la santé dans toute la nation susciteraient d’énormes économies budgétaires.
En même temps, l’Etat devrait favoriser l’économie sociale et solidaire, l’entreprise citoyenne, l’économie collaboratrice (qui s’ébauche dans les Blablacar, les AMAP, etc.), l’économie circulaire, l’artisanat. Il devrait favoriser la production du durable et faire régresser celle du jetable. Il devrait favoriser la compétitivité qui s’obtient par la débureaucratisation et l’humanisation au sein de l’entreprise, plutôt que par les contraintes qui conduisent aux burn-out.
Enfin, l’union des Français à laquelle aspire Macron nécessite la prise de conscience de la réalité multiculturelle de notre nation, composée d’abord de cultures provinciales issues de peuples hétérogènes au départ, ensuite de cultures d’origine immigrée se symbiotisant dans la grande culture nationale. Il faudrait inscrire dans la Constitution « la France est une République une et multiculturelle ».
De manière plus immédiate, il fait cette analyse du combat électoral en cours :
« Macron bénéficie d’un élan propre pour le renouveau et d’un fort antilepenisme. Mais il a éveillé un antimacronisme de gauche et un antimacronisme de droite qui iront vers l’abstention ou vers Marine Le Pen.
Cela dit, il y aura encore des aléas et des surprises.
Les forces profondes de régénération qui travaillent le pays, en même temps que le travaillent les angoisses, les peurs et les colères (qui favorisent Le Pen), sauront-elles se décanter et trouver un chemin en Macron ?
Le dynamisme de la marche risque d’être stérile si on ne sait pas quel espoir se trouve dans l’« en avant ». De toute façon, nous sommes dans l’aventure, cette élection est un saut dans l’inconnu.
D’un côté, le déjà-connu, de l’autre, l’incertain. Il faut savoir que tout vote sera un pari risqué.
L’abstention est elle-même un pari. Cette conscience doit nous donner vigilance et éviter bien des illusions et des déceptions. »
Je voterai Macron.
Je ne condamnerai pas celles et ceux qui s’abstiennent.
Emmanuel Macron n’a fait aucun effort, pour l’instant, pour rassembler sauf à dire qu’il est le candidat anti-Le Pen, ce qui est beaucoup, mais ce qui n’est pas tout.
Il faut lutter contre la marchandisation du monde.
Car comme l’écrit Edgar Morin il existe bien sûr la  la vieille barbarie de la haine, du mépris, de la cruauté.
Mais si on ne lutte pas contre la barbarie glacée du calcul qui veut contrôler tout ce qui est humain nous aurons tôt ou tard la vieille barbarie.