Lundi 30 novembre 2015

« Enterrer les morts et réparer les vivants. »
Anton Tchekov – Platonov

Le président de la république, lors de son discours, aux invalides en hommage aux victimes du 13 novembre, a eu cette phrase :

« Nous rassemblerons nos forces pour apaiser les douleurs et après avoir enterré les morts, il nous reviendra de réparer les vivants ».

Cette formule « réparer les vivants » a, dans un premier temps, évoqué un ouvrage récent de Maylis de Kerangal qui retrace le parcours du cœur d’un jeune homme décédé le matin dans un accident de voiture, cœur qui sera transplanté dans la journée.

Le sujet principal du livre étant « le cœur » qui va du mort au vivant.

Mais l’origine de cette phrase se trouve dans une pièce de théâtre d’Anton Tchekhov « Platonov » qu’il a écrit à l’âge de 18 ans et qui n’a jamais été joué de son vivant. Wikipedia nous apprend que cette pièce a été retrouvée en 1921, alors qu’il était mort depuis 17 ans.

C’est une réponse à une question :

« Que faire Nicolas ? »

Et la réplique :

« Enterrer les morts et réparer les vivants. ».

C’est le chemin que doit emprunter toute personne qui est dans le deuil, qu’il s’agisse d’un deuil personnel intime de sa mère, de son père, de l’être aimé ou pire d’un enfant.

C’est bien sûr aussi ce qu’il faut faire quand une collectivité, comme la nôtre, est frappée par le deuil. François Hollande a su le dire.

Et il a fini son hommage par une autre phrase qui fait écho à l’Histoire. Lors de son fabuleux discours pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin, André Malraux avait lancé :

« Jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France…».

Aux Invalides, la conclusion de François Hollande

« Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France. »

Ce fut, en effet un discours de qualité, j’ai été ému.

Mais, il n’en reste pas moins que François Hollande, n’est pas un orateur du niveau d’André Malraux ni même plus récemment de François Mitterrand. Il y a la voix, le ton, les hésitations qui ont été cependant moins fréquentes lors de ce discours.

Mais j’ai compris quelque chose, grâce à ce discours, qui fut son meilleur. Il abuse souvent de la répétition.

Il commence par une belle introduction :

« C’est parce qu’ils étaient la vie qu’ils ont été tués. C’est parce qu’ils étaient la France qu’ils ont été abattus. C’est parce qu’ils étaient la liberté qu’ils ont été massacrés. »

Dans cette accumulation, il ne se répète pas, chaque phrase dit autre chose de la même réalité. En cela, il y a un crescendo qui révèle de la force dans le discours.

Mais quand il dit :

« C’est cette harmonie qu’ils voulaient casser, briser ». Briser n’apporte rien à casser et réciproquement.

Plus loin il dit :

« Que veulent les terroristes ? Nous diviser, nous opposer, nous jeter les uns contre les autres. »

Dans ces deux cas il aurait été beaucoup plus fort de dire simplement « C’est cette harmonie qu’ils voulaient briser » et « Les terroristes veulent nous jeter les uns contre les autres. »

C’est parce que ce discours était très bon et émouvant que j’ai pu comprendre cela.

Il s’agit de sa marque de fabrique, l’utilisation de plusieurs termes pour dire la même chose. J’interprète cela comme la révélation que cet homme ne sait pas choisir. Il ne sait pas décider, aller à l’essentiel, sélectionner le meilleur mot entre « casser » et « briser », alors il prend les deux.

Vous allez me répondre, mais comme chef de guerre, il sait décider !

Peut-être.

Mais sommes-nous vraiment en guerre ?

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Vendredi 27 novembre 2015

Vendredi 27 novembre 2015
«Un modèle pour nous»
Wiaz
Pour être un peu plus concis que ces derniers jours : un dessin pour rappeler que la COP 21, c’est à dire la 21e conférence des parties, rassemblement annuel de tous les pays désireux d’agir pour le climat débute ce dimanche et va durer jusqu’au 11 décembre.
C’est un dessin que Wiaz a réalisé pour le grenelle de l’environnement et qui me semble adapté à cette grande conférence.
Il pourrait aussi représenter de façon symbolique les pays riches qui parlent au pays pauvre.
Dans le fond ce qu’il nous faut, c’est un modèle de développement pour l’avenir

Jeudi 26 novembre 2015

Jeudi 26 novembre 2015
«L’Islam n’a rien à voir avec DAESH»
Propos très souvent entendu sur les ondes par des musulmans horrifiés par la violence de Daech ou par des non musulmans voulant être rationnel et bienveillant.
Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation : “l’Islam n’a rien à voir avec DAESH”.
Je peux entendre et être en accord avec des affirmations du type : L’Islam peut être interprété autrement que la vision de DAECH ou même une affirmation plus radicale et bienveillante : “L’Islam n’est pas DAECH”
Mais dire que l’Islam n’a rien à voir avec DAECH est faux. Absolument, fondamentalement et rigoureusement faux.
Les religions monothéistes sont par construction intolérantes et totalitaires.
Quant à la base des fondamentaux de son existence, un humain croit à un Dieu unique, bien sûr son Dieu. Qu’il pense que la vraie vie est dans l’au-delà et pas sur terre et qu’il existe des textes “sacrés” qui disent la vérité et des “hommes de Dieu” qui parlent au nom de ce Dieu il y a forcément des conséquences qui sont très éloignées des valeurs de démocratie, de tolérance, de liberté.
Il est logique que lorsqu’on fonde sa vie sur la croyance en un Dieu unique qui est le sien, celui qui ne partage pas cette croyance n’est pas quelqu’un qui a une autre opinion, mais quelqu’un qui est dans l’erreur. C’est un point fondamental et premier. «Le ver est dans le fruit» répète Abdennour Bidar.
Après il y a une deuxième étape, comment agit on avec celui qui est dans l’erreur ?
Les croyants monothéistes postulent un second axiome à celui du Dieu unique : l’important n’est pas la vie sur cette terre que certains désignent comme un pèlerinage dans une vallée d’épreuves et de larmes, mais la vie après la mort, en enfer ou au paradis. Bref, la vie humaine n’a pas de valeur absolue, comme chez les “mécréants”.
Je reviens à la question : comment agit-on avec celui qui est dans l’erreur ?
Le christianisme a pendant longtemps répondu : il faut le brûler. On acceptait que celui qui était dans l’erreur, le reconnaisse et s’amende mais s’il persévérait, il fallait le brûler.
Je ne veux pas opposer deux religions en les comparants de manière scientifique et rationnelle.
Toutefois il est quand même possible de constater que les figures centrales du christianisme et de l’Islam sont assez différentes.
Le Christ a vécu au début de notre ère et a été crucifié par les autorités impériales romaines. Cela je crois ne se discute plus. Pour tout le reste c’est beaucoup plus hasardeux pour tous ceux qui ne croient pas ou qui ne s’arrêtent pas à la seule croyance.
Pour revenir à ce qui est certain, le personnage central de cette religion a été exécuté par la peine infamante des esclaves.
Dans le texte qui décrit cela et sur lequel se fonde les croyants chrétiens et qui est “sacré à leurs yeux”, il semble bien que cet homme “Jésus de Nazareth” ait accepté de se faire arrêter sans combattre et appelé ses fidèles à la non-violence puisqu’il aurait dit à un de ses disciples de ne pas sortir l’épée.
Il y a un épisode dans l’évangile qui parle de violence, c’est celui où Jésus chasse les marchands du temple de Jérusalem. Il ne les tue pas mais il les oblige par des actes de violence de sortir du temple. Mis à part cet épisode, il apparait plutôt comme un non violent.
Et…
Et malgré cet exemple, à la fois la crucifixion et un message fondamentalement non violent, le christianisme quand il a pu prendre le pouvoir dans l’Empire et plus tard dans les principautés et royaumes chrétiens a usé de violence extrême pour convertir, combattre les erreurs appelés hérésies, ou pourchasser les non croyants, en tuant et en emprisonnant tous ceux qui ne se soumettaient pas au dogme imposé par la puissance religieuse.
Malgré l’exemple et le texte accompagnant le personnage central initial et initiatique, la religion chrétienne s’est abimée dans la violence et le totalitarisme intellectuel et sociétal. C’est en effet un totalitarisme puisque la science naissante ne pouvait pas dire autre chose ce que le dogme imposait et la vie sociétale était étroitement surveillée par les gardiens du dogme. Il me semble que le terme “pensée totalitaire” est parfaitement approprié.
Il me semble que cette histoire illustre parfaitement les dérives inhérentes à la croyance monothéiste.
Force est de constater que l’Islam a été construit sur un personnage central et historique très différent. Jésus est un vaincu de la vie terrestre, il a été exécuté et semble-t-il sans combattre. Mohammed est certainement un homme plein de bienveillance, jugé à l’aune de son époque, et les musulmans sont capables de citer beaucoup de ses propos ou de ses faits qui montrent son humanité.
Toutefois, il s’agissait bien d’un chef de guerre. C’est un vainqueur de la vie terrestre : il a soumis ses opposants par la force. Certes il avait probablement un grand charisme et un discours très entraînant mais il avait une armée et un des moyens pour convertir a été de vaincre militairement.
Cette manière de faire a été approuvée et pratiqué par lui.
D’autres épisodes de sa vie montre que de son vivant il a décidé ou approuvé des massacres de ces “fameux humains dans l’erreur par rapport à la croyance monothéiste que j’ai évoqué avant”
Dès lors a fortiori par rapport au christianisme, l’intolérance monothéiste trouve encore plus matière à s’épanouir dans cette religion.
Il s’est passé quelque chose dans le christianisme : la renaissance et les lumières. Ce ne fut pas à l’intérieur de la religion que ce mouvement a émergé et s’est éclos. Et c’est ce mouvement qui a obligé peu à peu la religion chrétienne à accepter le relativisme, concept éminemment compliqué pour la pensée monothéiste. Des hommes sont morts pour cela. Le local PS de Villeurbanne se trouve rue Michel Servet. J’ai été surpris, un jour où je m’y trouvais que personne ne connaissait Michel Servet. C’était un scientifique et il voulait aussi faire évoluer la pensée théologique. Et il a été brûlé vif pour hérésie le 27 octobre 1553 à Genève sur l’ordre de Jean Calvin. Car les pères réformateurs n’étaient pas plus tolérants que les prélats catholiques.
Des scientifiques d’abord, des philosophes ensuite ont entraîné un mouvement qui a amené à la fois au développement extraordinaire des sciences et de la liberté.
L’Islam n’a pas connu un tel mouvement. Pourtant, il y eut une époque où la médecine, la science et les arts de la civilisation musulmane avaient beaucoup plus d’atouts que les pays chrétiens pour entrer dans l’ère de la lumière. Mais ce ne fut pas le cas.
Et il est lassant et répétitif de raconter toutes ces horreurs, tous ces crimes commis au nom de l’Islam dans les pays symboles comme l’Arabie saoudite, l’Iran, le Pakistan.
<Le 17 novembre, 4 ajours après les attentats de Paris, un poète a été condamné à mort en Arabie Saoudite pour apostasie> Donc en Arabie, on tue un poète parce qu’il veut quitter la religion musulmane. Mes amis nous sommes contemporains de cela et ce crime est commis au nom de l’Islam, aujourd’hui.
L’Arabie Saoudite qui a financé le développement des communautés fondamentalistes et salafistes jusque dans notre pays. Beaucoup d’entre vous ont entendu ce que l’imam salafiste de Brest raconte de la musique : « Qui écoute de la musique ? », demande l’imam. De nombreux doigts se lèvent spontanément. L’imam poursuit : « Écouter de la musique, c’est un grave péché. C’est écouter Scheitan, le diable ». Les enfants boivent ses paroles. « Allah n’aime pas la musique parce que c’est ce que le diable aime ». Un enfant lève le doigt. « Moi je fais de la batterie ». « Et bien tu vas arrêter d’en faire », poursuit l’imam en faisant référence à l’apocalypse pour mieux marquer les esprits. « Ceux qui chantent, le prophète a dit qu’ils seront engloutis sous la terre. Ils seront transformés en singes ou en porcs. Qui aime encore la musique ? », demande-t-il à son assistance médusée.
Alors quand on dit que les crimes de ces petits délinquants guidés par des idéologues de DAESH n’ont rien à voir avec l’Islam, je ne peux pas accepter cette affirmation qui se voudrait rassurante.
Mais enfin ! Si les tribunaux des gens respectables de Ryad peuvent condamner à mort un homme dont le seul crime est de ne pas croire, quand un religieux de Brest prétend qu’écouter la musique c’est pactiser avec le diable, être tout prêt d’être transformé en porc, cela ne peut-il pas justifié des jeunes écervelés de croire qu’on peut tuer ceux qui ne croient pas comme eux ou massacrer des jeunes écoutant une musique diabolique ?
Parce qu’il faut quand même quelques convictions solidement charpentés pour rentrer dans une salle de concert et tuer froidement des dizaines de personnes. Il faut ne pas voir, en ces futures victimes, des êtres humains comme soi-même mais des personnes diaboliques qu’il faut éliminer.
Et puis il faut accepter de mourir, de se sacrifier ! De considérer cela comme une consécration comme l’a révélé David Thomson, le journaliste de RFI qui en a interviewé un certain nombre.
La folie ne suffit pas, il faut aussi la croyance.
L’Islam n’est pas DAESH
Mais DAESH  n’est pas étranger à l’Islam.
«Comme je l’ai écrit dans ma Lettre ouverte au monde musulman, les musulmans du monde entier doivent passer du réflexe de l’autodéfense à la responsabilité de l’autocritique. Car comme le dit le proverbe français, «le ver est dans le fruit»: ce n’est pas seulement le terrorisme djihadiste qui nous envoie de mauvais signaux en provenance de cette civilisation et culture musulmane, mais l’état général de celle-ci. Voilà en effet une culture tout entière qui est menacée par la régression vers l’obscurantisme, le dogmatisme, le néo-conservatisme, le rigorisme incapable de s’adapter au présent et aux différents contextes de société… et qui, c’est le comble, parle parfois de liberté de conscience pour réclamer le droit de donner libre cours à sa radicalité, ou pour faire valoir publiquement ses «principes éternels», sa «loi divine intangible et indiscutable», comme si quelque chhttps://mail.google.com/mail/u/0/#drafts?compose=15140b87851d720fose pouvait et devait échapper aussi bien à la marche de l’histoire et à la volonté des hommes!
De plus en plus de musulmans prennent conscience qu’il y a là un cancer interne de civilisation gravissime, un cancer qui se généralise à grande vitesse et face auquel les courants progressistes reculent. Un cancer face auquel les musulmans lucides souffrent de voir leur religion ainsi dégénérer, et se sentent terriblement impuissants. Qu’ils ne se laissent pas paralyser par ce sentiment d’impuissance! L’optimisme est une responsabilité. Quand on agit, il n’y a plus de place pour la peur et le désespoir. La tâche est qu’il faut de tout faire, chacun à son niveau, chacun avec ses moyens, pour régénérer, réinventer, métamorphoser cette culture spirituelle en perdition. Et pour cela la première chose à comprendre est qu’il faut arrêter de dire seulement «le vrai islam ce n’est pas cela», «cet obscurantisme ce n’est pas l’islam de mes grands-parents, de mon village, ou des âges d’or de l’islam, comme l’Espagne andalouse». Ce type de nostalgie ne vaut guère mieux face à la gravité du présent que la solution des salafistes qui veulent revenir à un «islam originel», à un «islam pur», à un «noyau» ou à une «essence» de l’islam. Rien de plus stérile que de vouloir fabriquer du futur avec le passé! Rien de plus dangereux que de vouloir faire triompher la «pureté» de quoi que ce soit: ce fantasme de «pureté» passe toujours, l’histoire nous l’a enseigné, par la «purification totalitaire» de tout ce qui n’est pas conforme au modèle!»

Mercredi 25 novembre 2015

Mercredi 25 novembre 2015
«La condescendance française n’a pas de limites.»
Francis Van de Woestyne, rédacteur en chef du journal La Libre Belgique.
Les Belges reçoivent très mal les critiques sans nuances des journaux et des politiques français.
Ces critiques sont d’autant plus irrecevables parce qu’elles viennent d’un Etat et d’un peuple qui est loin d’être irréprochable.
«La presse française, plus précisément parisienne, se déchaîne ces derniers jours, sur la Belgique. À lire les reportages et éditoriaux, à entendre les émissions matinales, notre pays serait devenu “le berceau du terrorisme européen”, “une fabrique djihadiste”, une “Nation sans État”, “un Belgikistan”…
“Le Monde”, une référence, d’ordinaire nuancée dans ses analyses, fige la Belgique dans un portrait au vitriol. “ Au cœur de l’Europe, la sympathique Belgique est devenue une plaque tournante du djihadisme. Le pays”, écrit l’éditorialiste “doit se ressaisir”. Pour mieux enfoncer ces voisins insouciants, l’auteur rappelle : “ Il aura fallu qu’il connaisse la terrible affaire Dutroux, dans les années 90, pour qu’il réforme enfin sa police et sa justice”. 
Nous n’avons évidemment pas attendu qu’une partie de la rédaction du “Monde” débarque à Bruxelles pour dénoncer les failles des services belges dans la lutte contre le terrorisme (voir ici), le laxisme coupable dont avait fait preuve l’ancien bourgmestre de Molenbeek, Philippe Moureaux, le manque de coordination entre les pays européens dans la traque aux djihadistes. 
On ne peut évidemment nier que les attentats de Paris aient été décidés en Syrie, organisés en Belgique et perpétrés en France. Mais l’information a ses droits. Oui, il y avait des Belgo-Marocains, parmi les terroristes. Mais il y avait aussi des ressortissants français, vivant en Belgique. S’il est exact que plusieurs auteurs d’attentats sont passés par Bruxelles ou par Molenbeek, d’autres n’ont jamais quitté l’Hexagone sauf pour aller “se former” en Syrie. Des djihadistes, dont Nemmouche, ont été radicalisés dans les prisons françaises. Et Dutroux ? Que vient-il faire là-dedans ? Faut-il que l’on reparle de l’affaire d’Outreau ?
La condescendance française n’a pas de limites. “ Loin d’isoler la Belgique, il faut l’aider à se protéger et c’est ce que font les services français”, écrit Le Monde. C’est sans doute oublier un peu vite que ce sont les renseignements des services belges et marocains qui ont permis de localiser la planque d’Abaaoud à Saint-Denis. Tiens mais comment est-il parvenu à quitter la Syrie pour revenir à Paris, celui-là ? Il y a une explication : la France s’oppose toujours fermement à toute idée de PNR européen – le fichier des données des voyageurs aériens – lui préférant un PNR national. Et elle continue à refuser tout échange automatique d’informations entre les PNR nationaux. Avec de telles réticences, la traque aux terroristes n’est pas gagnée.
Reconnaissons-le : cet exercice – c’est pas moi, c’est lui…– a quelque chose d’un peu minable. On en est bien conscient. Il y a eu des failles partout. Et il est un peu vain de vouloir sans cesse rejeter la responsabilité des attentats de Paris sur d’autres pays amis. Ce petit jeu est d’ailleurs bien ce que cherche Daech : diviser, diviser diviser. En accablant les Belges de tous les maux, certains commentateurs sont tombés dans le piège tendu.
On le répète. Il n’est pas question ici de gommer certaines responsabilités et réalités belges, les lourdeurs institutionnelles qui peuvent gêner des enquêtes. Mais les critiques seraient plus faciles à accepter si elles venaient d’un État infaillible, un État qui serait un modèle du vivre ensemble et de l’intégration. Si c’était le cas, le FN, parti raciste, xénophobe, anti-européen, ne serait pas le premier parti de France. Mais sans doute les responsables du FN ont-ils été formés en Belgique !»
Si la discorde s’installe entre nous, entre les pays européens, les djihadistes auront grandement progressé dans leurs objectifs.
Nous avons besoin d’humilité. C’est un très grand challenge pour nous autres français…

Mardi 24 novembre 2015

Mardi 24 novembre 2015
«On n’a pas besoin de lois, il faut des moyens»
Marc Trévidic.
Beaucoup d’experts s’expriment sur les médias.
Souvent, il est légitime de se poser la question : mais sur quelles sciences, activités ou travaux fondent-ils leur label d’expertise ?
Marc Trévidic, le juge anti-terroriste de Paris à qui la charge a été retirée il y a quelques mois par l’application stricte de règles qui n’existent probablement qu’en France est fondé à se déclarer expert.
Que dit-il ?
Actuellement, la justice est engorgée, les forces de renseignement n’ont pas les moyens de suivre l’ensemble des personnes fichées.
Le 30 septembre dans une interview à Paris Match, sa réponse à la première question, sur le niveau de risque que courent les Français, fut la suivante :
«La menace est à un niveau maximal, jamais atteint jusqu’alors. D’abord, nous sommes devenus pour l’Etat islamique l’ennemi numéro un. La France est la cible principale d’une armée de terroristes aux moyens illimités. Ensuite, il est clair que nous sommes particulièrement vulnérables du fait de notre position géographique, de la facilité d’entrer sur notre territoire pour tous les djihadistes d’origine européenne, ¬Français ou non, et du fait de la volonté clairement et sans cesse exprimée par les hommes de l’EI de nous frapper. Et puis, il faut le dire : devant l’ampleur de la menace et la diversité des formes qu’elle peut prendre, notre dispositif de lutte antiterroriste est devenu perméable, faillible, et n’a plus l’efficacité qu’il avait auparavant. Enfin, j’ai acquis la conviction que les hommes de Daech ont l’ambition et les moyens de nous atteindre beaucoup plus durement en organisant des actions d’ampleur, incomparables à celles menées jusqu’ici. Je le dis en tant que technicien : les jours les plus sombres sont devant nous. La vraie guerre que l’EI entend porter sur notre sol n’a pas encore commencé.»
Et après les attentats du 13, il a répondu à l’Obs :
«Le nombre de personnes sous surveillance est devenu problématique. Il existe autant d’individus à surveiller que d’agents de la Direction générale de la sécurité Intérieure (DGSI), il faut se rendre compte de cela ! Nous sommes en face d’un sous-dimensionnement évident, problématique. […] L’Etat islamique peut aujourd’hui recruter à foison. Les effectifs de jeunes gens prêts à passer à l’action peuvent lui sembler inépuisables. Il peut facilement embaucher et commander des actions, sans souci de perdre des hommes. Les terroristes ont d’ailleurs agi à visage découvert, signe qu’ils étaient prêts à se sacrifier. L’Etat islamique est dans une position de force incroyable, à la tête d’une armée qui paraît illimitée. […] On est tellement sous-dimensionné par rapport à la menace qu’il faut doubler les effectifs dans les directions de renseignement et les services judiciaires. Il faut comprendre cet enjeu. Les moyens ont été renforcés après les attentats de “Charlie Hebdo”, il faut poursuivre cet effort. Les jours les plus durs, les plus sombres, risquent d’être devant nous.»
A la fin des fins, il faut des serviteurs de l’Etat qui sont en France des fonctionnaires.
Rien n’empêcherait à travers des réformes de fond de rendre l’Etat plus efficace et dans certains domaines d’avoir besoin de moins de personnels.
Mais dans d’autres il faut des femmes et des hommes.
Par exemple il faut aussi des douaniers pour garder les frontières. Dans mon esprit, il s’agit des frontières extérieures de l’Union. Bien entendu, si les frontières extérieures ne jouent pas leur rôle, il sera nécessaire de garder les frontières nationales.
Pour arriver à cet équilibre, il faut des hommes d’Etat qui ont une vision de temps long, de stratégie permettant de faire face aux défis.
Le rabot, les économies d’épiciers sont le fait de gouvernants qui ont une ligne d’horizon dramatiquement proche : les prochaines échéances électorales.
Et puis cette réaction pavlovienne qui chaque fois qu’un évènement surgit de se sentir obligé de faire de nouvelles lois est absolument contreproductive : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », Montesquieu (De l’esprit des lois).

Lundi 23 novembre 2015

«Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»
François Morel

Le mot du jour d’aujourd’hui est la conclusion de l’appel, du cri, de la harangue que François Morel a lancé lors de son billet hebdomadaire du vendredi, le 20 novembre :

«Ne renoncez à rien !

Surtout pas au théâtre, aux terrasses de café, à la musique, à l’amitié, au vin rouge, aux feuilles de menthe et aux citrons verts dans les mojitos, aux promenades dans Paris, aux boutiques, aux illuminations de Noël, aux marronniers du boulevard Arago, aux librairies, aux cinémas, aux gâteaux d’anniversaire.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas au Chablis, surtout pas au Reuilly, surtout pas à l’esprit. Ne renoncez à rien ! Ni aux ponts de Paris, ni à la Tour Eiffel, ni Place de la République à la statue de Marianne […].

Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux titis, surtout pas à Bercy.

Ne renoncez à rien !

Ni à Gavroche, ni à Voltaire, ni à Rousseau, ni aux oiseaux, ni aux ruisseaux, ni à Nanterre, ni à Hugo.

Ne renoncez à rien !

Ni aux soleils couchants, ni aux collines désertes, ni aux forêts profondes, ni aux chansons de Barbara, ni à la foule des grands jours, ni à l’affluence des jours de fête, au Baiser de l’Hôtel de Ville, aux étreintes sous les portes cochères, ni aux enfants qui jouent sur les trottoirs, ni aux cyclistes, ni aux cavistes, ni aux pianistes.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas aux envies, surtout pas aux lubies, surtout pas aux folies, ni aux masques, ni aux plumes, ni aux frasques, ni aux prunes, ni aux fiasques, ni aux brunes, ni aux écrivains, ni aux éclats de voix, ni aux éclats de rires, ni aux engueulades, ni aux files d’attente, ni aux salles clairsemées, ni aux filles dévêtues, ni aux garçons poilus, ni à la révolte, ni à la joie d’être ensemble, ni au bonheur de partager, au plaisir d’aimer, ni à la légèreté, ni à l’insouciance, ni à la jeunesse, ni à la liberté.

Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»

On peut le lire, mais il faut surtout l’écouter : http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-francois-morel-ne-renoncer-a-rien

En fond sonore du billet de François Morel vous entendez la romance sans parole opus 67 N° 4 appelée « la fileuse » de Mendelssohn

Oui ne renonçons à rien !

Certes il faut se défendre avec tous les moyens dont dispose l’Etat de droit et avec les services de sécurité et de renseignement.

Certes, chacun de nous peut être atteint par un attentat de ces criminels aimant la mort, autant que nous la vie.

Mais en ayant conscience que le risque pour chacun est d’une probabilité très faible. En comparaison, nous prenons un risque beaucoup plus élevé en montant dans une voiture et pourtant nous le faisons.

Donc, oui ne renonçons à rien ! C’est leur défaite et notre victoire !

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Vendredi 20/11/2015

Vendredi 20/11/2015
«J’ai vécu pour la danse.[…]
je ne me suis pas laissé briser,
je n’ai pas capitulé. »
Maïa Plissetskaïa (1925-2015)
Alors que faisait rage la Seconde Guerre mondiale, Odile Tremblay rapporte que le parlement britannique aurait exigé que les subventions aux arts et à la culture soient plutôt versées à l’effort de guerre, ce à quoi Churchill aurait répondu : « Then what are we fighting for ? ». « Mais alors pourquoi nous battons nous ? ». Pourquoi combattre le IIIe Reich si ce n’est pour préserver notre culture ?
Ce vendredi 20 novembre 2015, une des plus grandes danseuses de l’Histoire, Maia Plissetskaia aurait eu 90 ans. Mais le 2 Mai 2015 elle est décédée.
Maïa Plissetskaïa a publié ses mémoires, parues en France, aux éditions Gallimard le 13 octobre 1995 sous le titre français «Moi, Maïa Plissetskaïa.» Elle y évoque la vie disciplinée d’une danseuse et bien au-delà, soixante-dix années de l’histoire soviétique, de Staline à la perestroïka. Elle décrit son passé, son enfance, la mort de son père, la séparation d’avec sa mère et l’angoisse qu’elle a ressentie à son sujet pendant tout le temps de sa déportation. Elle parle ouvertement des intrigues au théâtre, de l’oppression et de la situation politique générale en Union soviétique.
Dans ses Mémoires elle a écrit :
« Je suis née à Moscou. Au royaume de Staline. Puis j’ai vécu sous Kroutchev, Brejnev, Andropov, Tchernenko, Gorbatchev, Eltsine… Et j’aurai beau faire, jamais je ne renaîtrai une seconde fois.
Vivons notre vie… Et je l’ai vécue. Je n’oublie pas ceux qui ont été bons pour moi.
Ni ceux qui sont morts, broyés par l’absurde. J’ai vécu pour la danse.
Je n’ai jamais rien su faire d’autre. Merci à cette nature grâce à laquelle j’ai tenu bon, je ne me suis pas laissé briser, je n’ai pas capitulé. »
Wikipedia nous apprend :
« Née à Moscou le 20 novembre 1925 dans une famille de l’intelligentsia juive, Maïa Plissetskaïa est scolarisée à Barentsburg au Spitzberg, où son père, Mikhaïl Plissetski, travaille comme ingénieur dans les mines de la concession russe du Spitzberg. En 1937, ce dernier est emprisonné, sous l’inculpation d’« ennemi du peuple », lors des Grandes Purges, puis exécuté l’année suivante. Sa mère, née Rachel Messerer, de confession israélite, actrice de cinéma muet, est emprisonnée au motif qu’elle est l’épouse d’un « ennemi du peuple ». Elle sera déportée au Kazakhstan dans un camp de travail du Goulag pour épouses « d’ennemis du peuple » de 1938 à 1941 avec son plus jeune fils, Azari Plissetski, alors âgé de sept mois et aujourd’hui maître de ballet au Béjart Ballet de Lausanne. À la suite de ces arrestations, Maïa Plissetskaïa, privée de ses parents à l’âge de 13 ans, est confiée aux soins de sa tante maternelle, la ballerine Soulamith Messerer, après que celle-ci se fut battue pour que sa nièce ne soit pas placée dans un orphelinat. Entourée de sa tante, et de son oncle qui fut à l’époque l’un des meilleurs pédagogues de l’école de danse du Bolchoï, la jeune Maïa se dirige tout naturellement vers la danse.
En 1934, elle est admise à l’école de danse du Théâtre Bolchoï.  Elle est très vite remarquée pour son grand talent. Dès 1936, âgée de dix ans, elle fait sa première apparition sur la scène du Bolchoï dans La Belle au bois dormant. Elle écrira plus tard dans ses mémoires: « L’art m’a sauvée. Je me suis concentrée sur la danse et je voulais que mes parents soient fiers de moi. ».
En 1943, nouvellement diplômée de l’école de danse, elle entre au Ballet du Bolchoï. Fidèle à son serment, la fille d’un « ennemi du peuple » est devenue la fierté de toute une nation. Fidèle à son rêve, elle ne cessera jamais de danser.
Malgré son succès, elle n’est pas très bien vue ni traitée par le pouvoir soviétique. Elle est juive dans un pays notoirement antisémite. En tant que fille d’« ennemis du peuple » et de « personne politiquement peu sûre », la ballerine est en butte incessante à la défiance des autorités : elle n’est pas autorisée à sortir du territoire de l’Union soviétique pendant six ans après avoir rejoint la troupe du Bolchoï. C’est finalement Nikita Khrouchtchev qui, en 1959, l’autorise à se rendre à l’étranger.
Quelle terrible période que la première moitié du XXème siècle !
Beaucoup ont été brisés quand ils n’ont pas été tués..
Mais il y eut heureusement des âmes fortes comme Maïa Plissetskaïa qui ne capitulèrent jamais

Jeudi 19/11/2015

Jeudi 19/11/2015
«Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre»
Rudyard Kipling le poème «If» dans sa traduction de André Maurois en 1918
Cet <article sur les attentats sur le site the conversation> se termine par le célèbre poème du prix Nobel Rudyard Kipling «If» écrit en 1895 et publié en 1910.
En France nous connaissons surtout ce poème par la traduction d’André Maurois : «Tu seras un homme, mon fils»
Le poème en anglais est compliqué à traduire et vous trouverez sur cette page le texte original et d’autres tentatives de traduction du texte.
J’en ai choisi 3 vers qui me paraissent particulièrement adaptés à notre temps :
If Rudyard KiplingTraduit par André Maurois en 1918
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils

Mercredi 18/11/2015

Mercredi 18/11/2015
«Les moyens qu’il faut développer pour assurer la sécurité ne sont pas les mêmes que ceux qu’il faut pour rassurer la population.»
Thomas Legrand
Dans émission spéciale de samedi soir le 14/11 de Demorand à France Inter
Pour rassurer la population il faut montrer des policiers. Ça use les policiers et ne sert pas à grand chose pour la sécurité.
Car pour assurer la sécurité, souvent il ne faut pas les montrer, il faut les cacher, il faut travailler dans l’ombre.
Et c’est très compliqué.
C’est plus rentable politiquement de mettre des policiers partout, de les faire patrouiller dans les gares et les lieux publics.
Ils sont là pour rassurer.
Même si on avait mis 2 policiers en bas du bataclan, devant les hommes déterminés et avec des armes de guerre les policiers n’auraient rien pu empêcher, ils auraient été simplement parmi les victimes.
Tout ceci pose la question de notre rationalité collective.

Mardi 17/11/2015

Mardi 17/11/2015
«Le moment est venu pour […] accroître la division et détruire la zone grise»
Article de Dabiq, le magazine en ligne du califat
Nous sommes en guerre disent le premier ministre et le Président.
Ainsi, lundi après-midi à Versailles, devant le Parlement réuni en congrès, le Président, n’a eu aucune hésitation : «La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris et près du Stade de France sont des actes de guerre. Ils sont le fait d’une armée jihadiste qui nous combat ».
Mais d’autres considèrent que ce mot est largement inapproprié. Libération pose la question «sommes nous en guerre ?» et répond plutôt non, ce que je pense aussi.
<Un philosophe Philippe-Joseph Salazar a écrit un livre Paroles armées : Comprendre et combattre la propagande terroriste > où ils poussent le raisonnement de cette rhétorique de guerre dans sa logique intrinsèque. Il dit par exemple : si nous sommes en guerre, toute personne qui d’une manière ou d’une autre prend le parti de l’ennemi est un traitre. Et s’il est un traitre à son pays, ce dernier réagit immédiatement et le met hors d’état de nuire.
Mais laissons ce débat pour nous intéresser à notre ennemi. Car si nous ne sommes pas certain d’être en guerre, selon les normes habituelles, ce qui est certain c’est que nous avons un ennemi.
C’est une grande erreur de penser que cet ennemi n’est constitué que d’une bande de psychopathes en mal d’exaltation.
Il y a des paumés et il y a des délinquants qui sont récupérés et utilisés pour réaliser les basses besognes.
Mais le califat, car je pense que c’est la manière la plus signifiante de désigner notre ennemi est surtout comme l’écrit Eric Leser dans un article de <Slate> un groupe religieux et militaire organisé, disposant de dirigeants compétents avec une stratégie cohérente au service de la guerre sainte.
C’est excessivement compliqué pour nous de comprendre. Nous nous sommes tant éloignés des croyances religieuses que nous avons du mal à nous convaincre que ces hommes sont des idéologues qui ne pensent absolument pas avec les mêmes raisonnements que nous. Mais ils pensent, il raisonnent et ils ont une stratégie.
Et parmi les concepts qu’ils manipulent il y a ce concept de «zone grise»
Ainsi, Slate nous apprend que dans un texte de 10 pages publié sur le magazine en ligne de l’Etat islamique, “Dabiq” et intitulé «La zone grise», ces idéologues décrivent l’incertitude dans laquelle se trouvent aujourd’hui la plupart des musulmans «entre le bien et le mal, le califat et les infidèles… «Le monde est divisé» et le «moment est venu pour un nouvel événement… d’accroître la division et de détruire la zone grise».
Bref il y a un monde en noir et blanc (je ne sais pas qui est le monde noir et qui est le monde blanc) mais qui oppose le califat et les autres, les mécréants, les renégats.
Au milieu il y a une zone grise, lieu de l’échange, de la mixité, du partage.
Cette zone doit être détruite.
Slate ajoute : «C’est exactement l’objectif des attaques du 13 novembres 2015 à Paris et à Saint-Denis. Elles contribuent à faire disparaître la zone grise en augmentant l’antagonisme entre les communautés et elle montre aux jeunes islamistes qu’avec des moyens finalement assez limités, des kalachnikovs et des ceintures d’explosifs, ils peuvent semer le chaos et le faire savoir au monde entier.»
Abdennour Bidar dit la même chose dans <Libération> : « ils nous ont pris comme cible pour ce que nous représentons dans le monde, ils cherchent à nous détruire comme ce peuple, cette société éprise de paix, de liberté, de justice, qui incarne la force de la vie et de l’amour contre lesquelles le néant ne peut rien. Ils ont cherché à frapper assez fort pour briser notre unité, pour anéantir ce qui est plus fort que leur néant.Et pour cela, ils cherchent à ce que, sous l’effet de la peur et du sentiment d’impuissance, nous nous retournions les uns contre les autres : non musulmans contre musulmans»
Ils ont un objectif dans ces attentats, nous conduire à nous diviser et notamment à pousser les non musulmans contre les musulmans avec une telle force et une telle haine que ces derniers se sentent obligés à basculer dans le camp du califat.
Ces gens, nos ennemis ne sont pas fous, ce sont des idéologues qui ont des convictions et surtout des croyances.
Dans le monde musulman ils ont une capacité de séduction évidente.
Je doute fort qu’une riposte uniquement militaire puisse avoir raison de cet ennemi
Notre environnement intellectuel ne nous permet ni de comprendre cette capacité de séduction auprès des masses sunnites ni ce que Slate appelle « l’intensité de la haine et de la détestation dont nous faisons l’objet.»
Et je poursuis la lecture de l’article de Slate : « Contrairement au discours officiel tenu à Paris comme à Washington, l’Etat islamique est vraiment islamique. Les musulmans qui expliquent que Daech n’a rien à voir avec l’Islam sont «vraiment mal-à-l’aise, politiquement corrects et ont une vision à l’eau de rose de leur propre religion qui passe sous silence ce qu’elle exige historiquement et légalement» explique Bernard Haykel de l’Université de Princeton, l’un des plus grands experts de l’Islam radical.»
Notre ennemi vit dans un autre monde que nous, avec d’autres repères et d’autres valeurs.
Quand des gens sérieux essayent d’évaluer le nombre de combattants du Califat, ils parlent de 50 000 à 60 000 hommes.
C’est ridicule par rapport à la masse de ceux qui se prétendent leurs ennemis.
Il est vrai que ceux qu’on appelle les alliés, sont tout sauf unis dans leurs objectifs. L’objectif principal de la Russie est de sauver le régime d’Assad, même s’ils semblent quelquefois accepter qu’Assad lui même sorte du jeu, les turcs ont comme ennemi principal les kurdes, l’Arabie saoudite a pour ennemi principal l’Iran et réciproquement, la France jusqu’à présent refusait de choisir entre le califat et Assad. Cette rapide description montre la complexité des relations militaires et permet de comprendre que le califat puisse profiter de cette désunion.
Mais je pense que c’est une erreur de croire qu’on pourra mettre fin à notre ennemi par la seule réponse militaire fusse t’elle massive selon les propos de notre gouvernement.
La bataille idéologique est encore plus importante.